vendredi 29 mars 2024
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Avec son Village Charlot, Beausoleil veut être « un laboratoire pour la France »

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La commune de Beausoleil a dévoilé, mardi 28 février 2023, son nouveau projet socio-culturel, qui surplombera la principauté sur plus de 2 000 mètres carrés. Baptisé « Village Charlot » en hommage à l’icône du cinéma muet, il devrait accueillir ses premiers visiteurs en fin d’année 2024. Le maire beausoleillois Gérard Spinelli présente les grandes lignes de ce futur centre à Monaco Hebdo.

Le village Charlot, qu’est-ce que c’est ?

À l’origine, le domaine Charlot est une propriété du XIXème siècle style Belle Époque de 2 093 mètres carrés, dont la ville de Beausoleil a fait l’acquisition en 2008 pour 2,5 millions d’euros. Elle est située au cœur du quartier historique de Beausoleil. Disposée en restanques, elle contient un très joli jardin arboré de 1 200 mètres carrés et deux bâtiments : la villa Émilie et la villa Chêne, que nous allons totalement préserver dans notre futur projet.

Village Charlot Beausoleil
© Photo Atelier Barani

Quels équipements abritera le futur village Charlot ?

Le village consiste à créer une bibliothèque et une médiathèque de 30 000 ouvrages. Il abritera également une ludothèque, une résidence d’artiste avec cinq hébergements dont un pouvant accueillir un enfant, quatre grands ateliers de 50 mètres carrés, une salle de libre expression artistique, un hall d’exposition, un musée numérique Micro-Folie en collaboration avec la Villette. Le projet comporte enfin un centre social qui regroupera l’ensemble des services sociaux de la ville-département, un espace de formation, un centre de médiation, un laboratoire numérique, un lieu de restauration participatif et solidaire, et des jardins remarquables avec vue sur la mer et sur l’opéra de Monte-Carlo.

« À l’origine, le domaine Charlot est une propriété du XIXème siècle style Belle Époque de 2 093 mètres carrés, dont la ville de Beausoleil a fait l’acquisition en 2008 pour 2,5 millions d’euros. Elle est située au cœur du quartier historique de Beausoleil »

Comment est né ce projet ?

En 2012, j’ai créé un groupe de réflexion foisonnant, riche et diversifié. Il était composé, entre autres, de représentants du ministère de la culture, de la directrice de la caisse d’allocations familiales (CAF), de la responsable de la fondation du patrimoine, d’architectes, de paysagistes, d’un producteur de spectacles vivants, et d’agents de la ville… Ces gens passionnés ont passé beaucoup d’heures pour définir un projet culturel et social, qui permette à toute la population de découvrir la culture.

Gérard Spinelli Maire Beausoleil
« Je suis convaincu que la culture est source d’émancipation. Elle est aussi un facteur de cohésion sociale, et permet de créer du lien. Ce qui m’est cher, c’est l’ascenseur social. Et pour moi, la culture représente un facteur déterminant. » Gérard Spinelli. Maire de Beausoleil. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Quel est l’objectif recherché avec ce village Charlot ?

L’objectif, c’est que toutes les personnes qui s’y rendent, même pour un problème social, passent dans un espace culturel. Quand ils rentrent, ils ont sur la gauche la bibliothèque, des livres, des statues… et de l’autre côté, il y a une salle de libre expression artistique et le musée numérique où vous pouvez découvrir des œuvres du Louvre, du Grand Palais ou du château de Versailles. Je rappelle que Beausoleil figure parmi les trois villes les plus cosmopolites de France. L’enjeu, c’est donc d’offrir à toutes les nationalités de Beausoleil un endroit de convivialité, de rencontres et qu’il offre une vision commune à tout le monde.

L’accès à la culture pour tous, c’est l’une de vos priorités ?

Oui, je suis convaincu que la culture est source d’émancipation. Elle est aussi un facteur de cohésion sociale, et permet de créer du lien. Ce qui m’est cher, c’est l’ascenseur social. Et pour moi, la culture représente un facteur déterminant. Depuis que je suis élu, j’ai souhaité démocratiser la culture, faire qu’elle soit gratuite pour toute la population que ce soit à travers le festival du livre, le festival de musique de chambre, les héros de la télé ou avec l’éducation artistique et culturelle (EAC). Grâce à l’EAC, chaque enfant de Beausoleil a pendant son année scolaire un projet culturel dans son programme.

Village Charlot Beausoleil
© Photo Atelier Barani

Comment seront sélectionnés les artistes résidents ?

