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Dépistage massif du Covid-19 :
un bilan en demi-teinte

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Débutée le mardi 19 mai 2020, la campagne de dépistage massif du Covid-19 s’est achevée ce samedi 13 juin à Monaco. Avec un peu plus de 30 000 personnes dépistées sur potentiellement 90 000, le bilan est mitigé.

Très attendue par le gouvernement et le Conseil national, moins par la population et les salariés. C’est peut-être, en substance, ce qu’il faut retenir de cette vaste campagne de dépistage du Covid-19, qui s’est terminée le week-end du 13 et 14 juin 2020 en principauté. Le conseiller de gouvernement-ministre des affaires sociales et de la santé, Didier Gamerdinger, accompagné de Ludmilla Raconnat Le Goff et d’Alexandre Bordero, respectivement secrétaire générale du département des affaires sociales et de la santé et directeur de l’action sanitaire, a dressé un bilan de ce testing au cours d’une conférence de presse lundi 15 juin 2020.

Moins d’un résident sur deux testé

Il devait être « massif » et répondre à une demande forte de la population, selon la représentation nationale, qui réclamait ardemment ce dépistage massif depuis la fin mars 2020. Mais les chiffres fournis par le gouvernement, au cours du point presse, laissent à penser qu’il n’y a pas eu de ruée vers les centres de tests. D’après les autorités sanitaires, 31 004 personnes ont été testées à l’espace Léo Ferré ou au Grimaldi Forum, les deux sites dédiés au dépistage. 16 217 résidents (soit 43 % de la population) et 14 787 salariés se sont déplacés pour se faire tester. À ces 31 004 personnes testées dans les centres de tests, il faut également ajouter les populations qui ont été dépistées par ailleurs, à savoir la force publique, les personnels de la mairie ou encore les enfants scolarisés… Au final, ce sont près de 34 900 personnes qui ont répondu favorablement à l’appel du dépistage, qui rappelons-le, était gratuit et se faisait sur la base du volontariat. Ce qui représente donc environ 39 % des 90 000 personnes (38 000 habitants + 55 000 salariés) visées au début de la campagne. Un bilan somme toute mitigé, quand on sait que les autorités sanitaires monégasques ont utilisé tous les outils et campagnes de communication possibles tout au long de ces quatre semaines pour inciter les résidents et salariés de la principauté à venir se faire dépister (lire Monaco Hebdo n° 1155). En dépit de ces chiffres modestes, le ministre de la santé préfère voir le verre à moitié plein, rappelant qu’aucun objectif n’avait été fixé par le gouvernement : « On est satisfait. Nous pensions qu’il y avait une attente de la population. On voulait répondre à cette attente. […] Nous n’obligions personne, le test se faisait sur la base du volontariat, donc nous ne nous étions pas fixés d’objectif. Notre idée, c’était de faire une photographie grandeur nature. Nous avons testé toutes les personnes qui étaient volontaires. D’autres n’étaient pas volontaires, c’est leur droit, et nous le respectons totalement ». Didier Gamerdinger ne cherche d’ailleurs pas forcément d’explications à cette non-participation massive au dépistage. « Faire une enquête aurait été intrusif. Leur demander pourquoi ils ne sont pas venus, quelque part ce serait leur demander des comptes », s’est justifié le ministre de la santé.

© Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

Faible séroprévalence

Quoi qu’il en soit, les personnes volontaires ont obtenu une réponse à leur interrogation. Elles savent au moment du test, donc à un instant T, si oui ou non, elles ont été en contact avec le virus. Ce qui, rappelons-le, ne garantit en rien une immunité à l’heure actuelle (lire Monaco Hebdo n°1153 et 1155). Au total, 983 tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) se sont révélés positifs (chiffre arrêté au vendredi 12 juin 2020), soit environ 2,8 %. Et parmi eux, 228 prises de sang (soit environ 0,67 % des 34 900 personnes testées, qui représentent 39 % de la population cible) ont confirmé le diagnostic de l’infection. Un décalage dans les chiffres qui s’explique par la sensibilité du TROD choisi par les autorités sanitaires monégasques : « On ne voulait manquer personne. Notre objectif était d’utiliser le TROD pour faire un premier tamis donc il fallait qu’il soit le plus fin possible et donc il est normal que l’on trouve des faux positifs », explique Alexandre Bordero. À l’heure où Monaco Hebdo bouclait ce numéro mardi 16 juin, ces résultats restaient partiels puisque certaines sérologies étaient toujours en attente. À noter par ailleurs qu’un seul test PCR positif a été recensé au cours de cette campagne. Il s’agissait d’une enseignante du lycée Albert Ier qui a pu être placée très rapidement en quarantaine, évitant ainsi la création d’un foyer de contamination (cluster). Cette faible prévalence constatée en principauté est en tout cas conforme aux estimations faites dans les régions voisines mais aussi à celles de l’Institut Pasteur qui évaluait, le 11 mai 2020 (1) à 2,9 % le taux d’infection en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Elle montre que la principauté a relativement été épargnée par le Covid-19 comme le confirme Alexandre Bordero : « Le virus a peu circulé chez nous. Je pense que les mesures que nous avons pu prendre de restrictions, de circulation et le confinement, ont pu y contribuer ». Quant au profil des personnes infectées, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions : « Nous n’avons pas encore étudié dans le détail les chiffres par catégorie. A priori, il n’y a rien de criant. On n’a pas trouvé d’explosion dans telle ou telle catégorie », a simplement indiqué le directeur de l’action sanitaire.

