jeudi 25 avril 2024
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Frédéric Ploquin : « De génération en génération, les trafiquants de drogue se sont vraiment professionnalisés »

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Dans son nouveau livre (1), Frédéric Ploquin, journaliste indépendant spécialisé dans le banditisme et la police, évoque le trafic et le blanchiment de l’argent de la drogue.

Pour cela, il a pu interroger des narcotrafiquants français. Interview.

L’origine de ce livre ?

Je suis les questions de criminalité, de délinquance et de banditisme depuis trente ans. Du coup, j’ai décidé de faire un livre qui retrace l’historique, en mettant les choses en perspective. J’ai donc voulu revenir sur les racines de ce mal, qui sont anciennes, et qui permettent de mieux comprendre comment on en est arrivé à cette situation aujourd’hui. De plus, désormais, la drogue est un phénomène qui concerne vraiment toute notre société. J’ai donc débuté mon ouvrage par un préambule que j’ai intitulé « vous pensez peut-être qu’un livre sur la drogue ne vous concerne pas, je vais vous démontrer le contraire », parce que cette économie parallèle a fini par infiltrer l’économie réelle, et cela, dans tous les sens.

« Aujourd’hui, le marché de la drogue représente en France un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros par an. Ce marché est implanté sur l’ensemble du territoire français »

Comment a évolué la consommation de drogue ?

Dans les années 1980, la drogue concernait surtout une minorité de personnes liées au show-biz ou à une élite intellectuelle parisienne. Ces gens-là s’amourachaient de toutes les drogues qui passaient. Ils ont ainsi successivement popularisé l’héroïne, puis la cocaïne et les pétards, en les érigeant comme des produits romantiques. Ce sont eux qui ont mis à la mode ces produits, avant que le gros de la population ne suive ensuite. Cela prend environ trente ans pour que « monsieur tout le monde » ne suive le mouvement impulsé par ces élites.

Combien pèse le marché de la drogue en 2021 ?

Aujourd’hui, le marché de la drogue représente en France un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros par an. Ce marché est implanté sur l’ensemble du territoire français. Tant que ce business ne concernait que quelques cités bien connues, bien délimitées, c’était plus ou moins « gérable ». Mais actuellement la drogue, et tout ce qui va avec, se retrouve à tous les coins du territoire, et pas seulement dans les boîtes de nuit de la Côte d’Azur, ou les lieux où la jet set fait la fête. Aujourd’hui, la drogue est partout.

« J’ai débuté mon ouvrage par un préambule que j’ai intitulé « vous pensez peut-être qu’un livre sur la drogue ne vous concerne pas, je vais vous démontrer le contraire », parce que cette économie parallèle a fini par infiltrer l’économie réelle, et cela, dans tous les sens »

Selon quelle logique avez-vous travaillé sur ce livre ?

Je me suis demandé ce que devenaient les masses colossales de billets de banque accumulés par les trafiquants. J’ai donc pu interroger des trafiquants, mais aussi les policiers qui les pourchassent. J’ai questionné les trafiquants d’hier, qui sont ceux qui ont ouvert les routes du trafic d’héroïne dans les années 1970 et 1980. Et j’ai aussi discuté avec les trafiquants d’aujourd’hui, qui sont aux pieds des tours, et qui font le « chouf » [faire le guet – NDLR]. J’ai aussi pu retrouver les policiers qui ont mené les premières batailles contre le trafic de drogue. En France, chaque ministre de l’intérieur dit que c’est « sa guerre », et qu’il va la gagner. Mais en prenant du recul, on s’aperçoit que ça fait quarante ans que le discours est le même. Le ministre passe ensuite à autre chose, et la bataille continue (2).

Ce livre a nécessité combien de temps de travail ?

Le plus long a été de nouer les contacts pour arriver jusqu’aux trafiquants de drogue. On peut donc dire que ce livre est le fruit de vingt ans d’observation de ce milieu. Ça peut sembler long, mais pour écrire sur ce genre de sujet, il faut parvenir à créer du lien humain et de la confiance. Ce qui prend beaucoup de temps.

Qui sont les trafiquants qui ont organisé le trafic de drogue à la sortie de la SECONDE guerre mondiale ?

Les pionniers du trafic de drogue, et même ceux qui ont inventé au niveau mondial le trafic de stupéfiants ne sont pas des Mexicains, des Colombiens ou des Marocains. Les inventeurs de ces routes de la drogue viennent tous du sud de la France. Il s’agissait essentiellement des Corso-Marseillais. Le plus souvent, c’était des Corses implantés sur la Côte d’Azur, parfois à Nice, mais le plus souvent à Marseille.

