samedi 27 avril 2024
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Robert Calcagno : « Consacrons toute notre énergie à mettre en œuvre cet accord »

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Directeur général de l’Institut océanographique de Monaco et administrateur délégué des Explorations de Monaco, Robert Calcagno se félicite de l’accord trouvé sur la protection de la haute mer, mais il attend désormais beaucoup de sa mise en œuvre. « Le plus dur et le plus long restent à faire », estime-t-il ainsi dans l’entretien qu’il nous a accordé.

Comment avez-vous accueilli cet accord sur la haute mer, qui est intervenu le 4 mars 2023, après de longues années de négociations ?

J’ai accueilli cet accord avec une énorme satisfaction. À l’origine du droit de la mer, il y a une convention des Nations unies sur le droit de la mer, aussi connue sous le nom de convention de Montego Bay, qui a été mise en place en 1982. Soit il y a plus de 40 ans. Cette convention a représenté un pas très important pour la bonne gouvernance de l’océan puisqu’auparavant, il n’y avait aucune règle multilatérale internationale. Elle a notamment permis de définir la répartition avec cette notion de haute mer, au-delà des 200 milles nautiques par rapport aux côtes. Cette convention de Montego Bay prévoyait des dispositifs pour la gestion des fonds de la haute mer, ce qu’on appelle en anglais le “seabed”. L’extraction de pétrole ou de minerais en haute mer y est réglementée. Il existe des processus d’accord et une autorité qui peut délivrer des permis d’exploration. En revanche pour la colonne d’eau, c’est-à-dire toute l’eau qui remplit l’océan avec les poissons, le plancton… il n’y avait rien.

C’est-à-dire ?

On était dans un territoire de non-droit. On pourrait le résumer en : premier arrivé, premier servi. N’importe qui voulait aller pêcher en haute mer, pouvait le faire, sans contrôle particulier. Mais nous ne partons pas de rien, parce que la haute mer représente environ les deux tiers de l’océan. L’océan représentant lui-même 71 % de la surface de notre planète, la haute mer occupe un peu moins de la moitié de la surface de la Terre. Nous ne parlons pas d’une petite zone qui a échappé à notre attention, donc nous rectifions une petite erreur.

Quel rôle a joué Monaco dans le processus de négociations ?

Monaco a commencé à s’impliquer dans cette sensibilisation à la nécessité de mettre en place des règles de gestion de la haute mer en 2010. Je m’en souviens parfaitement puisque nous célébrions les 100 ans du musée océanographique et avions lancé la première Monaco Blue Initiative. Lors de cet événement, nous avions eu un atelier dédié aux règles juridiques des aires marines protégées et une intervenante nous avait explicité et fait reconnaître que nous ne pouvions pas protéger quasiment la moitié de la haute mer. Depuis 2010, Monaco et en particulier le gouvernement princier, le département des relations extérieures et de la coopération, la fondation Albert II et l’Institut océanographique… s’impliquent donc vraiment pour cette mise en place. De nombreuses séances de travail informelles, puis formelles ont eu lieu. Et cette conférence a abouti le 4 mars 2023 à un accord sur le texte. C’est une date à marquer d’une pierre blanche.

« On était dans un territoire de non-droit. On pourrait le résumer en : premier arrivé, premier servi. N’importe qui voulait aller pêcher en haute mer, pouvait le faire, sans contrôle particulier »

Pourquoi ce traité était-il devenu indispensable ?

Il y a eu une maturation de la discussion. À partir de 2010, les scientifiques ont progressivement mis en avant la nécessité de protéger la haute mer. Puis, la société civile et les ONG ont relayé ce message. Il y a eu, petit à petit, une sensibilisation progressive de tous les États. Monaco a par exemple fait partie d’une Coalition de haute ambition, qui rassemblait plusieurs pays qui avaient envie que ce traité soit de haute ambition pour la protection de l’océan. D’autres pays y étaient, en revanche, moins favorables. Il faut saluer le travail diplomatique remarquable de la présidente de cette conférence, Rena Lee, qui est parvenue à mettre en place le dialogue entre les pays riches occidentaux qui sont en général assez convaincus et volontaires pour protéger l’océan, les pays moins développés et la Chine, qui a joué un rôle important dans cette négociation en faisant le lien entre ces différents blocs.

Robert Calcagno Haute Mer
© Photo Thierry Ameller – Institut océanographique

Selon vous, ce traité répond-il au défi qui nous attend ?

Ma position est nette, ferme et tranchée. Ce traité est vraiment une excellente nouvelle. Certes, il n’est pas parfait, mais il est sur la table. Maintenant, le plus dur et le plus long restent à faire, à savoir le mettre en œuvre à travers des actions concrètes, définies, mesurables dans des temps impartis. Parfois, malheureusement, dans la communauté internationale, dans les groupes, dans les entités, on passe un temps très important à essayer de résoudre tous les détails d’un accord. Et une fois qu’un accord a été trouvé, tout le monde souffle et la mise en œuvre pèche. Or, la transformation d’un accord en actions est dix fois plus compliquée que de trouver un terrain d’entente. Après, il faut travailler. Consacrons toute notre énergie à le mettre en œuvre.

« La convention sur la biodiversité de Montréal a clairement fixé un objectif de développer 30 % d’aires marines protégées en mer, mais aussi sur terre, à horizon 2030. Attachons-nous à faire vivre cet objectif, avant d’en définir de nouveaux »

Comment s’assurer que les engagements pris dans ce traité soient respectés ?

