jeudi 28 mars 2024
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Frédéric Ramos : « La photo d’un plat sur Instagram, ça ne fait pas tout »

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En 2022, les concours de cuisine amateurs continuent de rencontrer un grand succès. Frédéric Ramos, chef du restaurant Azzurra Kitchen au Novotel Monte-Carlo, vice-président de l’association Monaco Goût et Saveurs, et membre du jury du concours de cuisine amateur Maestro Chef organisé par Caroli Com, analyse ce phénomène pour Monaco Hebdo.

Quel regard portez-vous sur la montée en puissance des concours de cuisine réservés aux amateurs ?

Je suis contre les concours de cuisine à la télévision, parce que c’est de la télé-réalité, donc ce qui est montré ne reflète pas la réalité des choses. On fait croire aux gens qu’en claquant des doigts, on peut devenir, même pas un simple cuisinier, mais carrément un chef. Ce qui est faux, car, normalement, il faut au moins deux ans d’apprentissage, puis enchaîner par plusieurs années d’expérience avant de pouvoir devenir chef. Je connais de grands chefs qui ont participé à ce genre d’émission qui m’ont expliqué comment ça se passe. Je fais ce métier depuis 1982 et j’en apprends encore tous les jours. J’ai obtenu ma première place de chef en 1993. Il y a beaucoup d’échelons à passer.

Vous ne voyez vraiment rien de positif dans les concours de cuisine à la télévision ?

La seule chose que je trouvais positive dans les concours de cuisine à la télévision, c’est que ça pouvait donner envie aux jeunes de faire ce métier, car il y a une forte audience. Mais j’y crois de moins en moins, car, aujourd’hui, on a beaucoup de mal à recruter. En revanche, les autres concours de cuisine amateurs, comme Maestro Chef, je trouve ça très bien.

Pourquoi ?

À la télévision, les gagnants repartent avec un gros chèque, ou avec les moyens d’ouvrir un restaurant. En 2002, j’ai eu mon restaurant à Antibes, sur les remparts. Il s’appelait la Jarre. Il est devenu aujourd’hui le Figuier de Saint-Esprit. C’est désormais Christian Morisset qui possède ce restaurant, qui affiche une étoile au Michelin. Or, diriger un restaurant est très complexe. Pourtant, en seulement quelques mois, les candidats de ces émissions de télé-réalité deviennent chef, et même patron de leur propre restaurant. Ce n’est pas possible. C’est dommage de faire croire ça aux gens. En revanche, dans un concours de cuisine comme Maestro Chef, les participants ne se prennent pas pour des chefs de cuisine. Ce sont des amateurs. Mais il n’est pas nécessaire d’être chef pour savoir faire de la bonne cuisine. Nos mères et nos grands-mères n’étaient pas chefs, et c’est aussi grâce à elles que l’on fait ce métier.

L’édition 2021 du concours de cuisine amateur Maestro Chef s’est déroulée dans vos cuisines : en tant que chef, pourquoi vous impliquer dans un concours de cuisine de ce genre ?

Depuis des années, Maestro Chef se déroule pendant le salon de la Gastronomie, qui a habituellement lieu au mois de novembre, sous le chapiteau de Fontvieille. Ces amateurs font preuve de beaucoup de créativité, pour imaginer des plats à partir de produits bruts qu’on leur donne. J’apprécie cela. Les six candidats de l’édition 2021 de Maestro Chef, pour laquelle j’ai fait partie du jury, ont montré de belles choses.

Vous êtes aussi impliqué dans l’association Monaco Goût et Saveurs ?

Depuis 2010, je suis vice-président de l’association Monaco Goût et Saveurs, présidée par le chef Joël Garault. On se déplace dans les écoles, et on organise des concours de petits chefs qui se déroulent souvent à l’école hôtelière de Monaco. J’adore faire des concours de cuisine avec des enfants, c’est vraiment mon truc. Avec les enfants, il y a toujours beaucoup de surprises.

