jeudi 18 avril 2024
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Conseil national : « Désormais,
le défi est social et économique »

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Juste avant la séance législative du 16 juin 2020, les élus du Conseil national ont tenu une conférence de presse pendant laquelle ils ont évoqué les textes à voter. Il a aussi été question de l’après crise sanitaire et de la relance économique et sociale, nouvelle priorité des conseillers nationaux.

Bien sûr, il n’a pas été question de minimiser la circulation du virus. « Le Covid-19 est toujours là, et il faut continuer d’être prudent », a indiqué le président du Conseil national, Stéphane Valeri, lors d’une conférence de presse, le 15 juin 2020. D’ailleurs, ce rendez-vous avec les médias était organisé avec les mesures de distanciation physique préconisées par le gouvernement et une diffusion en direct sur YouTube était aussi proposée aux journalistes qui ne souhaitaient pas se déplacer dans l’hémicycle. Mais, très vite, Stéphane Valeri est revenu sur les positions prises la semaine dernière (lire Monaco Hebdo n° 1156) : « Aujourd’hui, le défi n’est plus sanitaire, aujourd’hui le défi qui est devant nous, il est économique, et donc social. » Pour le président du Conseil national, il ne faut surtout pas stopper « brutalement » les aides apportées aux acteurs économiques de la principauté, sous peine de graves conséquences sociales : « Dégressivité et discernement par secteur d’activité, doivent guider le gouvernement dans cette période difficile. Nous n’en sommes qu’à une utilisation de moins de la moitié des crédits votés à fin juin, nous avons donc de la marge. En revanche, il faut aussi mettre en place des contrôles afin d’éviter que certains profitent injustement d’un effet d’aubaine. » Evoquant une somme de 300 millions d’euros d’aides, Stéphane Valeri a donc laissé entendre qu’il resterait, à ce jour, plus de 150 millions d’euros disponibles. Et selon les élus du Conseil national, qui parlaient donc d’une seule voix au nom de « l’union nationale » face à une crise sanitaire sans précédent dans l’histoire récente de la principauté, il y a donc urgence car certains secteurs sont en grave danger. Le président de la commission des finances et de l’économie nationale, Balthazar Seydoux, a insisté : « On ne lâchera pas le gouvernement sur le plan des aides aux acteurs économiques impactés par la crise. C’est essentiel. Nous sommes à un tournant au moment de relancer l’économie. Il y a deux approches : soit on continue soit on stoppe les aides. Clairement, le Conseil national est pour que ça continue. Le gouvernement ne doit pas hésiter. » Promettant de veiller à ce que cette demande soit bien suivie d’effets, Balthazar Seydoux a rappelé que la nouvelle commission d’aide à la relance économique, la Care, la commission d’aide à la relance de l’économie, était justement là pour ça. « A Monaco, nous pouvons prendre soin des activités qui en auront vraiment besoin. Et même au cas par cas. Notre taille et la structure de notre modèle économique et social nous le permettent », a ajouté le président de la commission des finances et de l’économie nationale du Conseil national. Mais pas question non plus de faire n’importe quoi avec l’argent public : « Attention, bien sûr, il ne s’agit pas de distribuer de l’argent à tout va au prétexte de la crise et nous sommes comme toujours très attentifs et soucieux de la bonne utilisation de l’argent de l’Etat », a promis Balthazar Seydoux. Puis, cet élu a cité trois métiers qui, selon lui, souffrent particulièrement : « Sur le Rocher, les commerçants que j’ai reçu m’ont dit qu’ils faisaient entre 15 et 30 euros de chiffre d’affaires par jour, contre plus de 1 000 euros par jour avant la crise sanitaire. Les 90 taxis de la principauté doivent se partager 50 à 60 courses par jour, ce qui équivaut à 30 euros par jour. Enfin, les restaurateurs qui ont une petite salle et qui n’ont pas de terrasse, comment faire avec une distanciation de 1,50 mètre, contre 1 mètre en France ? Ces secteurs d’activité ont envie de travailler, mais les conditions ne sont pas réunies », raconte ce conseiller national.

