vendredi 29 mars 2024
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Conseil national
Une séance pour les femmes

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Cette fois, c’est fait. Le Conseil national a voté à l’unanimité des élus présents le projet de loi sur l’aide à la famille monégasque et à l’aide sociale.

Au moment du vote, le 3 décembre vers 20h30, il n’y a évidemment pas eu de suspens. Le projet de loi sur l’aide à la famille monégasque et à l’aide sociale a été adopté à l’unanimité des élus présents. Transmis au Conseil national le 16 mai 2017, ce texte n’a donc pas tardé à être voté. Très consensuel, ce texte visait à améliorer les dispositifs en place. Il modifie une loi du 18 février 1966, signe que, 52 ans après, les besoins de la société monégasque ont considérablement évolués. Deuxième objectif de ce texte : structurer les dispositifs d’aide sociale, que ce soit pour la naissance, l’éducation, l’installation des foyers, le handicap ou encore l’aide aux personnes âgées. Si la Constitution monégasque impose à l’Etat le versement de prestations sociales aux Monégasques, les personnes étrangères qui habitent en principauté depuis au minimum 5 ans, peuvent aussi toucher des prestations et des allocations sociales.

Pragmatisme

Parmi les amendements proposés par la commission des droits de la femme et de la famille, l’élue Priorité Monaco (Primo !), Nathalie Amoratti-Blanc, les fameuses « allocations compensatoires », destinées à gommer les inégalités liées au statut du chef de foyer pour toutes les femmes monégasques (lire notre article publié dans Monaco Hebdo n° 1080). A partir du 1er janvier 2019, les femmes fonctionnaires et agents de l’Etat et de la commune, qui résident à Monaco et qui sont affiliées au service des prestations médicales de l’Etat (SPME), pourront obtenir la qualité de chef de foyer. Ce qui leur permettra donc de percevoir des allocations familiales, des allocations pour charge de famille et la couverture maladie pour leurs ayants droit. De plus, en cas de remariage, la mère d’un enfant issu d’une précédente union pourra garder la qualité de chef de foyer. Jusqu’à présent, elle la perdait au bénéfice de son nouveau mari. Cette mesure concernerait potentiellement 530 femmes, a estimé le gouvernement monégasque. « L’allocation compensatoire à la famille n’est pas une aide sociale nouvelle, puisque elle est servie par le service des prestations médicales de l’Etat depuis 1997, a rappelé le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger. L’allocation exceptionnelle de rentrée et l’allocation de Noël sont d’ores et déjà versées à tous les bénéficiaires de l’allocation compensatoire à la famille. L’extension du versement des primes demandée par le Conseil national ne concernera, sous réserve de répondre aux conditions d’ouverture de droit, que les primes de scolarité, de vacances et de crèche, qui seront servies dans des conditions différentes selon que la bénéficiaire de l’allocation compensatoire est affiliée au SPME ou à la caisse de compensation des services sociaux (CCSS). » Pour lui répondre, le président du Conseil national, Stéphane Valeri a souligné que « la création de nouvelles allocations compensatoires pour nos compatriotes femmes, subissant un préjudice financier, du fait de ne pas pouvoir accéder au statut de chef de foyer, est un engagement fort pris par la majorité au cours de la dernière campagne électorale. » Avant d’ajouter : « Nous nous étions engagés, en plus de l’allocation compensatoire concernant les allocations familiales, à en créer une concernant les remboursements maladie, pour leurs ayants droit, et notamment pour leurs enfants. Promesse tenue ce soir. » Pour le président du Conseil national, c’est le pragmatisme qui a dicté les priorités, et donc les choix de sa majorité Primo ! : « Nous avons voulu commencer par ce qu’il était possible de faire tout de suite : les allocations compensatoires, pour gommer les injustices matérielles. Ce que nous proposons est toujours possible et raisonnable. Nous ne faisons pas de démagogie, a ajouté le président du Conseil national. C’est vrai que nous avons dit qu’il n’était pas possible d’accorder le statut de chef de foyer aux femmes salariées dans le cadre actuel de la convention bilatérale de sécurité sociale franco-monégasque. Car cela entraînerait la ruine de notre régime. »

« Imprévisible »

