L’explosion des cours des matières premières fait ressurgir les craintes d’inflation. Des inquiétudes à prendre en compte dans une stratégie d’investissement.
Rien n’est plus redouté par les investisseurs que l’inflation. Or, la hausse des matières premières, notamment alimentaires, a été suffisamment forte et généralisée au cours des derniers mois pour que cette problématique ressurgisse. Les derniers sondages montrent d’ailleurs une nette évolution des anticipations d’inflation?: selon celui de Bank of America Merrill Lynch, 75 % des investisseurs interrogés anticipent une inflation plus élevée dans les 12 mois à venir, un record. Ils ont en conséquence adapté leurs allocations d’actifs?: les actions et les matières premières, qui bénéficient généralement d’un environnement inflationniste, sont privilégiées aux obligations, très sensibles à la hausse des prix, tandis que les produits monétaires, dont les rendements déjà très faibles s’éroderaient un peu plus en cas de remontée de l’inflation, sont à leur plus bas niveau depuis 2002.
Conséquences sur la croissance
Au niveau régional, les marchés émergents ont moins la cote étant donné qu’ils sont les premiers concernés par ces pressions inflationnistes et leurs conséquences sur la croissance. « L’explosion des cours est à l’origine de pics d’inflation dans de nombreux pays émergents, les obligeant à mettre en place des politiques monétaires restrictives contraires aux besoins structurels de leurs économies, explique un observateur. Elle est également la cause de l’instabilité politique qui règne dans le monde, et notamment dans les pays arabes, ce qui devrait fortement encourager les Etats à agir, de peur de voir les principaux pays producteurs de pétrole mis en difficulté. » Les pays développés, où la croissance économique est plus faible, ne sont pas non plus épargnés. La hausse annuelle de l’indice des prix de détail dans la zone euro a atteint 2,4 % en janvier, son plus haut sur plus de deux ans. « Une reprise de l’inflation conduirait inévitablement les banques centrales à durcir leurs politiques, poursuit ce même observateur. Alors que les systèmes bancaires n’ont pas encore retrouvé une situation pleinement assainie, une hausse des taux directeurs comporterait des risques d’ordre économique. De même, l’apparition d’un climat de méfiance des investisseurs à l’égard des obligations d’Etat tandis que les rémunérations réelles sont faibles ne manquerait pas de compliquer le financement des déficits publics. » Si la problématique est réelle dans les pays émergents, les spécialistes tempèrent néanmoins les inquiétudes pour les pays développés. « L’accélération récente provient surtout des matières premières, soulignent les spécialistes d’Amundi AM. Dans un contexte de chômage élevé, elle est peu susceptible de générer un mécanisme d’inflation autoentretenue par les coûts. »
Changements structurels
Mais à moyen et long terme, la question pourrait ressurgir. « Les excès de capacité auront disparu dans les grands pays avancés. En outre, des changements structurels se profilent?: les contraintes sur l’offre se feront plus fortes, le coût du capital plus élevé, les populations vieillissantes et les matières premières plus rares, ajoute-t-on chez Amundi AM. Enfin, les pays émergents, qui avaient contribué à la désinflation dans les années 2000, menacent désormais de contribuer à davantage d’inflation compte tenu des hausses de salaires qui vont accompagner leur processus de rattrapage. Tous ces facteurs portent en germe une résurgence de l’inflation à moyen terme, et ce risque nous semble pour l’heure sous-estimé par les marchés de taux. » Protéger les portefeuilles obligataires contre l’inflation pourrait donc aller dans le sens de l’histoire, notamment pour la partie investie sur les pays émergents. « Nous ne saurions que trop conseiller aux investisseurs de rester exposés aux devises du carry trade* et de se prémunir contre l’inflation en achetant des titres indexés sur l’inflation pendant qu’ils sont, à notre avis, encore abordables », met en avant Philip Poole, responsable de la recherche et de la stratégie d’investissement chez HSBC Global AM. La thématique de l’inflation ne doit pas non plus être négligée dans les portefeuilles actions. « De nouveaux relèvements de taux paraissent inévitables dans un certain nombre de pays émergents, ajoute-t-il. Les investisseurs seraient bien avisés d’éviter les secteurs et les sociétés sensibles aux variations de taux d’intérêt et de privilégier les titres à forte intensité capitalistique, notamment en Asie, hors Japon, où le coût de remplacement des actifs est élevé et permet de se prémunir contre les ravages de l’inflation. »