« Crise exceptionnelle »

Avant de revenir sur l’ordre du jour de la séance législative qui devait se dérouler dans la soirée du 16 juin 2020 (Monaco Hebdo bouclait ce numéro ce jour-là), l’élue Horizon Monaco (HM), Béatrice Fresko-Rolfo, est revenue sur la loi sur l’interdiction des licenciements via l’article 6 votée par le Conseil national, mais contestée par le président de la fédération des entreprises monégasques (Fedem), Philippe Ortelli (lire notre article publié dans Monaco Hebdo n° 1156). « Nous avons vécu une période de crise exceptionnelle, a rappelé cette élue. Une période qui a eu des conséquences économiques et sociales. Ces conséquences perdurent d’ailleurs. Dans cette période de crise il était nécessaire de sauvegarder la paix sociale. Je rappelle qu’elle est un pilier de notre régime, de notre pays. Dans la loi adoptée par le Conseil national, le législateur n’a pas remis en question l’article 6, il l’a juste suspendu pour une période donnée, période qui se termine le 18 juin 2020. » Avant de s’adresser plus directement au président de la Fedem : « Je dirais juste à M. Ortelli, Monsieur que je respecte, que ce n’est pas le moment de déclencher une rupture de cette paix sociale. Ce serait même irresponsable. » En tout cas, la Fedem a déposé un recours contre ce texte devant le tribunal suprême, estimant que cette loi n’est « pas en accord avec la Constitution » monégasque. Un point de vue balayé par Stéphane Valeri : « Nous sommes sereins, ce texte est équilibré. Il n’y avait pas lieu à lancer un recours devant le tribunal suprême. L’atteinte à la liberté du droit du travail de l’employeur est limitée dans le temps et justifiée par une période tout à fait exceptionnelle dans l’histoire de l’économie. C’est pour ça que nos juristes ont estimé que cette atteinte proportionnée et limitée est tout à fait compatible avec la Constitution. » Puis, le président du Conseil national a pris le temps de rappeler qu’avec le chômage total temporaire renforcé (CTTR), l’Etat a investi des dizaines de millions d’euros. « Mais là, le libéralisme de M. Ortelli ne l’a pas empêché, lui et les adhérents de sa fédération, d’encaisser cet argent public », a ironisé Stéphane Valeri. Avant d’ajouter : « Si un idéologue ultra-libéral vient nous dire qu’il est hors de question que l’Etat touche à mon entreprise, et ce quelles que soient les circonstances, alors il ne prend pas l’argent de l’Etat. Il doit dire : « Je n’accepte pas la nationalisation de ma masse salariale. » Car c’est ça qu’il s’est passé. L’Etat monégasque a payé jusqu’à plus de 20 000 salaires tous les mois de personnes mises au CTTR. » Réclamant « un peu de respect des êtres humains et de reconnaissance pour les salariés », le président de l’assemblée a souligné à son tour que les mesures fixées par cette loi prendront fin le 18 juin 2020 : « Or, le recours de M. Ortelli sera étudié dans plusieurs mois. Donc ce recours ne relève pas de la défense des intérêts des entreprises. Il relève de la défense d’une idéologie. Je pense que, comme l’a dit Mme Fresko, ce n’était pas le moment. » Pour clore ce sujet, l’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda, est revenu sur les fondements de cette loi, rappelant que « si les gens s’étaient comportés correctement, et avec une certaine humanité, on n’aurait pas eu à faire cette proposition de loi. Des cas concrets de licenciements injustifiés nous ont été présentés, et ça a choqué tout le monde. Nous avons voulu soutenir ces gens. Nous sommes dans notre rôle ».

© Photo Conseil National.