« Point zéro »

Autre objectif du gouvernement, cette campagne de dépistage massif doit aussi servir de « point zéro pour surveiller ce qui se passe en ville et voir si le déconfinement tel qu’on le met en place réussit », indique Alexandre Bordero. En d’autres termes, elle doit permettre de suivre l’évolution de l’épidémie en principauté, et ainsi d’alléger certains protocoles sanitaires ou d’anticiper un éventuel rebond de la maladie en mettant en place les mesures adéquates le plus tôt possible. « Aujourd’hui, bien malin qui peut dire qu’il n’y aura pas de rebond. Tous les experts donnent un avis mais je ne pense pas que quelqu’un puisse s’engager à 100 % sur un pronostic de ce qui va se passer », pense le directeur de l’action sanitaire qui rappelle que « depuis plusieurs semaines, une décision ministérielle oblige les médecins et les laboratoires à déclarer tout test et tout cas positif ». Alors que quelques foyers de contamination apparaissent çà et là dans le monde, le directeur de l’action sanitaire a tenu à rassurer indiquant qu’« aujourd’hui, la principauté de Monaco était beaucoup mieux armée », notamment en tests PCR. « C’était un problème en début de crise parce que personne n’en avait. Comme nos pays voisins, on manquait de réactifs pour faire ces tests, reconnaît Alexandre Bordero, mais on s’est armé depuis plusieurs semaines notamment à travers le centre scientifique qui peut réaliser jusqu’à 90 PCR par jour. Ce qui répond largement aux besoins de Monaco. On devrait contenir un éventuel rebond ». Le directeur sanitaire a enfin précisé en conférence de presse que toutes les données récoltées au cours du testing seront transmises à l’University College of London, afin de faire l’objet d’une publication : « Ces données intéressent les scientifiques qui vont pouvoir, sans doute, en tirer des enseignements. Mais il faut d’abord que l’on complète totalement nos données, qu’on les analyse et qu’on voit avec eux comment on peut les utiliser pour en faire une publication ». Une information surprenante puisqu’une utilisation des données par l’université britannique n’avait, jusqu’à présent, jamais été évoquée par les autorités sanitaires.

Objectifs atteints ?

Au lancement de la campagne, les objectifs du dépistage massif étaient multiples. Le ministre de la santé les a rappelés lundi lors du bilan. « Le premier objectif était de connaître la séroprévalence, c’est-à-dire le pourcentage d’une population qui a croisé la maladie. Nous souhaitions avoir cette information à grande échelle. Le deuxième objectif était de faire un point zéro sur la situation de l’épidémie à la levée du confinement. Enfin, le troisième objectif était psychologique à savoir écouter, répondre et rassurer la population ». Si, dans l’ensemble ces objectifs ont semble-t-il été atteints, il convient de les mettre en regard avec le taux de participation à cette campagne (environ 39 %). Moins d’un résident sur deux et environ un salarié sur quatre ont été testés au cours de ces quatre semaines, ce qui interroge forcément sur la fiabilité des résultats et sur les enseignements qu’il faut en tirer. En préambule de la conférence de presse, Didier Gamerdinger l’a d’ailleurs rappelé : « L’idée [de cette campagne — N.D.L.R.], ce n’était pas faire des projections comme les grands États, mais c’était avoir une idée grandeur nature ». Force est de constater qu’avec près de 60 % de non-participation, les résultats obtenus ne donnent qu’une tendance, et ne peuvent être extrapolés à l’ensemble de la population. S’il admet que « ça reste des projections tant qu’on n’a pas testé 100 % de la population », Didier Gamerdinger estime malgré tout que les résultats sont significatifs : « Nous sommes sur une projection. Quand vous projetez un taux de séroprévalence par rapport à 5 ou 10 % de votre population, vous avez une marge d’erreur. Quand vous faites cette même projection avec 40 à 50 % de votre population, vous réduisez forcément votre marge d’erreur ». Reste que cette projection partielle, a tout de même poussé le gouvernement princier à assouplir, dès vendredi, certains protocoles sanitaires (lire par ailleurs).