« Faire trop compliqué est une erreur dans ce genre de concours. Parce qu’en voulant innover un peu trop, et en se lançant dans quelque chose de très compliqué, on risque de se planter. D’ailleurs, cette année, la personne qui a proposé une cuisine plus commune a remporté ce concours. » Frédéric Ramos. Chef du restaurant Azzurra Kitchen au Novotel Monte-Carlo, vice-président de l’association Monaco Goût et Saveurs, et membre du jury de Maestro Chef 2021 (ici les candidats de l’édition 2022). © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Je suis contre les concours de cuisine à la télévision, parce que c’est de la télé-réalité, donc ce qui est montré ne reflète pas la réalité des choses. On fait croire aux gens qu’en claquant des doigts, on peut devenir, même pas un simple cuisinier, mais carrément un chef »

Comment jugez-vous la qualité des plats qui vous ont été présentés à L’occasion de cette nouvelle édition de Maestro Chef ?

Le jury a été surpris par la qualité des plats, notamment pendant les demi-finales. Franchement, c’était très sympa et plein de créativité. Ce qui m’a plus étonné, ce sont les idées de certains candidates et candidats. Le plat qui a remporté cette édition de Maestro Chef 2021 pourrait sans problème être servi en plat du jour dans notre restaurant. Nous avons donné aux participants des produits qu’ils n’utilisent pas tous les jours dans leur cuisine, comme le chou kale, la truffe ou le topinambour, et ils sont arrivés à imaginer de belles choses avec.

Quelles sont les erreurs commises le plus fréquemment par les candidats ?

Faire trop compliqué est une erreur dans ce genre de concours. Parce qu’en voulant innover un peu trop, et en se lançant dans quelque chose de très compliqué, on risque de se planter. D’ailleurs, cette année, la personne qui a proposé une cuisine plus commune a remporté ce concours. Donc ce n’est pas parce qu’on va chercher une recette très sophistiquée pour sortir du lot qu’on va être le meilleur. Il faut faire ce qu’on sait faire, il faut faire sa cuisine. Il ne faut pas chercher à épater le jury.

Pour cette édition 2021 de Maestro Chef, la lutte contre le gaspillage a aussi été un critère de notation : en quoi cela est-il important aujourd’hui ?

Un bon cuisinier sait depuis longtemps qu’il doit gaspiller le moins possible. Aujourd’hui, la lutte contre le gaspillage a refait surface, parce qu’on est dans un mouvement global d’écologie. Mais pour moi, cela ne date pas d’aujourd’hui. Quand j’ai un produit, j’essaie de l’utiliser entièrement, ou au maximum, en tout cas. Cela peut aussi être une source de créativité : comment, avec un seul produit, faire deux choses différentes ? Avec les arêtes de poisson, on fait des fumets de poisson, avec les os de viande on fait des jus… On ne jette presque rien. Donc ajouter ce critère dans un concours de cuisine amateur, c’est important, car cela démontre qu’à la maison, il est possible de faire pareil.

Vainqueur de Top Chef, Jean Imbert a remplacé le chef monégasque Alain Ducasse dans les cuisines du Plaza Athénée le 1er juillet 2021, et il a ouvert le 5 janvier 2022 : le symbole est fort, mais quel regard portez-vous sur cette ascension ?

Je ne connais pas personnellement Jean Imbert, donc je ne peux pas me permettre de critiquer. Peut-être qu’il a un talent fou. Aujourd’hui, pour réussir, il faut réaliser des plats « Instagrammables », il faut être très présent sur les réseaux sociaux, il faut participer à des émissions de télévision… On parle aussi beaucoup de Cyril Lignac. Mais Cyril Lignac est loin d’être un Alain Ducasse, un Jacques Maximin, un Alain Chapel (1937-1990), un Pierre Troisgros (1928-2020), ou un Paul Bocuse (1926-2018). Comment peut-on remplacer Alain Ducasse par Jean Imbert ? Comment cela est-il possible ?