Evoquant une somme de 300 millions d’euros d’aides, Stéphane Valeri a donc laissé entendre qu’il resterait, à ce jour, plus de 150 millions d’euros disponibles

Nouvelle approche budgétaire

Les élus ont ensuite évoqué les trois projets de loi et la proposition de loi qu’ils devaient voter dans la soirée du 16 juin 2020. Le président de la commission pour le suivi du fonds de réserve constitutionnel et la modernisation des comptes publics, Jean-Louis Grinda, a évoqué la proposition de loi sur l’instauration d’une loi de résultat budgétaire final. Objectif de ce texte : dresser un bilan de l’action gouvernementale pour une année donnée. Chaque année, les élus étudient deux lois de budget : le budget primitif, déposé fin septembre et voté en décembre de l’année précédente, et le budget rectificatif examiné en octobre de l’année en cours. « Une fois passé ce dernier vote, il n’y a plus de débat public entre le gouvernement et le Conseil national. Comment les élus peuvent-ils étudier le budget primitif suivant sans connaitre précisément le résultat exact et chiffré de l’année écoulée ? », demande Jean-Louis Grinda. Epaulés par le conseiller-maître honoraire à la cour des comptes en France, Jean-Raphaël Alventosa, les élus ont donc imaginé une nouvelle approche budgétaire « afin de se rapprocher des standards existants dans les grandes démocraties », a souligné le président de la commission pour le suivi du fonds de réserve constitutionnel et la modernisation des comptes publics. Cette nouvelle approche prévoit notamment « l’examen et le vote en séance publique d’un résultat annuel définitif des actions menées, le regroupement de l’ensemble des dépenses de politiques publiques au sein du budget pour ne plus appauvrir le fonds de réserve constitutionnel, et enfin la réalisation d’un véritable bilan du patrimoine de l’Etat, avec des règles claires de valorisation des terrains publics », a conclu Jean-Louis Grinda. Concernant les projets de loi, l’élu Pierre Bardy a évoqué le texte sur la « domiciliation d’une activité professionnelle dans un local à usage d’habitation dont l’Etat est propriétaire ». L’idée principale est d’apporter des « solutions qui permettent de dynamiser l’entreprenariat local, et je pense à ce titre également à l’ouverture prochaine du MC Boost, centre d’affaires domanial à loyer préférentiel pour les monégasques, qui sera un véritable complément à ce projet de loi », a avancé Pierre Bardy. Ce projet de loi permet de reconnaître un droit à la domiciliation d’une activité professionnelle, exercée en nom personnel ou en société, dans un local à usage d’habitation dont l’Etat est propriétaire. Il encadre aussi les conditions, et notamment il supprime la surtaxe payée par les locataires monégasques, et sa non-limitation dans le temps. Autant d’atouts supposés séduire et doper l’engagement entrepreneurial. Le projet de loi suivant concerne les élections nationales et communales et il vise à « simplifier les conditions et modalités d’exercice du vote par procuration, en attendant que le vote électronique soit mis en place en principauté », a expliqué la conseillère nationale, Marine Grisoul. Ce texte devrait donc rendre service aux Monégasques qui se trouvent à l’étranger et qui ne peuvent pas physiquement être présents en principauté le jour du vote. « Aujourd’hui, vous ne pouvez pas voter par procuration si vous êtes en déplacement pour des vacances… Avec ce texte, ça sera possible ! Les justificatifs demandés, actuellement très complexes, seront allégés, avec une simple attestation sur l’honneur, et les documents pourront être adressés à la mairie par un procédé électronique sécurisé », a détaillé Marine Grisoul.

© Photo Conseil National.

Stéphane Valeri a annoncé qu’il allait lancer un nouveau think tank [groupe de réflexion — N.D.L.R.], appelé Demain Monaco, sur le modèle de celui qu’il avait lancé en 2009

« Recettes »

