samedi 20 avril 2024
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Boris Cyrulnik :
50 ans de psychiatrie

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Lors des IVèmes rencontres littéraires Fabian Boisson le 10 mai, le neuropsychiatre, Boris Cyrulnik a retracé les grandes évolutions de la psychiatrie. Les avancées majeures, mais aussi les ratés et les dérives.

 

Expliquer, soulager et parfois guérir les souffrances psychiques. Boris Cyrulnik, 77 ans, en a fait son métier pendant plus de 50 ans. Dans son dernier livre, Les âmes blessées (1), le célèbre neuropsychiatre français a voulu retracer les avancées majeures de cette discipline. Mais aussi les ratés, les excès, voire les méthodes moyenâgeuses. Des méthodes, parfois effrayantes, surtout pratiquées avant les années 1960 : camisoles physiques et psychiques, enfermement, lits de paille dans les hôpitaux psychiatriques, ou encore lobotomie.

 

« Crime »

« Aujourd’hui, la lobotomie est heureusement considérée comme un crime. Mais en 1949, le neurologue Egas Monis (1874-1955) a reçu un prix Nobel pour sa découverte de la valeur thérapeutique de la lobotomie. Il a eu cette idée, que si l’on coupait deux morceaux des lobes préfrontaux, cela pouvait soigner la folie. Au départ, les patients étaient en effet soulagés. Or, après, on a réalisé que ces patients s’éteignaient totalement psychiquement. Ils n’étaient plus des êtres humains. » Un exemple célèbre est celui de la soeur de John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), Rosemary qui fut lobotomisée en 1941 à l’âge de 23 ans. Suite à cette opération, la jeune femme fut plongée dans un profond retard mental. « Heureusement, ce crime est aujourd’hui interdit. Mais il faut savoir que des médecins psychiatres pratiquaient ces lobotomies à domicile en quelques minutes. C’était très facile à réaliser. »

Lors de cette conférence, Boris Cyrulnik est aussi longuement revenu sur la naissance de la psychanalyse. Quand cette discipline a émergé, à la du fin 19ème, début XXème siècle, ce neuropsychiatre rappelle « qu’il n’y avait aucun respect » pour les personnes qui avaient une souffrance psychique. « On pensait qu’elles étaient de mauvaise qualité biologique ou de race inférieure. Cela préparait d’ailleurs au nazisme… » Il a fallu l’apport de l’autrichien Sigmund Freud (1856-1939), fondateur de la psychanalyse, pour comprendre que la souffrance psychique n’avait rien à voir avec la race, ni la biologie. Mais bel et bien « avec le monde intime psychique. »

 

Schizophrénie

Autre thème abordé lors de la conférence : la schizophrénie. Un trouble mental sévère, considéré il y a quelques décennies encore comme uniquement lié à « des facteurs biologiques. » Lors de ses années de pratique, le neuropsychiatre a constaté que la schizophrénie touche des patients de plus en plus âgés. « Lorsque j’étais enfant, les patients commençaient à délirer à l’âge de 14 ou 15 ans. Aujourd’hui, la schizophrénie peut commencer vers l’âge de 22, 23 ou 24 ans. » Selon ce neurophsychiatre, c’est la diminution de la maltraitance familiale qui en est l’une des causes : « Le martinet était une méthode éducative. On pensait qu’il fallait dresser les garçons. Car si on ne les fouettaient pas, ils risquaient de devenir des bêtes sauvages. Il fallait aussi entraver les filles. Sinon on craignaient qu’elles ne deviennent des prostituées. Ces méthodes ne sont heureusement plus des préceptes éducatifs. Auparavant, il y avait aussi 97 % de familles de paysans ou d’ouvriers. Si un enfant faisait mal son travail, ou s’il désordonnait le groupe familial, il était tout de suite rejeté. Aujourd’hui, quand un jeune patient commence à manifester des troubles psychotiques, les familles sont beaucoup plus tolérantes qu’avant, elles essaient de l’aider. Malheureusement, on constate aussi aujourd’hui que dans une famille où il y a un schizophrène, il y a 4 fois plus de dépression que dans la population générale. »

 

(1) Les âmes blessées de Boris Cyrulnik (Odile Jacob), 232 pages, 22,90 euros.

(2) Boris Cyrulnik est aussi directeur d’enseignement à l’université de Toulon.

 

« Psychiatre dès mon enfance »

Devenir psychiatre est une vocation qui s’est très tôt imposée à Boris Cyrulnik, « dès l’âge de 11 ans. » Car cet enfant juif rescapé des rafles, voulait comprendre les drames qu’il venait de vivre. Pourquoi ses parents étaient morts dans un camp de concentration. Et pourquoi, à l’âge de 6 ans seulement, il a été arrêté par des hommes armés. « À cause de la guerre, du fracas de mon enfance, je croyais que la psychiatrie allait m’aider à comprendre la folie du nazisme. J’ai donc été, très jeune, atteint par la rage de comprendre. Pour maîtriser ce monde et ne pas y mourir, il fallait comprendre. C’était ma seule liberté. La nécessité de rendre cohérent ce chaos affectif, social et intellectuel m’a rendu complètement psychiatre dès mon enfance. » Pour aider les victimes de traumatismes profonds, Boris Cyrulnik a travaillé pendant près de 30 ans sur la notion de « résilience » : cette capacité de l’être humain à reprendre un développement sain après avoir été en état d’agonie psychique. Théorisée par la psychologue américaine Emmy Werner, cette notion a ensuite été vulgarisée et développée en France à travers une vingtaine de livres.