Comment travaillaient ces corso-marseillais ?

Ces sudistes se sont appuyés sur les colonies françaises des années 1950 et 1960 pour aller d’abord chercher de l’opium du côté de l’Indochine. On peut donc les considérer comme de véritables pionniers. Ils amenaient le produit brut depuis la Turquie jusqu’à Marseille, où il était ensuite transformé, avant de l’évacuer jusqu’en Amérique du Sud.

« Dans les années 1980, la drogue concernait surtout une minorité de personnes liées au show bizz ou à une élite intellectuelle parisienne. Ces gens-là s’amourachaient de toutes les drogues qui passaient. Ils ont ainsi successivement popularisé l’héroïne, puis la cocaïne et les pétards, en les érigeant comme des produits romantiques »

Ces corso-marseillais travaillaient comment avec l’Amérique du Sud ?

Dans les années 1950 et 1960, ces Corso-Marseillais étaient implantés à Buenos Aires et à Rio de Janeiro, où se trouvait une communauté corso-sudiste importante. D’ailleurs, dans les années 1970, à Rio de Janeiro et à Buenos Aires, on parlait avec l’accent provençal. Ces Corso-Marseillais avaient implanté sur place une véritable base arrière, dans laquelle on trouvait même des restaurants provençaux, où on servait de la bouillabaisse. Depuis cette base arrière, ils faisaient monter l’héroïne, qui était encore peu consommée en France à cette époque, dans de petits avions jusqu’à Miami. Or, trente ans plus tard, les Colombiens ont utilisé la même route pour transporter la cocaïne. Et aujourd’hui, les trafiquants français font le chemin inverse pour importer la cocaïne en France.

La mafia italienne n’est donc pas à l’origine de ces routes de la drogue ?

Non. Par la suite, la mafia italienne a massivement investi dans les stupéfiants pour gérer les importations à la tonne. Mais les inventeurs de ces routes de la drogue sont des Corso-Marseillais.

Aujourd’hui, quel est le profil des acteurs de ce marché de la drogue en France ?

Il y a des acteurs de ce marché qui ont des allures de commerçants ordinaires. Ils ont la cinquantaine, ils ont toujours marché du mauvais côté de la loi, mais sans se faire repérer pour autant. Ce sont des gens très bien implantés, qui connaissent parfaitement les fournisseurs colombiens. À l’autre bout de l’échelle, j’ai rencontré des jeunes Français, en général issus de familles de l’immigration africaine ou maghrébine, qui ont entre 15 et 18 ans. Leur professionnalisme est extrêmement impressionnant. Ce ne sont pas des amateurs, ce ne sont pas des imbéciles. Ils savent où mettre leur argent, ils sont hyper ambitieux. La grande différence par rapport aux années 1990 ou au début des années 2000 est là : de génération en génération, les trafiquants de drogue se sont vraiment professionnalisés.

Cette nouvelle génération, très « professionnelle » est aussi très lucide sur son activité ?

Cette nouvelle génération de trafiquants dit elle-même qu’elle vend « de la merde ». D’ailleurs, le plus souvent ils ne consomment pas de drogue. Ceux qui en prennent, ce sont généralement les petites mains, le « petit peuple » de la drogue. Ceux-là consomment parfois de la drogue pour tenir le coup. Certains peuvent même se faire payer en nature pour leur consommation personnelle. Mais au-dessus, on a des gens qui se comportent comme des hommes d’affaires, et qui blanchissent leur argent dans des commerces légaux. Tôt ou tard, ils parviennent à avoir une façade légale.

« En France, chaque ministre de l’intérieur dit que c’est « sa guerre », et qu’il va la gagner. Mais en prenant du recul, on s’aperçoit que ça fait 40 ans que le discours est le même. Le ministre passe ensuite à autre chose, et la bataille continue »

Ces trafiquants de drogue investissent généralement dans quoi pour blanchir leur argent ?

Les trafiquants de drogue investissent localement dans de petits commerces de proximité. Cela peut aller de l’onglerie, au salon de massage ou de coiffure, en passant par des sociétés de VTC, des appartements, ou de petits restaurants. Sans oublier les fast food ou les kebabs, qu’ils affectionnent particulièrement.

Quels sont leurs objectifs ?

