vendredi 26 avril 2024
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« On se moque des Monégasques »

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Présidence de la commission législation offerte à Nouvion, Jean-Sébastien Fiorucci président de l’Union des Monégasques, timing de la réforme des retraites… Juste avant l’assemblée générale de l’Union pour la Principauté, qui doit se tenir au Novotel le 17 avril, sa présidente Anne Poyard-Vatrican commente l’actualité politique du moment. Interview relue et amendée.

Monaco Hebdo?: L’UP va tenir son assemblée générale le 17 avril. Vous attendez une forte mobilisation??
Anne Poyard-Vatrican?: Après 11 années d’existence, nous avons l’habitude des assemblées générales. La première s’est tenue formellement en 2002… C’est un rendez-vous important pour nos adhérents, qui élisent leur comité directeur. Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est un moment d’échange important ouvert à tous au cours duquel nous donnerons nos positions sur certains sujets.

M.H.?: Serez-vous candidate à votre succession à la tête de l’UP pour mener une liste UP en 2013??
A.P.V?: Tout adhérent peut faire acte de candidature au comité directeur qui désignera dans un deuxième temps le président de l’UP. Pour autant, je tiens à rappeler que l’enjeu aujourd’hui n’est pas de savoir qui sera président de l’UP?! Pour nous, l’important est d’être en phase avec les Monégasques et leurs préoccupations et de nous recentrer sur nos valeurs. Aujourd’hui, il y a un emballement médiatique autour de la campagne pour les élections de 2013. C’est trop tôt et je ne voudrais pas en faisant de même que ce soient nos compatriotes les grands perdants?!

M.H.?: L’UP semble un peu absente des réunions publiques. Vous venez d’en organiser une sur la situation à la Société des bains de mer. Quels enseignements en tirez-vous??
A.P.V.?: Depuis un an nous avons organisé des commissions de travail sur le social, la nationalité, la SBM et bientôt, après l’AG, sur la fonction publique. Pour la SBM, j’ai eu à cœur de rencontrer tous les syndicats — et ils sont nombreux — pour recueillir leur sentiment et leur analyse de la situation. J’ai été frappée par la maturité des syndicalistes qui sont fiers de leur société et ont envie de s’investir pour elle. On aurait pu croire que, face aux déclarations de la direction, qui ne présente pas de chiffres, reproche aux salariés de gagner trop d’argent et avance un plan marketing bateau, ils seraient tous descendus dans la rue. Bien au contraire, ils se sont unis.

M.H.?: Selon le militant Jo Déri, l’UP n’a pas les forces suffisantes pour proposer une liste en 2013 et devrait donc s’allier avec l’UDM. Il propose même que Jean-Michel Cucchi négocie avec Robillon la composition de cette liste. Votre réaction??
A.P.V.?: Ses propos n’engagent que lui. Je ne pense pas que ce soit le moment aujourd’hui de céder aux calculs électoraux. Ce n’est en tout cas pas mon approche. Pour moi, un parti politique est formé par des gens qui partagent des valeurs communes. A partir du moment où il y a une adhésion de la population, sur des grandes orientations alors on décide de former une liste pour les élections. L’UP ne va pas renier ses valeurs pour être élu à tout prix?! Ce serait trahir nos adhérents de toujours et ceux qui nous ont élu l’UP en 2003 et 2008.

M.H.?: Peut-être mais vous ne pouvez pas nier que la loi électorale vous pousse à réfléchir sur une alliance possible avec l’UDM…
A.P.V.?: Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Si certains y consacrent toute leur énergie, c’est leur droit. Au sein de l’UP, nous procédons comme nous l’avons déjà fait en 2003 et 2008?: travailler sur un programme puis juger de l’opportunité d’alliances éventuelles en vue de présenter une liste cohérente pour 2013. Je pense que nous y verrons plus clair cet été. A ce stade, il est évident que nous ne partageons pas la vision de l’UDM sur le rôle que doit jouer le conseil national et son président. A l’UP, il est impensable que le conseil national reste passif, comme c’est le cas, par exemple, sur la SBM.