Enfin, le dernier projet relève d’une thématique sur laquelle a longuement insisté Stéphane Valeri : le développement de nouvelles sources de recettes pour la principauté. « On a déjà voté depuis le début du mandat, plusieurs lois sur l’économie numérique pour accompagner le développement, avant la crise, demain encore une loi sera votée sur les offres de jetons ou pour la suppression de la surtaxe pour la domiciliation d’une activité professionnelle dans les domaines. Globalement, on ne parle pas assez du rôle du Conseil national dans le développement des recettes de l’Etat », a regretté le président du Conseil national. Pour évoquer le sujet, très technique, des « offres de jetons », l’élu Franck Julien a fait de son mieux pour faire une présentation la plus simple possible : « Pour un entrepreneur, une offre de jetons est en fait une opération de levée de fonds. Mais au lieu de la faire par exemple en entrant en bourse, ce qui est toujours une opération complexe, l’entreprise qui veut lever des fonds propose à des investisseurs des jetons, qui sont en fait des biens numériques qui permettent d’accéder à des biens ou des services ou des droits. » Estimant que cette technique a « pris de l’ampleur ces dernières années » mais qu’elle a « souffert d’un manque de régulation », Franck Julien voit dans ce projet de loi la possibilité d’offrir « plus de régulation, pour en fait, plus d’attractivité ». Alors que la crise sanitaire liée au Covid-19 pourrait se traduire par des destructions d’emplois en principauté, l’heure est donc au renforcement de la diversification de l’économie monégasque. « Le gouvernement a annoncé lors du lancement du programme Extended Monaco son souhait que 10 entreprises par an puissent organiser des offres de jetons à Monaco. Cela se traduira forcément par des créations d’entreprises et des créations d’emploi. Le vote de ce projet de loi sur les offres de jetons sera un vecteur d’innovation et de dynamisme économique pour Monaco », assure Franck Julien, tout en insistant : « Le Conseil national prend donc toute sa place dans le développement des recettes et dans le développement de l’économie monégasque. » Et pour aller encore un peu plus loin dans cette direction, Stéphane Valeri a annoncé qu’il allait lancé un nouveau think tank [groupe de réflexion — N.D.L.R.], appelé Demain Monaco, sur le modèle de celui qu’il avait lancé en 2009. Pour l’animer, des élus, mais aussi des acteurs économiques, des chefs d’entreprises et des experts en prospective. Refusant de donner des noms « car c’est encore prématuré », Stéphane Valeri a rappelé qu’en 2009, son groupe de réflexion avait publié de « nombreuses propositions dont plusieurs ont été reprises par le gouvernement, au premier rang desquelles la mise en place du télétravail ». Cette fois, il s’agira de produire des idées efficaces et applicables dès les mois qui vont suivre. C’est en effet ce qu’exige le contexte actuel, face à une pandémie de Covid-19 qui laisse planer une menace bien réelle et très concrète sur l’économie. Selon une étude de l’assureur-crédit Coface publiée le 16 juin 2020, en France les faillites devraient bondir de 21 % d’ici fin 2021, et toucher plus de 60 000 entreprises. Ce qui représente environ 200 000 emplois directs. Et à Monaco ?

Chantiers publics « La relance oui, mais pas à n’importe quelles conditions »

Quel impact aura la pandémie de Covid-19 sur les chantiers publics ? A cette question, le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a répondu qu’il y aura « globalement un décalage dans le temps d’environ trois mois ». Sans exclure que les mesures sanitaires à respecter sur les chantiers puisse générer des retards supplémentaires, Stéphane Valeri a assuré que les projets « n’étaient pas remis en cause ». Le plan national logement va donc se poursuivre, tout comme les autres chantiers publics. « La relance passera par la commande publique, a repris le président du Conseil national. Si l’Etat ne le faisait pas, cela se traduirait par des dépôts de bilan à la chaîne chez toutes les entreprises du bâtiment. Ce qui représente des milliers d’emplois en principauté. » Mais, en parallèle, les élus du Conseil national ont rappelé récemment en séance privée avec le gouvernement qu’il ne s’agirait pas non plus « de faire n’importe quoi », alors qu’une année de discussions a été nécessaire pour décider de la mise en place d’un certain nombre de mesures pour préserver la qualité de vie à Monaco, notamment face aux nuisances provoquées par les chantiers. « Ce n’est pas parce qu’on déconfine qu’il faut reculer et revenir un an en arrière par rapport à la qualité de vie des riverains, a insisté Stéphane Valeri. Des efforts ont été faits sur les chantiers, mais on est encore loin d’être totalement satisfaits. Des chantiers font encore beaucoup de bruit à 1 heure du matin, alors qu’on nous avait promis une insonorisation de certains outils, et des chantiers modèles, comme en Corée du Sud. Il y a encore beaucoup à faire. Le bâtiment et l’immobilier sont importants pour l’économie de la principauté et ses recettes. Donc la relance oui, mais pas à n’importe quelles conditions. Pas au détriment de la tranquillité des habitants de ce pays. »