Comme l’a confirmé une nouvelle fois Didier Gamerdinger, la réforme se poursuivra pour traiter le cas des femmes salariées dans le secteur privé et qui habitent en principauté, « ce qui suppose de faire évoluer les mécanismes de coordination posés par la convention franco-monégasque de sécurité sociale en matière d’ouverture de droits aux prestations familiales ». Stéphane Valeri a répété qu’il était nécessaire de « démarrer sans délai » la renégociation bilatérale de sécurité sociale avec la France : « Cette renégociation est nécessaire pour pouvoir réserver le statut de chef de foyer aux seules femmes résidentes à Monaco. Dans le cas contraire, compte-tenu des aspects plus favorables du régime monégasque, tous les couples mixtes dont l’un des membres travaille à Monaco et l’autre en France, choisiraient de bénéficier des allocations et des remboursements maladie de la CCSS. Ceci aboutirait soit à une baisse drastique des prestations pour tous les allocataires, soit à une augmentation insupportable des cotisations. C’est bien sûr inenvisageable pour le gouvernement, comme pour nous. » Questionné sur la question d’un calendrier de discussion sur ce sujet complexe, le gouvernement est resté flou. Le ministre d’Etat, Serge Telle, a rappelé que la convention bilatérale de sécurité sociale date de 1952 : « Réouvrir ce texte sans avoir pris la précaution de savoir ce que ça nous coûtera au bout du compte, ce serait prendre un trop grand risque. Car la France nous demandera des choses en retour qui seront peut-être disproportionnées par rapport à ce que nous essayons d’obtenir. Notre détermination est totale. Mais avant de répondre sur un calendrier, nous avons besoin de savoir ce que nous allons perdre. Car nous perdrons. Et nous avons des finances publiques à préserver. » La réponse de Stéphane Valeri ne s’est pas faite attendre : « Vous avez fait le choix d’avancer pour les femmes. Et dire maintenant que vous ne savez pas si vous allez avancer pour les femmes salariées me semble difficile à comprendre. De plus, vous savez bien qu’ouvrir une discussion ne signifie pas aboutir à un accord. Donc évidement, rien n’imposera les choix finaux tant que les deux parties ne seront pas d’accord. Si les exigences françaises s’avéraient insupportable pour nos finances publiques, la partie monégasque sera libre de ne pas accepter un nouvel accord. » Du côté d’Horizon Monaco (HM), on préfère rester prudent et renvoyer le gouvernement devant ses responsabilités : « Si l’on considère qu’il est indécent d’évaluer le prix du respect d’une valeur telle que l’égalité homme-femme, que la bonne gestion des finances publiques est un devoir primordial de l’État, mais que les effets imprévisible d’une renégociation conventionnelle représente une prise de risque très importante, il faut bien avouer que l’exécutif se trouve face un arbitrage complexe, auquel il lui appartient maintenant de procéder », a lancé Jacques Rit. En tout cas, pas question d’étendre la réflexion aux résidents extérieurs à Monaco. « La réforme que nous souhaitons mettre en œuvre ne doit concerner que les seuls résidentes de la principauté, conformément à ce qui est d’ailleurs communément admis au sein de l’Union européenne (UE), puisque les allocations familiales sont servies par l’organisme de sécurité sociale du lieu de résidence de la famille, dès lors que l’un des membres du couple y travaille », a justifié le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé.

« Concept »