L’objectif, ce n’est pas d’investir dans des établissements à succès. L’idée c’est d’avoir des pas-de-portes, avec des commerces qui brassent de l’argent liquide. Du coup, les trafiquants misent essentiellement sur de petits commerces, car dans les plus grands établissements, les gens paient plutôt avec leur carte bleue. Mais, comme, à un moment donné, les plus grandes brasseries finissant aussi par brasser beaucoup d’espèces, on a vu quelques gros investisseurs, kabyles notamment, racheter des gros commerces, avec un argent dont on ne connaissait pas trop la provenance.

Qu’a changé la crise sanitaire et le Covid-19 sur le trafic de drogue ?

La crise sanitaire provoquée par le Covid-19 a provoqué deux impacts. Le premier, c’est que cela complique un peu l’approvisionnement, parce que pour acheminer leurs produits les trafiquants jouent sur les flux de marchandises et de passagers. Donc, avec moins d’avions et moins de voitures aux frontières, on se fait plus facilement repérer. Mais le commerce alimentaire, les fruits et les légumes continuent d’arriver massivement d’Espagne et du Maroc. C’est là-dedans que sont dissimulés les produits. En revanche, pour la cocaïne, le commerce international entre le Venezuela, le Brésil, la Colombie, le Chili et l’Europe n’a pas ralenti.

Quel est le deuxième impact ?

L’un des échappatoires aux différents confinements, c’est la consommation de produits stupéfiants. Donc la consommation n’a pas baissé, et elle a peut-être même augmenté. Surtout qu’on sait que certaines drogues sont utilisées comme des antidépresseurs. Du coup, la crise sanitaire a provoqué une hausse du chiffre d’affaires, avec un nombre de consommateurs qui n’a pas baissé. Mais le produit se raréfiant un petit peu, les prix à la vente ont augmenté.

Quels sont les tarifs moyens aujourd’hui ?

Tout dépend vraiment de la qualité des produits. Aujourd’hui, on peut trouver un gramme de cocaïne entre 60 et 80 euros. Pour le cannabis et l’herbe, le prix repose sur la qualité, donc on en trouve à tous les prix. Mais, globalement, aujourd’hui la drogue est un produit abordable pour le plus grand nombre. De plus, les trafiquants savent s’adapter. Du coup, ils n’hésitent pas à proposer des petits prix, les cadeaux, les remises… Ils fidélisent leurs clients, comme s’ils étaient une marque de supermarché ayant pignon sur rue.

Et les trafiquants achètent la cocaïne à quel prix ?

C’est un business très rentable. Quand on voit qu’un kilo de cocaïne peut se payer 2 000 euros à la source, et se revendre 30 000 euros en France… Donc sur une tonne, on peut empocher des sommes énormes.

« Les pionniers du trafic de drogue, et même ceux qui ont inventé au niveau mondial le trafic de STUPÉFIANTS ne sont pas des Mexicains, des Colombiens ou des Marocains. Les inventeurs de ces routes de la drogue viennent tous du sud de la France. Il s’agissait essentiellement des Corso-Marseillais »

Que représente Monaco pour les trafiquants de drogue ?

Dès qu’il existe une clientèle de luxe et une jet set, on a forcément un marché captif, notamment concernant la cocaïne. De plus, pour cacher leur argent, notamment en achetant des appartements, les trafiquants apprécient particulièrement des destinations comme Dubaï. Mais, comme ils aiment les valeurs sûres, s’ils se rendent compte qu’un placement dans l’immobilier à Monaco peut être utile, pourquoi pas ?

La crise sanitaire liée au Covid-19 a eu un impact sur le regard porté par les banques internationales sur l’argent de la drogue ?

Le tissu économique et les banques sont toujours moins regardants vis-à-vis de l’argent pas très clair lorsqu’il y a une période de tension et de crise économique. On l’a vu en 2008, avec la crise des subprimes, où plusieurs établissements bancaires américains très importants ont été poursuivis en justice pour avoir aspiré les yeux fermés des milliards provenant de cartels de la drogue mexicains (3). On a donc vu ce phénomène à grande échelle, mais il se produit à toutes les échelles.

Alors que les banques assurent avoir durci les contrôles, comment l’argent de la drogue échappe-t-il encore aux enquêteurs ?