M.H.?: On reprochait à l’UP de politiser la SBM. Que peut faire le conseil national selon vous??
A.P.V.?: Il s’agit de faire de la politique avec un grand P c’est-à-dire de s’intéresser à l’avenir de la SBM et des 3?000 personnes qui y travaillent ainsi que leurs familles. C’est un point crucial pour la Principauté. Il faut que la direction soit à l’écoute et que sa stratégie ne se résume pas à un « chantage » sur ses salariés. L’intérêt d’un conseil national est d’être suffisamment fort et ferme pour pousser l’Etat, actionnaire principal de la SBM, à prendre ses responsabilités. L’Etat doit jouer son rôle social. La SBM, monopole des jeux, bénéficie d’un taux de redevance exceptionnellement bas de 13 % contre 48 % en France. La contrepartie pour cette société est de consacrer cet argent à son rôle social et sociétal.

M.H.?: Craignez-vous comme certains employés de la SBM que l’Etat vende ses parts de la société??
A.P.V?: Ce n’est pas parce que les temps sont durs que l’on doit mettre en danger cette société au nom de la recherche du profit et de la rentabilité à tout prix. La clientèle qui vient au casino de Monte-Carlo recherche une authenticité, un savoir faire et une part de rêve. On ne vient pas à Monaco comme on va à Dubaï. Si la direction ne définit pas une stratégie cohérente qui dépasse le ratio chiffre d’affaires/masse salariale, elle met la société en danger. C’est contre cela qu’il faut se battre.

M.H.?: Fiorucci président de l’UDM, pour vous, c’est compatible avec ses fonctions de chef de cabinet du président du conseil national??
A.P.V.?: A l’UP, on a toujours milité contre le cumul des fonctions et contre le mélange des genres. Pour moi, c’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Ce n’est pas une question juridique mais une question de déontologie. Chacun doit rester à sa place. Cette situation est malsaine. Un chef du parti — qui plus est celui du président du conseil national — ne doit pas être payé par l’Etat. Pour autant, je ne suis pas étonnée. Cette situation était à craindre. En janvier 2011, le chef de cabinet avait tenté un putsch pour prendre la présidence de l’UP, heureusement déjoué par un comité dirigeant de l’UP uni et respectueux de ses adhérents. Le jour venu, les Monégasques jugeront non sur les trafics de postes et de présidences mais sur des actes.

M.H.?: Laurent Nouvion, président de la commission de législation, ça vous choque??
A.P.V.?: Je pense surtout qu’on se moque des Monégasques. L’UDM affiche l’ouverture démocratique en proposant cette commission importante à l’opposition, mais aucun d’entre eux ne vote pour elle. Ce n’était donc qu’un effet d’annonce, une manipulation pure et simple qui fait que Laurent Nouvion, avec 4 voix, est le président de commission le plus mal élu de l’histoire?! C’est une commission très technique avec beaucoup de travail. Cela manque singulièrement de sérieux.

M.H.?: Vous pensez que ça risque de dysfonctionner??
A.P.V.?: L’histoire nous le dira. J’ai d’ailleurs été surprise que R&E accepte cette proposition. Aujourd’hui le conseil national a déjà du mal à planifier les réunions, alors gérer le travail d’un président de commission d’opposition et sans soutien de l’UDM, c’est de la science-fiction?! Espérons surtout que cela ne signifie pas l’arrêt des travaux jusqu’aux élections…

M.H.?: Qui bénéficie de ce coup politique selon vous?? La majorité ou l’opposition??
A.P.V.?: Ce qui est sûr, c’est que ce ne sont pas les Monégasques. On est loin de leurs préoccupations. Je remarque d’ailleurs qu’en ce qui concerne la liberté d’expression, et la représentation des Monégasques dans l’hémicycle, l’UDM a indiqué lors de la séance publique, qu’il n’était pas possible aux élus de prendre la parole pour motiver leur vote, ce qui est contraire au règlement intérieur. Quand on parle de liberté de parole et de démocratie…?!

