samedi 20 avril 2024
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Alick et Albert : Le prince Albert en immersion dans la communauté de Badu

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À l’invitation de l’artiste Alick Tipoti, le prince Albert II a passé plusieurs jours au sein de la communauté de Badu, dans le détroit de Torrès, entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’occasion pour le souverain de découvrir les traditions et culture locales, aujourd’hui menacées par le changement climatique et un mode de vie moderne.

Un rendez-vous en terre inconnue. Voilà comment l’on pourrait qualifier le documentaire Alick and Albert, projeté en avant-première en ouverture du festival des Antipodes à Saint-Tropez le 13 octobre dernier. Ce film de 90 minutes, signé Douglas Watkin, est l’histoire d’une rencontre entre deux cultures qu’a priori tout oppose : celle, luxuriante et moderne, d’un chef d’État européen et celle, plus traditionnelle, d’un artiste aborigène établi sur une petite île coincée entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Aux antipodes l’une de l’autre, ces deux cultures se rejoignent néanmoins autour d’un même engagement en faveur de la protection de l’environnement. C’est ce combat commun, crucial pour l’avenir de notre planète, qu’ont voulu montrer les Explorations de Monaco à travers l’amitié forte qui unit le prince Albert et Alick Tipoti. Un message d’espoir à l’heure où la COP26 vient de se terminer.

Coup de foudre amical

Pour comprendre l’origine de ce projet, il faut remonter à 2016. Cette année-là, l’Institut océanographique organise l’exposition Taba Naba mettant à l’honneur l’art aborigène et océanien. Plusieurs artistes font alors le déplacement jusqu’en principauté. Certains parcourant des milliers de kilomètres pour présenter leurs œuvres. Parmi eux figure un certain Alick Tipoti, réputé pour sa contribution à la promotion et au renouveau du patrimoine culturel des traditions et de la langue des îles du détroit de Torrès. Originaire de Badu, le peintre et sculpteur tape dans l’œil des commissaires. Mais pas seulement : « Avec Alick Tipoti, une relation particulière s’est mise en place. Tout d’abord, entre l’artiste et les équipes du musée, mais aussi avec moi-même. Ce qui m’a amené à le présenter au souverain. Et là, un flux de sympathie s’est créé entre les deux hommes », raconte le directeur de l’institut monégasque Robert Calcagno (1). De cette rencontre fortuite va alors naître une véritable relation de confiance et d’amitié. L’artiste indigène allant même jusqu’à proposer au prince Albert II de venir sur son île située au nord de l’Australie, à 14 000 kilomètres de Monaco. « Quand l’artiste a invité le prince Albert II, j’ai trouvé ça sympathique, mais je me suis dit que le souverain n’allait pas arriver à répondre favorablement à cette demande, avoue Robert Calcagno. Mais quelques mois après, lors d’une réunion, son altesse sérénissime m’a demandé si cette invitation était sérieuse. Nous avons alors combiné une mission diplomatique et une participation à la conférence Our Ocean à Bali [en 2018 – NDLR] pour nous rendre à Badu Island et passer quatre jours et demi avec la communauté. C’était pour le prince une parenthèse enchantée dans son agenda de chef d’État, qui est toujours minuté. Là, il a pris le temps d’échanger, d’écouter, et de participer à cette vie locale ».

« Avec Alick Tipoti, une relation particulière s’est mise en place. Tout d’abord, entre l’artiste et les équipes du musée, mais aussi avec moi-même. Ce qui m’a amené à le présenter au souverain. Et là, un flux de sympathie s’est créé entre les deux hommes. » Robert Calcagno. Directeur de l’Institut océanographique. © Photo Ariel Fuchs – Monaco Explorations

« C’était pour le prince une parenthèse enchantée dans son agenda de chef d’État, qui est toujours minuté. Là, il a pris le temps d’échanger, d’écouter et de participer à cette vie locale »

Robert Calcagno. Directeur de l’Institut océanographique

Des îles menacées de submersion

Sur place, le prince Albert va alors découvrir le lien très étroit qui unit cette communauté à la nature. Comment ces insulaires ont réussi à tirer profit de l’environnement qui les entoure tout en le préservant. Au cours de son séjour ponctué d’explorations, le souverain va aussi constater, avec stupéfaction, les ravages de l’activité humaine et du réchauffement climatique sur l’écosystème local. Une dégradation dont il discutera d’ailleurs longuement avec les plus anciens, témoins privilégiés du changement climatique. Car aujourd’hui, les îles du détroit de Torrès sont menacées. « Le changement climatique entraîne la montée des eaux de la mer. On estime qu’à la fin du siècle, l’océan aura monté d’environ un mètre, explique Robert Calcagno. Mais dans certaines régions, la mer augmentera davantage. C’est le cas en Méditerranée mais aussi dans le détroit de Torrès ». Les premiers effets de cette montée des eaux se feraient d’ailleurs déjà sentir selon le directeur de l’institut océanographique, qui a accompagné le souverain sur place. « On voit que la mer gagne sur les îles. Badu est une île assez grande avec un peu d’altitude donc il y aura une érosion du bord de mer. Mais d’autres risquent de disparaître et les populations devront être relogées ailleurs. C’est un vrai problème », s’inquiète Robert Calcagno qui n’oublie pas non plus la pollution plastique. Un autre fléau planétaire : « Même dans ces îles du bout du monde, on trouve des déchets plastiques sur les plages. Notamment des filets dérivants, des filets de pêche qui ont été abandonnés et les poissons continuent à se mettre dedans. Les insulaires les enlèvent pour en faire de l’art. Ils avaient d’ailleurs exposé au musée océanographique des baleines, des dauphins… créés à partir de ces déchets plastiques », se souvient Robert Calcagno. Autre menace, la surpêche pourrait aussi à terme mettre en péril les ressources sous-marines, dont dépendent fortement ces insulaires : « Malheureusement, il y a moins de poissons dans l’océan. Or, cette ressource alimentaire est extrêmement importante pour les îliens ».