En regardant ces établissements bancaires, au premier abord, on dirait que tout va bien. Mais on sait qu’il suffit d’avoir une micro succursale invisible dans je ne sais quelle île des Caraïbes, et on parvient à contourner les contrôles. Or, aujourd’hui, la planète finance possède de multiples petites entités dissimulées dans des lieux non contrôlés, comme à Hong Kong, en Chine, dans des îles des Caraïbes… Alors, effectivement, il y a des contrôles stricts. Mais, grâce des jeux d’écriture, on peut passer des Caraïbes au Panama, puis du Panama à la Hollande, un pays assez conciliant avec les flux financiers d’argent. Ensuite, on n’est plus très loin du Luxembourg, de Monaco, ou même d’une banque ayant pignon sur rue en France.

Mais, il y a pourtant des organismes spécialisés sur ces questions avec, en France, le Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), et à Monaco, le Service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (Siccfin) ?

Ces organismes fonctionnent bien. Du coup, cela pousse les trafiquants à prendre davantage de précautions. Ainsi, plus personne ne dépose de l’argent liquide dans une banque française ou monégasque en direct, comme ça se faisait avant. Certains pratiquent encore le système un peu moyenâgeux de la compensation : aspiré par des commerçants qui ont pignon sur rue, l’argent ressurgit en espèces de l’autre côté de la Méditerranée, ou en Inde, à Dubaï… Tracfin est souvent perdu face à cela. Car Tracfin se nourrit des suspicions émises par les banquiers, à qui on demande d’être vigilants. Donc ces organismes ne permettent pas de boucher absolument tous les trous dans la raquette.

Les États en font-ils assez contre le trafic de drogue, alors que certains pays en vivent ?

C’est l’une des grandes hypocrisies du trafic de stupéfiant. Jusqu’à quel point peut-on faire pression sur des pays comme le Maroc, ami de la France, avec des intérêts géopolitiques, où tout se mêle ? La lutte contre les stupéfiants peut alors parfois passer au second plan par rapport aux intérêts économiques, et peut-être aussi à la lutte contre le terrorisme. On peut aussi s’interroger sur la tolérance de la Hollande, et même de la Belgique. Car on sait que certains ports belges et hollandais sont de véritables portes d’entrée massives de la drogue.

La drogue est aussi liée à la corruption ?

Aujourd’hui, la drogue est le moteur de tous les crimes, et y compris de la corruption. Il y a tellement d’argent en jeu, que la drogue génère une corruption massive dans les ports avec les dockers, avec les douaniers, dans les rangs de la police…

Alors que la France est le premier pays en Europe en nombre de consommateurs de cannabis avec 1,5 million d’usagers réguliers, le ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, a annoncé le 25 avril 2021 le lancement d’une campagne « anti-drogue » avant la fin de l’été 2021 : vous y croyez ?

Le ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, est dans les slogans. Il est dans la communication. Il parle de « guerre » contre la drogue, comme si on allait combattre dans des territoires occupés, alors qu’il ne s’agit pas du tout de ça. Il s’agit de territoires un peu perdus, au sein même de la République, et ce n’est pas à l’arme lourde que l’on va trouver des solutions. Il faut d’abord comprendre que tant qu’il y aura des consommateurs, il y aura une offre. Donc, tant qu’on n’influe pas sur la demande, il n’y a aucune raison que le trafic de drogue s’arrête du jour au lendemain. Or, actuellement, la demande ne fait qu’augmenter.

« Cette nouvelle génération de trafiquants dit elle-même qu’elle vend « de la merde ». D’ailleurs, le plus souvent ils ne consomment pas de drogue. Ceux qui en prennent, ce sont généralement les petites mains, le « petit peuple » de la drogue »

Plutôt que de miser uniquement sur la répression, il faudrait donc aussi chercher à agir sur les consommateurs de drogues ?

Peut-être. Surtout quand on sait que l’on a un nombre de consommateurs de drogues qui augmente sans cesse. Lorsque je suis allé en Colombie, on m’a expliqué que la France était le nouvel Eldorado à conquérir, parce que c’est là où se trouvent des parts de marché à prendre.

Pourquoi aucun gouvernement n’est parvenu, au moins, à ralentir le trafic de drogue ?