Pour le mettre en œuvre, il ne suffit pas que les États, dans leur toute puissance, disent « voilà ce qui est bien, voilà les accords ». Il va falloir que le monde, et en particulier les entreprises qui ont un impact sur l’activité du monde, sur l’économie, se rendent bien compte que protéger l’océan est nécessaire pour l’humanité. Et là, il y a encore beaucoup de travail à faire.

Certains militent pour la création d’une organisation internationale pour la protection des océans : Partagez-vous cette position ?

Ces questions sont complexes. Il existe déjà beaucoup d’organisations et beaucoup d’interfaces. Et comme quand il y a beaucoup de personnes dans un même endroit, les gens passent beaucoup de temps à définir leur interface. Sincèrement, je ne sais pas trop ce qu’apporterait cette organisation. Cet accord est sur la table. Il y a des organisations spécialisées, l’une d’elles s’occupe des fonds sous-marins. Ce traité met en place une convention des parties, qui se réunira régulièrement, par exemple pour accorder les modes de gestion sur des zones particulières. Faisons déjà avec ces dispositifs. La convention sur la biodiversité de Montréal a clairement fixé un objectif de développer 30 % d’aires marines protégées en mer, mais aussi sur terre, à horizon 2030. Attachons-nous à faire vivre cet objectif, avant d’en définir de nouveaux.

L’année dernière, les Explorations de Monaco ont mené une mission visant le banc de Saya de Malha dans l’océan Indien [à ce sujet, lire notre article dans ce dossier spécial – NDLR]. En quoi s’agit-il d’un bel exemple de ce qui se joue en haute mer ?

C’est la réponse à la question précédente. Travaillons sur des cas concrets, mettons en œuvre des mesures de gestion. Nous avions effectivement identifié avec les Explorations de Monaco ces hauts fonds (40 000 km2), qui étaient en haute mer. Donc, a priori, sans règle de gestion. Mais ils se trouvent sur le plateau des Mascareignes que les Seychelles et Maurice se partagent. Ces deux pays ont eu l’intelligence, il y a déjà plusieurs années, d’utiliser les règles de cette fameuse convention de Montego Bay de 1982 pour se mettre d’accord sur la gestion et le contrôle des fonds sous-marins de ce banc Saya de Malha. Il y a donc une entité de gestion commune entre ces deux pays pour les fonds sous-marins. Mais aucun outil juridique ne permettait de gérer toute la colonne d’eau avec les poissons qui étaient dedans, et donc les pêcheurs, les chaluts y allaient pour pêcher sans contrôle.

« Nous allons donc très certainement travailler sur une mission Méditerranée, afin d’avoir ce rôle de médiation, de diplomate, une sorte de « petit bateau » qui ferait le lien entre les différentes initiatives  de Monaco et les différents pays de la Méditerranée »

En quoi consistait cette mission ?

Nous sommes partis avec une équipe très large de scientifiques, à la fois occidentaux mais aussi des Seychelles et de Maurice, pour mieux connaître ce plateau. Les deux pays vont progressivement se saisir des résultats et l’idée, c’est d’utiliser cet accord dès qu’il sera applicable, vraisemblablement d’ici deux ans [cette interview a eu lieu jeudi 30 mars 2023, avant l’adoption du traité le 19 juin 2023 — NDLR], pour faire une demande de mise en place de systèmes de gestion localisés sur Saya de Malha. Ce nouveau traité de la haute mer va leur permettre de le faire.

Vous allez continuer à les accompagner dans cette démarche ?

Bien sûr. Le ministre en charge de l’économie bleue des Seychelles, Jean-François Ferrari, était d’ailleurs présent à la dernière Monaco Blue Initiative. Nous avons travaillé avec lui, mais aussi avec l’ambassadeur et le directeur général de la mer de Maurice pour continuer à les accompagner et à les conseiller dans ce processus. Ce sont des procédures complexes. Il y a aussi le fait que Saya de Malha se trouve en haute mer, donc très loin de toute terre. Or, ces deux pays ne sont pas très riches. Si on déclare un système de gestion à Saya de Malha, les Seychelles et Maurice auront donc besoin de l’aide de la communauté internationale pour pouvoir le mettre en œuvre et mettre en place des contrôles.

Robert Calcagno Haute Mer
© Photo Thierry Ameller – Institut océanographique

Quels sont vos projets ?

Nous travaillons sur deux zones géographiques. La première, c’est la mer Méditerranée. Elle est scientifiquement beaucoup mieux connue. Il y a plus de cent ans, le prince Albert Ier avait créé la commission internationale pour l’exploration scientifique de la Méditerranée (CIESM). Mais les pays ont du mal à discuter ensemble et à se mettre d’accord sur des sujets. Nous allons donc très certainement travailler sur une mission Méditerranée, afin d’avoir ce rôle de médiation, de diplomate, une sorte de « petit bateau » qui ferait le lien entre les différentes initiatives de Monaco et les différents pays de la Méditerranée. Nous y travaillons en ce moment-même avec le conseil d’administration de la société des Explorations de Monaco.

Quelle autre zone avez-vous identifié ?

Il y a sans doute une autre mission, un peu plus lointaine géographiquement et dans le temps, qui serait en mer de Corail. Cette mer se trouve entre l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon, Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie. Comme son nom l’indique, c’est une mer où il y a beaucoup de coraux. Et les coraux intéressent beaucoup la principauté. Nous avons, comme vous le savez, un projet de Conservatoire mondial du corail et nous travaillons en ce moment sur une exploration, qui se déroulera dans quelques années.

Pour lire la suite de notre dossier « Traité sur la haute mer : et maintenant ? », cliquez ici.