« Les Monégasques et les résidents de Monaco apprécieront de voir le prince Albert II comme ils ne l’ont jamais vu, en bermuda, tee-shirt, et chemise à fleurs, avec des colliers autour du cou, en train de discuter ou de faire ses courses pour le petit-déjeuner. » Robert Calcagno. Directeur de l’Institut océanographique. © Photo Ariel Fuchs – Monaco Explorations

« La mer gagne sur les îles. Certaines risquent de disparaître, et les populations devront être relogées ailleurs »

Robert Calcagno. Directeur de l’Institut océanographique

Le prince comme vous ne l’avez jamais vu

Avec ce documentaire, Robert Calcagno espère donc provoquer une prise de conscience. « La réalité peut être physique, chimique, biologique mais elle est aussi humaine. Et là, on la voit à travers les yeux de cette communauté d’îliens : tous les problèmes que ça pose, les réflexions qu’ils se font… Ils sont très touchants quand ils disent qu’ils ne peuvent rien faire contre la montée des eaux, c’est vraiment un problème global. Il faut que l’ensemble de l’humanité se mobilise pour limiter l’émission de gaz à effet de serre et essayer de contenir cette montée de l’eau », exhorte le directeur de l’institut également producteur exécutif du documentaire. La participation du prince Albert, premier chef d’État étranger à se rendre à Badu, devrait permettre au documentaire d’avoir une résonance internationale. « L’engagement et la sincérité du prince Albert II pour la protection de la nature et de l’océan sont très importants. […] J’ai la chance de l’accompagner et de l’assister dans cet engagement depuis 2005. Au début, les gens regardaient avec prudence cet engagement, ils attendaient de voir s’il allait durer, et puis au fil des années, les gens écoutent le message que fait passer le prince et cette influence fait bouger les choses. En 15 ans, la perception de l’équilibre entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’océan, a changé. Nous sommes vraiment, en ce moment, dans le temps de l’action ». Le directeur de l’institut océanographique se félicite par ailleurs de l’intérêt grandissant du monde de l’entreprise pour ces questions environnementales : « Il y a 15 ans, il était plus difficile de parler aux entreprises. Nous avons réussi progressivement à le faire et maintenant, nous sensibilisons les banquiers, les investisseurs qui se rendent compte qu’il est intelligent d’investir dans des activités durables ». Au-delà de ces différents acteurs économiques, le documentaire s’adresse aussi au grand public et en particulier à la population locale, peut-être peu sensibilisée à ces enjeux à l’autre bout du monde. « Les Monégasques et les résidents de Monaco apprécieront de voir le prince Albert II comme ils ne l’ont jamais vu, en bermuda, tee-shirt, et chemise à fleurs avec des colliers autour du cou en train de discuter ou de faire ses courses pour le petit-déjeuner. C’est très amusant et intéressant. Grâce à ce film documentaire, nous comprenons mieux les relations entre l’humanité, ces communautés qui depuis des dizaines de milliers d’années vivent en relation avec l’océan et la nature », résume Robert Calcagno. Le public sera peut-être touché par ce moment où le prince rencontre les anciens du village d’Alick Tipoti, notamment les femmes qui ont une influence très importante sur les orientations de la communauté. « Le prince a été reçu par une quinzaine de personnes à discuter et à un moment, ces dames âgées ont raconté au prince qu’elles avaient suivi le mariage du prince Rainier III et de la princesse Grace Kelly et elles ont commencé à ressentir cette émotion, à pleurer », confie Robert Calcagno se rappelant d’un échange très fort.

© Photo Ariel Fuchs – Monaco Explorations

« Les gens écoutent le message que fait passer le prince, et cette influence fait bouger les choses. En 15 ans, la perception de l’équilibre entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’océan, a changé. Nous sommes vraiment, en ce moment, dans le temps de l’action »

Robert Calcagno. Directeur de l’Institut océanographique

D’autres documentaires en projet ?

Ce sont des moments comme ceux-là qui donnent envie au souverain de mettre en lumière d’autres zones naturelles menacées et qui ont grandement besoin d’être protégées. « L’engagement du prince Albert II n’est pas né par cette mission. Il continuera après », certifie le directeur. D’ailleurs, dans les projets à venir, il cite pêle-mêle celui dans l’océan Indien sur le banc Saya de Malha, entre les Seychelles et Maurice. « Il est très peu connu et nous souhaiterions l’étudier et le protéger. C’est un banc sous-marin qui est par définition inhabité. Donc la mission sera plus scientifique et environnementale mais nous essayons quand même toujours de donner cette dimension humaine ». En 2022, le musée océanographique basculera aussi dans un programme Régions polaires avec une grande exposition qui s’appellera “Missions polaires”, lors de laquelle il mettra à l’honneur les Inuits, une autre communauté menacée par le réchauffement climatique. Du côté de l’Amérique du Sud, le souverain a réalisé une mission en Colombie sur l’île inhabitée de Malpelo au cours de laquelle il avait souhaité rendre visite au peuple Kogis dans la Sierra Nevada « pour toujours comprendre ces relations entre la nature et les peuples premiers, qui ont su conserver une relation de respect et de compréhension entre la nature et l’humanité ». Toutes ne feront pas l’objet d’un documentaire assure Robert Calcagno mais chacune d’entre elles sera alimentée d’autres types de communication comme des photos ou des archives écrites. Avec toujours le même leitmotiv : toucher le plus grand nombre pour les sensibiliser à ce besoin d’équilibre entre l’homme et la nature.