Nous avons un comité artistique composé uniquement de directeurs de musées et de galeries. Nous avons par exemple les directeurs de la villa Arson et de la villa Sauber, Sylvain Lizon et Björn Dahlström, la directrice du musée d’art moderne et d’art contemporain (Mamac) Hélène Guenin, la chargée de mission de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), ou encore Marc Barani qui est architecte à l’académie des Beaux-arts. Ce comité sera chargé de choisir les artistes. Mais dans le cahier des charges, nous leur demanderons de privilégier l’éducation artistique culturelle à destination des enfants. Ces artistes resteront 3 mois, 6 mois, un an en fonction des missions qu’ils auront.

« La Villette a numérisé en très haute définition les plus belles œuvres des musées français (Le Louvre, Grand Palais, Pompidou, musée d’Orsay…), que vous pourrez découvrir soit en groupe avec un animateur, soit en individuel. C’est merveilleux, car la qualité est telle qu’on voit des choses qu’on ne voit pas forcément dans les musées »

Pour votre musée numérique, vous collaborez avec la Villette : comment se matérialise ce partenariat ?

La Villette a numérisé en très haute définition les plus belles œuvres des musées français (Le Louvre, Grand Palais, Pompidou, musée d’Orsay…), que vous pourrez découvrir soit en groupe avec un animateur, soit en individuel. C’est merveilleux, car la qualité est telle qu’on voit des choses qu’on ne voit pas forcément dans les musées. En revanche, il faut garder l’envie d’aller dans les musées car les œuvres au musée numérique n’ont pas de dimensions. On ne sait donc pas s’il s’agit d’un petit ou d’un grand tableau. Par exemple, La Joconde au musée numérique n’a rien à voir avec La Joconde exposée au Louvre. Au musée numérique, on découvre une œuvre, mais on n’a pas l’ambiance du musée.

« Autant je suis opposé à la gratuité dans les transports en commun, autant pour la culture je crois qu’il y a un effet très important »

L’accès au Village Charlot et à ses équipements sera gratuit ?

Tout est gratuit. La gratuité est un élément très fort de notre politique culturelle. Les spectacles sur la place de la mairie sont gratuits, tout comme le festival de musique de chambre et le festival Héros de la télé. La gratuité, c’est ce qui déclenche chez la population un rapprochement avec la culture. Il y a une semaine, j’étais au musée Carnavalet à Paris, l’entrée était gratuite et il y avait un public qu’on ne voit pas habituellement dans les musées. Autant je suis opposé à la gratuité dans les transports en commun, autant pour la culture je crois qu’il y a un effet très important. Ça attire. Mais il faut aussi que les conservateurs jouent le jeu et qu’ils s’adaptent au grand public. C’est à nous de rendre populaire la culture et que les gens se sentent bien et chez eux. Il faut leur donner des émotions.

Les résidents des communes limitrophes pourront également y avoir accès ?

Absolument. Dans notre école de danse ou de musique, nous avons plus de 30 % des gens qui sont résidents à Monaco. 40 % des adhérents de l’université dans la ville de Beausoleil vivent en principauté. Nous ne sommes pas en concurrence avec Monaco, au contraire nous sommes totalement complémentaires.

Combien coûte un tel projet et comment a-t-il été financé ?

À ce jour, nous en sommes au montant de 18,5 millions hors taxes comprenant les études et les travaux. Le financement est assuré par le ministère de la culture à hauteur de 8,25 millions d’euros, par la région Sud à hauteur de 2,25 millions, par le département à hauteur de 1,8 million. Nous avons également demandé 900 000 euros à la Communauté d’agglomération de Riviera française (CARF). La CAF et la fondation du patrimoine se sont, eux, engagés à verser 150 000 euros chacun. La ville de Beausoleil a donc pour l’instant un autofinancement de 5 millions d’euros.

Village Charlot Beausoleil
« Nous en sommes au montant de 18,5 millions hors taxes comprenant les études et les travaux. Le financement est assuré par le ministère de la culture à hauteur de 8,25 millions d’euros, par la région Sud à hauteur de 2,25 millions, par le département à hauteur de 1,8 million. […] La ville de Beausoleil a pour l’instant un autofinancement de 5 millions d’euros. » Gérard Spinelli. Maire de Beausoleil. © Photo Atelier Barani

Monaco a-t-il participé au financement de ce projet ?

Je n’ai pas demandé le soutien financier de Monaco sur ce projet. Notamment parce que je ne veux pas qu’il finance des projets qui pourraient être en concurrence avec Monaco. Je suis très respectueux. Monaco finance beaucoup de choses à Beausoleil et nous soutient beaucoup. La principauté a notamment financé les escalators qui permettent de desservir Charlot. Clairement, sans escalator, il n’y aurait pas de projet. Quand nous avons racheté la propriété en 2008, il fallait un moyen de transport. Et les escalators changent tout. Les gens peuvent désormais aller à Charlot sans problème.