Comme sa collègue Nathalie Amoratti-Blanc, l’élue Primo !, Karen Aliprendi-de Carvalho, a pris la parole pour poser la question qui fâche : « Nous l’avons déjà évoqué, nous regrettons que ce poste n’ait pas fait l’objet d’un positionnement du même niveau que celui pour la transition numérique, en ne se dotant pas d’un véritable délégué interministériel, comme il vient de le faire dans ce domaine. Devons-nous considérer que la protection des droits des femmes ne mérite pas tout autant de moyens que la transition numérique ? » Le terrain est sensible et le ministre d’Etat, Serge Telle, a prudemment tenté de désamorcer les tensions : « Le poste de conseiller à la promotion et à la protection du droit des femmes n’est pas un gadget administratif. C’est une personnalité assise sur un comité élargi, où il y aura trois membres du Conseil national et la haute commissaire à la protection des droits, des libertés et à la médiation. Son objectif sera de mettre en évidence les dysfonctionnements, voire les inégalités, qui peuvent exister entre les droits des uns et les droits des autres en matière de genre. Nous avons donc la même ambition que vous, en dehors de toute logique politicienne. » Karen Aliprendi-de Carvalho en a aussi profité pour réclamer une nouvelle fois la création d’une commission de contrôle et de réclamation contre les inégalités salariales : « Cette commission, qui viendrait en complément de la mission majeure exercée par le haut-commissaire, aurait un rôle dissuasif, pédagogique, et chaque femme victime d’une injustice salariale pourrait la saisir. » La seule petite pique de la soirée est venu de l’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda. Se félicitant que ce texte soit enfin voté, il a commencé par faire un petit historique, en rappelant qu’avec les deux conseillers nationaux UM Jean-François Robillon, Bernard Pasquier et l’élu Renaissance Eric Elena, ils avaient déposé le 2 avril 2014 la proposition de loi n° 213 sur le chef de foyer, pour que les femmes puissent prétendre à ce titre comme les hommes. Puis, s’adressant au président du Conseil national, Stéphane Valeri : « Je me réjouis également, que votre majorité et les élus qui la composent, monsieur le président, nous rejoignez, alors que vous vous y étiez refusés lors de la campagne électorale. Sur de tels sujets de société et de droit, il vaut mieux être unis. » La réplique a été quasi immédiate. Stéphane Valeri a répondu que, « contrairement à ce qu’a dit Jean-Louis Grinda, la majorité Primo ! ne s’est jamais opposée à l’avancée vers le statut de chef de foyer pour les femmes de ce pays. Ce concept de l’égalité homme-femme nous unit tous. Laissons de côté toute tentative de récupération politique partisane. Ce sujet mérite beaucoup mieux que ça. »

« Mode »

Quant aux femmes travailleurs indépendants, qui sont donc affiliées à la caisse d’assurance maladie des travailleurs indépendants (CAMTI), la création d’un régime d’allocations familiales a été inscrit à l’ordre du jour du comité de contrôle de la CAMTI le 23 mars 2018. Validé en septembre 2018, ce régime attend désormais un projet de loi qui est « en cours de finalisation au département des affaires sociales et de la santé », a indiqué Didier Gamerdinger. Ce dispositif donnera la possibilité aux femmes travailleurs indépendants résidentes à Monaco de devenir chef de foyer. Une nouvelle arrivée tardivement du côté du Conseil national, comme l’a souligné le président Stéphane Valeri : « Nous apprenons, ce soir que ce projet de loi en cours de finalisation […]. Il aurait d’ailleurs été préférable, au nom de la plus grande équité possible entre femmes résidentes, que ce texte puisse être voté concomitamment à la possibilité d’opter pour le statut de chef de foyer, pour les femmes fonctionnaires et agents de l’Etat. » Pour gagner en lisibilité, au vu de la multiplicité des acteurs versant des aides, le Conseil national a demandé la création d’un guichet unique dédié aux aides sociales. Une position également partagée par l’élu HM, Jacques Rit : « La demande émanant du Conseil national de créer un guichet unique, spécifique aux aides sociales, est frappé au coin du bon sens. Il est en effet indéniable que ce système d’aides sociales très élaboré va de pair avec une certaine complexité, complexité qui ne manquera pas de constituer un dédale dans lequel les bénéficiaires, souvent des personnes âgées ou bien dans des phases difficiles de leur existence, vont obligatoirement se perdre. J’espère sincèrement que le gouvernement acceptera de reconsidérer ce mode d’organisation. » Refus poli du conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger, qui a répondu que la direction de l’action et de l’aide sociale restait le seul bon interlocuteur. Et comme les sujets sociétaux se multiplient sur le bureau du Conseil national, les 6 premiers mois de 2019 seront donc centrés sur ces questions. Stéphane Valeri a confirmé que le texte sur le contrat de vie commune sera bien examiné en séance publique au Conseil national avant la fin de la session de printemps 2019. Ce texte accordera des droits à des personnes qui ont choisi de vivre ensemble, en union libre, qu’elles soient du même sexe ou non. « A titre personnel, je suis favorable à ce texte », a précisé Stéphane Valeri. Quant au débat sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il aura également lieu d’ici la fin du mois de juin 2019.