M.H.?: Quels sont les enjeux aujourd’hui selon vous??
A.P.V.?: Dans un contexte économique difficile, Monaco doit tirer son épingle du jeu et sauvegarder son modèle social pour l’avenir de nos enfants. Il faut conserver notre âme, notre authenticité, notre identité qui font le succès de Monaco. Et pour cela, l’économie monégasque doit être en croissance pour pouvoir financer un tel modèle. Comme le revendique la campagne institutionnelle, Monaco joue un rôle à part dans le monde. C’est cet équilibre fragile qu’il faut savoir conserver en sachant préserver des fleurons économiques comme la SBM, moderniser notre administration…

M.H.?: La modernisation de l’administration monégasque est insuffisante selon vous??
A.P.V.?: L’attractivité, c’est bien sympathique. Mais dans les faits, même si des progrès ont été faits, les investisseurs et les usagers sont toujours confrontés à des règles administratives et des délais parfois surréalistes. La communication entre les départements de l’administration ne fonctionne pas. C’est une caricature. C’est ça que les gens vivent au quotidien?! Par ailleurs, pour soutenir la croissance, il faut des salariés donc il faut, entre autre, œuvrer pour le télétravail, renforcer l’assise des accords avec la SNCF pour faciliter l’accès à Monaco, etc.

M.H.?: Mais selon vous, le modèle économique de Monaco est-il toujours valable ou faut-il en changer??
A.P.V.?: Il faut préserver ce qui fonctionne dans le modèle actuel tout en développant d’autres pistes. C’est ce que nous avons voulu faire avec le livre blanc de Monaco 2029. Il est dommage que sur la cinquantaine de projets que nous avions bâtis dans ce club de réflexion émanant du conseil national, seuls certains comme l’Imsee aient été repris. Il faut regarder plus loin que le bout de notre nez et arrêter avec les projections au doigt mouillé. Nous devons savoir réinventer Monaco. Or, aujourd’hui, force est de constater que ce n’est pas le cas. Quand je demande par exemple un plan d’urbanisme général pour la Principauté, on me regarde comme si je disais un gros mot. Il n’y a pas de projection globale mais des décisions prises, opportunité par opportunité.

M.H.?: Vous avez été tenue au courant de la tour du Tenao??
A.P.V.?: Non. Qu’il y ait des projets de tours en principauté, et que des architectes imaginent des solutions, pourquoi pas?! Par contre, il faut une cohérence globale avec des études d’impact pour ne pas faire n’importe quoi. Pour Odéon, il n’y en a jamais eu ou alors ces études sont bien cachées… A l’horizon 2015, il y aura 177 familles monégasques dans la partie domaniale de la tour avec des enfants qui vont aller à la crèche, puis à l’école, des résidents qui vont se nourrir, qui ont besoin de commerces… L’offre commerciale et la circulation doivent être entièrement repensées. Aujourd’hui, il n’y a pas de visibilité pour ce quartier. Comme pour l’opération Testimonio d’ailleurs, pour laquelle les projets ont été jetés à la poubelle et qui comportaient de nombreux logements domaniaux?! Le conseil national n’a pas d’information depuis les séances budgétaires.

M.H.?: La loi sur le secteur protégé a été attaquée par le tribunal suprême par l’association des propriétaires. L’UP a toujours milité pour la création d’un secteur intermédiaire mais on ne voit rien venir…
A.P.V.?: L’UP a toujours été claire. Nous avons aujourd’hui un secteur protégé dont la libéralisation des loyers aurait eu pour conséquence de mettre les enfants du pays dehors. En 2004, nous avons encadré les loyers et encouragé les aides à la rénovation. Mais globalement, cela n’a pas rendu pour autant ces appartements plus modernes. Il faut donc trouver une solution de remplacement pour prendre le relais de ce secteur. Or, le secteur intermédiaire que nous proposons depuis 2003 est aujourd’hui au point mort. Et la Villa Ida programmée par le gouvernement n’a rien à voir avec la solution que nous préconisons.