Où en sont les travaux ?

Nous avons fini les terrassements. Nous avons posé la première pierre [mardi 28 février 2023 — NDLR], donc nous allons commencer la construction dans les jours qui viennent. Au niveau planning, nous prévoyons une fin de chantier à l’été 2024, pour une inauguration en fin d’année 2024-début 2025.

Le village Charlot sera ouvert tous les jours ?

Ce n’est pas encore déterminé. Nous étudions bien les moyens financiers que nous mettons en place. Nous sommes fortement poussés par la DRAC pour une ouverture maximale. Ils nous parlent de financement complémentaire que nous sommes en train d’étudier. Notre souhait, c’est aussi d’ouvrir le plus possible, mais nous avons des budgets limités. Nous sommes encore en discussion avec la DRAC et le ministère de la culture pour définir l’optimum.

Village Charlot Beausoleil
© Photo Atelier Barani

Avec un accès totalement gratuit, comment comptez-vous rentabiliser votre investissement ?

Pour l’instant, on équilibre. Les postes prévus sont déjà budgétés. Pour le centre social, c’est un transfert de lieu donc le personnel sera identique. Mais il faut compter une quinzaine d’embauches. Ma règle absolue, c’est d’ouvrir Charlot sans augmenter les impôts. À nous de trouver des financements. Le ministère de la culture nous aide de manière assez merveilleuse, mais à nous de trouver ensuite les partenaires financiers.

À combien s’élèvent les coûts de fonctionnement de Charlot ?

Un chiffre qui me vient en tête, c’est 10 % de l’investissement. Il faudrait donc prévoir 2 millions d’euros par an. Mais hors de question d’augmenter les impôts.

C’est difficile de trouver des partenaires ?

Ça nécessite du réseau, du temps avec eux. Il faut les motiver, leur expliquer l’enjeu et la spécificité de Beausoleil. À ce jour, nous avons réussi à motiver tous nos financeurs. Je dois continuer à travailler auprès d’eux et à leur présenter les enjeux qu’il y a sur ce territoire. Nous pouvons être un vrai laboratoire pour la France, comme l’a été le 9-3 [la Seine-Saint-Denis — NDLR]. Le ministère de la culture a beaucoup investi dans le 9-3 pour créer du lien grâce à la culture. Et c’est la première fois qu’on sort du 9-3, dans le 06 [les Alpes-Maritimes — NDLR]. Beausoleil est une ville très particulière, 70 % de ma population est issue de ce qu’on appelle les classes sociales défavorisées. Nous avons vraiment un beau challenge à Beausoleil, ville cosmopolite, de milieu populaire pour que la culture apporte du lien, de la cohésion entre habitants, émancipation et ascenseur social. Nous sommes très soutenus actuellement par beaucoup d’interlocuteurs publics, à nous de trouver aussi les privés.

Pourquoi l’avoir baptisé « Village Charlot » ?

C’est un peu le hasard, parce que le domaine s’appelait Charlot. C’était le surnom du propriétaire. Nous avons ensuite conservé ce nom parce que finalement, Charlot fait référence à Charlie Chaplin qui a joué dans le film Le Dictateur (1938), connu dans le monde entier. Même en Corée du nord, il est adoré. Son discours final dans ce film (1) est un véritable hymne à l’amour et c’est le message que je veux faire passer à Beausoleil. Chacun de nous a sa place.

Avez-vous des projets en cours, ou à venir, avec Monaco ?

Avec Monaco, nous avons la poursuite du programme d’escalators. Nous sommes en train de finaliser les études pour voir le cofinancement possible de la troisième tranche du programme. Nous avons également l’agrandissement du boulevard Guynemer avec la création d’un trottoir de 1,50 mètre jusqu’à la Crémaillère. Nous sommes en discussion pour un éventuel cofinancement. Nous poursuivons enfin le développement des vélos électriques MonaBike. Nous envisageons d’installer de nouvelles stations. Les gens sont contents, ils ne prennent plus la voiture pour aller travailler. Il y a vraiment un bouleversement dans la manière de se déplacer.

1) À la fin du film Le Dictateur (1938), Charlie Chaplin proclame un discours pacifiste et humaniste : « Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde, dans la mesure du possible, Juifs, Chrétiens, païens, blancs, et noirs. Nous voudrions tous nous aider, si nous le pouvions, les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur. Nous ne voulons pas haïr, ni humilier personne. Chacun de nous a sa place, et notre Terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre, mais nous l’avons oublié ».