(1) Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France, Science, 13 May 2020 : eabc3517 DOI:10.1126/science.abc3517

Le dépistage massif en 10 chiffres*

31 004

C’est le nombre total de personnes qui ont été testées dans les centres de dépistage de la principauté, entre le mardi 19 mai 2020 et le samedi 13 juin 2020.

16 217 résidents et 14 787 salariés

Parmi les 31 004 personnes testées dans les centres de tests, 16 217 sont des résidents et 14 787 des salariés. Ce sont donc environ 43 % de la population qui a été testée et des salariés.

259 enfants de moins de 5 ans

Comme le nombre d’enfants de moins de 5 ans dépistés à Monaco. Par eux, 125 enfants de moins de 5 ans testées au Grimaldi Forum le mercredi 3 juin. Les autres ont été testés en crèche au cours de différentes journées de dépistage.

2 377 scolaires

2 377 enfants scolarisés (des plus petits à l’université) ont été dépistés.

5 368

Comme le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans dépistées à Monaco. Parmi elles, 700 à 800 ont été testées à leur domicile par les équipes mobiles de la Croix-Rouge et d’infirmiers bénévoles.

Environ 3 000

Comme le nombre de personnes dépistées par l’hôpital au centre hospitalier princesse Grace (CHPG).

983

C’est le nombre de tests rapides d’orientation diagnostique qui se sont révélés positifs au cours de la campagne de dépistage. Pour 228 d’entre eux, la sérologie a permis de confirmer le diagnostic de l’infection.

1

Comme le nombre de test PCR positif détecté au cours de cette campagne de dépistage. Il s’agissait d’une enseignante du lycée Albert Ier qui a pu être placée très rapidement en quarantaine, évitant ainsi la création d’un foyer de contamination (cluster).

105 000 TROD

Comme le nombre de tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) qui sont ou seront à disposition à Monaco dans les jours à venir : 40 000 tests Medsan, 35 000 tests Abbott et 30 000 tests provenant de Chine. Une partie sera utilisée pour les sessions de rattrapage (lire par ailleurs), d’autres seront conservés pour « faire face à un éventuel rebond et aux demandes ». Enfin, le gouvernement n’exclut pas d’en vendre une partie, à prix coûtant, aux professionnels de santé de ville qui souhaiteraient faire eux-mêmes des tests si nécessaire.

1 050 000 euros minimum

Interrogé sur le coût total de cette vaste campagne de dépistage, le ministre de la santé, Didier Gamerdinger, a indiqué qu’il était « un peu tôt » pour l’évoquer. Seule information fournie par le conseiller de gouvernement, les TROD coûtent 10 euros l’unité. Avec 105 000 tests commandés, la campagne aura donc au minimum coûté 1,05 million d’euros. À cela, doivent s’ajouter le coût des prises de sang réalisées après les TROD positifs (983 à ce jour), dont le prix unitaire est estimé à 40-45 euros par le ministre, et les frais supplémentaires liés à la sécurité, à l’organisation… « Nous ferons le total quand l’opération sera définitivement achevée. Mais ce chiffre sera disponible puisque ce sont des crédits publics. On sera totalement transparent par rapport à ça », a indiqué Didier Gamerdinger en conférence de presse.

* Chiffres fournis par le gouvernement le lundi 15 juin 2020

Des sessions de rattrapage à partir du 23 juin

Avec près de 105 000 tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) à disposition (lire par ailleurs), la principauté a du stock à écouler. Si une partie va être conservée pour « faire face à un éventuel rebond de la maladie », les autorités sanitaires ont décidé de proposer, à partir du mardi 23 juin 2020, des sessions de rattrapage. Toutes les personnes (résidents et salariés) qui le souhaitent pourront se faire tester gratuitement jusqu’à la mi-juillet. Ces sessions auront lieu une fois par semaine (probablement le mardi) à l’espace Léo Ferré, de 8h30 à 18 heures. « Il nous a semblé important de ne pas s’arrêter net et de pouvoir continuer à dépister les gens qui n’auraient pas pu, pas voulu à un moment précédent venir se faire dépister », a expliqué la secrétaire générale du département des affaires sociales, Ludmilla Raconnat Le Goff. Avant de préciser les modalités de cette prolongation du dépistage : « Il n’y aura pas d’ordre de passage. Pourront venir ceux qui le souhaitent, résidents, salariés, enfants scolarisés accompagnés de leurs parents… ». Les personnes qui voudraient également se faire tester une deuxième fois pourront également le faire : « On sera assez souple comme on a pu l’être depuis le début de la campagne », a prévenu Ludmilla Raconnat Le Goff. À partir du « 10-14 juillet », ce sont les professionnels de santé en ville qui prendront le relais et pourront tester leurs patients si nécessaire. Il s’agira alors de la dernière étape de cette opération. « Nous considérons que l’administration aura fait sa part de travail en proposant un testing massif et des séances de rattrapage », a conclu le ministre de la santé, Didier Gamerdinger.