M.H.?: Le problème reste que le gouvernement a dit niet au secteur intermédiaire??
A.P.V.?: Le gouvernement a rejeté le secteur intermédiaire comme il avait affirmé dans le passé qu’il était impossible d’instaurer le contrat habitation-capitalisation ou de légaliser l’interruption médicale de grossesse et j’en passe?! Il faut simplement le convaincre. Et ça ne se fait pas avec un simple échanges de lettres. Depuis 2003, l’UP a toujours fonctionné en poussant le gouvernement dans ses retranchements par son travail et ses contre-propositions.

M.H.?: Certaines procédures manquent de transparence comme l’a encore démontré l’attribution du local de Pizz’art. Pour le coup, le président du conseil national a tapé du poing sur la table. Vous le suivez??
A.P.V.?: Il a eu tout à fait raison. Mais il aurait dû également taper du poing en amont. L’UP s’est battue bec et ongles pour qu’il y ait une commission d’attribution des locaux commerciaux. Il est capital que cette transparence soit appliquée. Une des grandes forces du parlement est de se faire respecter auprès du gouvernement. Pour cela, il faut être proactif, faire remonter les informations pour pouvoir agir en temps voulu et éviter d’être mis devant le fait accompli.

M.H.?: Vous semblez dire que le conseil national est orphelin de Stéphane Valeri. C’est le cas de l’UP??
A.P.V.?: Stéphane Valeri insufflait une façon d’aller de l’avant, une dynamique au sein du conseil national. Le prince l’a choisi pour faire partie de son gouvernement, c’est un bel hommage. Je ne suis pas nostalgique, les choses sont différentes à présent. Au sein du parti, nous relevons le défi qu’au-delà d’un homme, l’UP représente des valeurs, une vraie force au sein de la population.

M.H.?: Aujourd’hui que Stéphane Valeri est au gouvernement, on ne peut pas dire que le secteur intermédiaire ait avancé. A-t-il défendu ce projet??
A.P.V.?: Stéphane Valeri est conseiller de gouvernement pour la Santé et les Affaires sociales et il a déjà plusieurs dossiers sur sa table. Je ne doute pas de sa fibre sociale et qu’à ce titre, il défende les principes du secteur intermédiaire. Pour autant ce dossier dépend également des autres conseillers pour les finances et pour l’équipement.

M.H.?: Le gouvernement prépare actuellement la réforme du système des retraites de la CAR. Un projet de loi doit être prochainement déposé sur le bureau du conseil national pour être voté en septembre. La période préélectorale vous semble-t-elle opportune pour voter une telle réforme??
A.P.V.?: En l’absence d’informations fournies pour le gouvernement, je peux simplement vous dire qu’il faut penser à l’évolution du modèle de retraites pour ne pas se retrouver dans la situation critique où se trouvent nos amis français aujourd’hui. Une évolution du système de retraites fait donc partie des décisions difficiles à prendre mais indispensables. Des critères d’alertes avaient été définis et acceptés par toutes les parties concernées à l’époque.
Quant au timing, il est certain que la période électorale n’est pas propice et que les vrais enjeux risquent d’être oubliés au profit d’une logique électoraliste moins glorieuse. Je crains que ce soient les Monégasques et le pays qui en pâtissent. Pour voter une loi de cette nature lourde de sens pour l’avenir, il faut de la sérénité.

M.H.?: Stéphane Valeri argue que l’urgence est de mise en septembre pour éviter que les allocations conjoints soient divisées de moitié si l’on ne prend pas de mesures??
A.P.V.?: Il est hors de question de mettre les gens touchés par cette échéance dans la difficulté, et je ne doute pas que Stéphane Valeri y veillera. Il y a certainement moyen de trouver une solution d’attente sans contraindre pour autant le conseil national à voter un texte de cette importance en période électorale. Dans le cas contraire, la nouvelle majorité issue des urnes en 2013 aurait beau jeu de dire que ce n’est pas la bonne loi…