samedi 20 avril 2024
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« Dans le cercle financier à Monaco, tout le monde consomme »

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Quatre courtiers en bourse britanniques et leurs trois dealers comparaissaient devant le tribunal pour consommation ou trafic de cocaïne. Les consommateurs ont écopé d’un an de prison avec sursis. Leurs fournisseurs feront de la prison ferme.

 

Ce serait presque devenu banal et facile de trouver de la cocaïne en Principauté. En trois ans, c’est la quatrième affaire d’envergure de consommation et trafic de stupéfiants qui occupe les juges du tribunal correctionnel. Sur le banc des prévenus, quatre traders irlandais et anglais en costume sur mesure et chaussures cirées. Dans le box des détenus, deux hommes en chemises blanches et sourires crispés. Ce Français et cet Arménien sont tous les deux accusés de trafic de cocaïne et de MDMA (méthylènedioxyméthamphétamine, une molécule de la famille des amphétamines, N.D.L.R.). Avec un autre homme de nationalité ukrainienne, ils seraient les fournisseurs de quatre courtiers au salaire mensuel confortable à 5 ou 6 chiffres. « Comme à chaque fois dans ce genre d’affaire, celle-ci débute par une dénonciation anonyme… » entame Jérôme Fougeras-Lavergnolle, président du tribunal. Deux frères à la carrure de rugbymen prendraient sans vraiment se cacher de la cocaïne au Jack Monaco, un restaurant situé sur le port Hercule. Les écoutes téléphoniques de la police sont fructueuses. Sept personnes sont interpellées en septembre 2015.

 

30 000 euros

Face à leurs juges, les gros consommateurs britanniques assument leur responsabilité. En deux ans, ils auraient acheté de 200 à 300 grammes de cocaïne chacun. « Dans le cercle financier à Monaco, tout le monde consomme » estime D.Q.. Après un passage par la City de Londres, les hommes auraient intensifié leur consommation en Principauté, à cause « du stress de leur métier » et de « l’esprit festif de Monaco ». Et ils étaient prêt à y mettre le prix : de 100 à 150 euros le gramme. L’un d’eux a même dépensé 30 000 euros pour sa consommation en deux ans. Très facile aussi de trouver en Principauté des fournisseurs efficaces. M.S., dit « Mario », un jeune homme de 28 ans, reconnaît qu’il pouvait trouver la marchandise pour ses clients. « Ils en avaient toujours besoin. Malheureusement en vivant à Nice, c’est très facile pour moi de savoir où en trouver » explique-t-il à la cour. Père de famille sans profession, ce Niçois a déjà plusieurs condamnations dans son casier français, alors qu’il était mineur. « Je sais où trouver de la cocaïne ou du shit. Je sais même où trouver une voiture volée ! » réagit-il. Sur les trois présumés dealers, c’est le seul à reconnaître a minima son activité.

 

Easy

Tout près de lui, S.M., dit M. Serge, s’impatiente. Il ne dit jamais avoir vendu, mais « avoir rendu des services ». Le jour de son arrestation, M. Serge, au lourd passé judiciaire, se trouve avec deux Arméniens. L’un recherché pour meurtre, l’autre pour proxénétisme aggravé. Il s’est surtout délesté dans les toilettes de l’établissement sur la plage du Larvotto où il se trouvait, de cocaïne, d’ecstasy et d’autres stupéfiants. Sur lui, il transporte alors 17 350 euros en liquide. Les perquisitions menées dans son logement de Beausoleil sont révélatrices : 56 grammes de cocaïne, 55 grammes de bicarbonate de soude « servant à couper la cocaïne », une balance et deux ecstasys. « Vos premières déclarations font sourire. Vos explications sont fantaisistes ou farfelues. Champagne, pizza, tableau de maître d’art ou carrément préservatif : voilà ce que vous achetiez pour vos clients », rappelle Jérôme Fougera-Lavergnolle. Les explications du dernier prévenu, M.E., dit Easy sont elles aussi rafraîchissantes. « On vous prénomme Easy car avec vous c’était facile » souligne le président. S’il admet être un consommateur, il ne veut pas être comparé à un dealer. « Monsieur le juge, je vous demande d’être un peu plus ouvert. Je ne suis pas quelqu’un de mauvais comme vous voulez le voir. »

 

Interchangeable

Easy travaille pour un milliardaire résidant à Monaco, qu’il dit avoir rencontré au Twiga. Payé 10 000 euros par mois, il était chargé de trouver « des jolies filles et de la cocaïne » pour son patron. Pourtant, la police a recueilli de nombreux témoignages le désignant comme un dealer. « Il y a un message à faire passer. Les consommateurs sont dans une volonté d’ignorance. Ils ont un rôle, car ce sont eux qui font venir les vendeurs en Principauté », explique Alexia Brianti, substitut du procureur. Pour les quatre consommateurs, elle réclame 18 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende. « Dans ce milieu de la finance britannique, c’est presque anormal de ne pas consommer. Ils ont ramené leurs mauvaises habitudes avec eux. » Mais les réquisitions les plus lourdes touchent les trois présumés dealers. Un an ferme contre Easy, trois ans ferme contre M.S. et cinq ans ferme contre S.M.. Me Jean-Charles Gardetto veut sensibiliser les juges sur le cas de son client qui a été licencié : « Aujourd’hui, ce n’est plus le même homme. » L’ensemble des avocats des consommateurs demande un sursis moins conséquent. « La peine requise est excessive. L’avertissement a été suffisant » développe Me Thomas Giaccardi. La tâche est plus difficile du côté de la défense des présumés dealers. « Il a répondu à une sollicitation. C’était bien pratique pour éviter d’aller faire ses courses soi-même. Mon client était indispensable, mais aussi interchangeable, pour la satisfaction d’un vice », a résumé Me Gérard Baudoux. Le 26 juillet, les quatre britanniques ont été condamnés à un an de prison avec sursis et des amendes comprises entre 10 000 et 20 000 euros. Easy a écopé d’un an de prison ferme, M.S. de 30 mois ferme et S.M. de cinq ans ferme.