© Photo DR

« On parle aussi beaucoup de Cyril Lignac. Mais Cyril Lignac est loin d’être un Alain Ducasse, un Jacques Maximin, un Alain Chapel (1937-1990), un Pierre Troisgros (1928-2020), ou un Paul Bocuse (1926-2018). Comment peut-on remplacer Alain Ducasse par Jean Imbert ? Comment cela est-il possible ? »

Comment a réagi le milieu des chefs professionnels après ce spectaculaire changement au Plaza Athénée ?

On a tous été étonnés. Mais, on entend beaucoup parler de Jean Imbert sur les réseaux sociaux et à la télévision. Il est très médiatique, il s’affiche avec des stars et des “people”. Mais pour moi, on n’est plus dans le domaine de la gastronomie. C’est de la cuisine paillette. Et c’est une suite logique à la télé-réalité. Mais ces cuisiniers venus de la télé-réalité sont, pour la plupart, des cuisiniers éphémères. Or, les plus grands chefs ne s’arrêtent jamais, ils meurent dans leur cuisine. À 73 ans, Jacques Maximin est chef à l’école d’Alain Ducasse, et il restera jusqu’au bout.

Mais, en 2022, difficile d’échapper au poids des réseaux sociaux pour un chef ?

La photo d’un plat sur Instagram, ça ne fait pas tout. La cuisine, c’est le visuel, mais c’est aussi le goût. Aujourd’hui [cette interview a été réalisée le 6 janvier 2022 — NDLR], mon plat du jour, c’est un petit salé aux lentilles. Or, ça ne donnerait pas une photo très « Instagrammable ». Mais ça mijote depuis 7 heures du matin, et le goût sera extraordinaire. J’ai mis dedans deux talons de jambon ibérique, et de bons légumes revenus avec le gras du cochon. Mais cela n’apparaît pas sur une photo ou sur des images diffusées à la télévision.

Les concours de cuisine amateurs, c’est l’avenir de la cuisine professionnelle ?

Pourquoi pas ? Avant, on exerçait un métier à partir de 18 ou 20 ans, et on n’en changeait pas. Aujourd’hui, c’est différent. Les gens peuvent faire deux ou trois métiers dans leur vie. Peut-être que les concours de cuisine amateurs peuvent permettre de révéler des talents cachés, et offrir à certains la possibilité de faire une reconversion. Or, actuellement, on manque beaucoup de main-d’œuvre. Les jeunes sont moins attirés par notre métier. Ça fait longtemps que ce phénomène a commencé. Mais là, on atteint des sommets.

Qu’est-ce qui rebute les candidats potentiels ?

Notre métier implique beaucoup de rigueur. La cuisine, c’est un peu l’armée. Ma génération, et c’est sans doute la dernière, a subi des choses qu’on ne pourrait pas faire subir à nos enfants aujourd’hui. D’ailleurs, mes enfants sont dans ce métier aussi. À mon époque, j’ai travaillé jusqu’à 15 heures par jour, parfois sans aucun jour de congé pendant l’été. Et avant, l’été ne durait pas un mois et demi. Il durait six mois, du 15 avril au 15 octobre. Pendant cette période, quand on avait une demi-journée de congé de temps en temps, on était content. On ne gagnait pas d’argent, mais on apprenait le métier. On se satisfaisait de ça. Aujourd’hui, tout ça n’est plus possible. Il y a eu trop d’abus. Désormais, notre métier a mauvaise réputation, alors on essaie de changer ça. Mais ça prend du temps.

Que faire pour changer cette image négative ?

Au Novotel, depuis dix ans, j’ai une équipe du matin et une équipe du soir. Les salariés ne terminent donc plus à 15h30 pour reprendre à 17h30, et rentrer chez eux vers minuit. Mais ce n’est pas pour ça que j’arrive à trouver plus de candidats. Heureusement, mon équipe est stable. Donc je ne me plains pas.

1) Le chef monégasque Alain Ducasse était présent au Plaza Athénée depuis 2 000, soit 21 ans. À ce sujet, lire notre article Alain Ducasse et le Plaza Athénée, c’est fini, publié dans Monaco Hebdo n° 1199.