Dans mon livre, je ne suis pas remonté jusqu’au Moyen-Âge. Pourtant, la consommation de drogue est très ancienne. L’opium était consommé dans la Grèce antique, mais aussi dans la Chine moyenâgeuse. Et cela fait bien longtemps que cette consommation est aussi implantée en Afrique. Dans le cadre de mon ouvrage, je suis remonté jusqu’à la French Connection, c’est-à-dire à l’exportation d’héroïne vers les États-Unis depuis la France, des années 1930 aux années 1970. À l’époque, le gouvernement américain est venu en France, et a demandé à Georges Pompidou (1911-1974) de réagir, afin que ces livraisons d’héroïne cessent. Du coup, les moyens de lutte se sont démultipliés. Et, à l’époque, un trafic de stupéfiant qui reposait sur une cinquantaine de chefs de file a été démonté. Mais le mal était beaucoup plus profond.

Pourquoi ?

Parce que les gangsters de l’époque ont compris que la drogue rapportait plus d’argent que les braquages de banques, et que c’était moins dangereux. Peu à peu, la French Connection a été démantelée, la « guerre » a été gagnée. Mais la deuxième vague, la troisième vague et puis la quatrième vague de la French Connection ont redémarré. Résultat, depuis ces années-là, on a assisté à un phénomène de massification. Aujourd’hui, il n’y a plus 50 personnes, mais plutôt 250 000 personnes en France qui vivent directement du produit des stupéfiants. Face à cela, la police ne peut pas tout faire. Car elle a d’autres sujets à traiter, notamment en matière de renseignements, avec la question du terrorisme.

Comment a évolué le marché de la drogue entre 2010 et 2020 ?

Chaque nouvelle décennie, les trafiquants que je rencontre se professionnalisent. Et puis surtout, ils inventent de nouvelles façons de travailler et d’acheminer les produits vers le consommateur. Même si les points de deal dans la rue continuent de bien fonctionner, certains clients ne veulent pas se fourvoyer dans un quartier sensible, parce qu’ils ont peur pour leur sécurité ou parce qu’ils craignent de se faire repérer. Donc les trafiquants ont fait comme toutes les grandes entreprises, et plus précisément comme Amazon qui est un modèle.

Les trafiquants ont imaginé quel système pour assurer discrètement leurs livraisons ?

Les trafiquants ont imaginé des systèmes liés aux nouvelles technologies pour amener la drogue jusqu’au client. Ces dix dernières années, le trafic de drogue a envahi Internet et les réseaux sociaux, grâce à des applications comme Signal, WhatsApp, ou Snapchat. Ils s’appuient également sur des circuits de communication cryptés. Ces technologies sont du pain béni pour eux. Cela leur permet de faire de la livraison à domicile, qui est devenu un “must”. La grande évolution de ces dix dernières années, c’est donc un trafic de drogue qui s’est rendu un petit peu moins visible grâce à Internet. Même si, dans des centaines de quartiers en France, ce business continue de se dérouler à ciel ouvert, comme si ces territoires leur appartenaient. C’est stupéfiant, mais c’est comme ça.

Il n’y a pas de peur chez les trafiquants de drogue ?

Si j’ai titré mon livre Les narcos français brisent l’omerta, c’est bien parce que je me suis rendu compte que les trafiquants parlent, et se racontent, assez facilement quand on les rencontre. Quelque part, ils ont l’impression d’avoir gagné la partie. D’ailleurs, pour l’instant, et même s’ils prennent des coups, on peut dire qu’ils ont plutôt gagné la bataille. Car aujourd’hui, l’essentiel de l’argent du crime se fait dans la drogue.

1) Les narcos français brisent l’omerta, de Frédéric Ploquin (Albin Michel), 352 pages, 13,99 euros (format numérique), 19,90 euros (format « papier »).

2) Le livre de Frédéric Ploquin s’ouvre sur cette citation de Bernard Petit, ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants : « On n’a pas le courage de le dire aux citoyens et le politique ne veut pas l’entendre, mais il faut être honnête : en matière de lutte contre la drogue, de lutte contre la criminalité et le blanchiment, il n’y a pas de guerre à gagner. Tous ceux qui ont l’expérience du terrain le savent, il n’y a que des batailles à mener. Elles sont petites ou grandes et se déroulent à l’infini. Ceux qui manient le mot « guerre » comme un slogan doivent en avoir conscience, la lutte contre le trafic de drogue est une succession de batailles sans arrêt renouvelées, sans arrêt. »

3) En juillet 2012, HSBC a dû s’expliquer devant une commission du Sénat américain. Dans un rapport, cette banque était accusée d’avoir laissé transiter de l’argent sale aux États-Unis provenant de cartels mexicains de la drogue, et d’organisations soupçonnées d’apporter un soutien au terrorisme international.

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