vendredi 29 mars 2024
AccueilDossierManque de sommeil, insomnies…La grande inquiétude

Manque de sommeil, insomnies…
La grande inquiétude

Publié le

Toutes les études actuelles le démontrent : on dort de moins en moins et, souvent, pas très bien. Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les risques pour la santé ? Pourquoi ce problème de santé publique est-il en train de devenir un véritable business ? Monaco Hebdo a cherché à en savoir plus, alors que les professionnels de santé multiplient les alertes depuis des années déjà.

D’abord, il y a les faits. Le temps de sommeil est en chute libre. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la durée moyenne de sommeil des Français en semaine était de 7h07 en 2016. Soit 1h30 de moins qu’il y a 50 ans. Et si on regarde devant nous, c’est pire. En effet, les prévisions font état d’un total de 5 à 6 heures de sommeil par nuit d’ici 40 ans. Et si on s’intéresse à la qualité du sommeil, le constat est tout aussi alarmant. En effet, un Français sur trois avoue mal dormir, pendant qu’un sur cinq est considéré comme insomniaque chronique. Quant aux jeunes, 45 % jugent qu’ils dorment moins que leurs besoins, ajoute l’Inserm. Le mal est donc durable et profond, que ce soit en France ou à Monaco, même si, en principauté, aucune donnée chiffrée n’est disponible. « Mais il n’y a pas de raison objective que la réalité soit très différente à Monaco », explique Maxime Elbaz, docteur en neuroscience, spécialiste des objets connectés au centre du sommeil et de la vigilance de l’hôpital Hôtel Dieu, à Paris (lire son interview dans ce numéro).

“Sleep tech”

Si les responsabilités sont multiples, beaucoup d’experts se tournent aujourd’hui vers les écrans et le stress pour tenter d’expliquer cette situation alarmante. Deux motifs qui touchent particulièrement la génération Y ou Millennials, née entre le début des années 80 et le milieu des années 90. Cette génération est en effet la toute première à avoir grandit avec internet, les ordinateurs, les jeux vidéos et les objets connectés. C’est aussi une génération qui a évolué dans un contexte où l’idée que ceux qui réussissent dorment forcément peu. Une thèse popularisée par quelques grands noms associés à des réussites mondiales, comme, par exemple, l’ex-dirigeante de Yahoo !, Marissa Mayer, qui déclarait à la presse être capable de travailler 130 heures par semaine. Son secret ? « Être assez stratégique quand vous allez dormir, prendre votre douche, et sur le nombre de pauses aux toilettes », a-t-elle expliqué à Bloomberg Businessweek, en 2016. Un style de vie extrême, qui n’est évidemment pas compatible avec une quantité de sommeil raisonnable et qui expose donc à des conséquences pour la santé. Du coup, pour faire face, la France s’est réfugiée dans la consommation de somnifères. A tel point qu’elle est toujours vissée à la première marche du classement des consommateurs européens. En attendant, cette situation a donné des idées à quelques chefs d’entreprises, notamment des millennials, qui ont justement contribué à faire du sommeil une option. C’est comme ça qu’a émergé à partir de 2014 la “sleep tech”, un marché qui concerne tout ce qu’il faut pour mieux dormir. Et on y trouve vraiment de tout : assistants lumineux, réveils olfactifs, coussins à température paramétrable… Et, bien sûr, une multitude d’applications, que ce soit pour les systèmes iOs ou Android. Sur l’Apple Store, il suffit d’ailleurs de taper « sleep » pour voir apparaître 221 propositions d’applications diverses et variées.

Jungle

Dans la mesure où 100 % des humains sont obligés de dormir, il n’y a aucune raison que ce business se tarisse. Surtout que, du côté des entreprises, on a fait le lien entre absentéisme et manque de sommeil. Du coup, les projections sont vertigineuses, puisque le marché mondial de la “sleep tech” est évalué à 80 milliards de dollars en 2020. Entre les séances d’hypnose et de sophrologie disponibles gratuitement sur YouTube et des matelas, veilleuses ou masques connectés vendus parfois plusieurs centaines d’euros, c’est face à une jungle de produit que se retrouve désormais immergé celui qui veut améliorer son sommeil. Mais attention à la publicité mensongère, car beaucoup de produits sont incapables de tenir leurs promesses. Comme, par exemple, détecter le type de sommeil, lent ou profond. « En ce qui concerne les applications, ce n’est pas possible, confirme Maxime Elbaz. Certains bracelets et bague connectés peuvent détecter les phases de sommeil, grâce au capteur cardiaque. Le bandeau Dreem détecte le sommeil, ainsi que le bandeau Smart Sleep de Philips. Pour calculer les sommeils lents, profonds ou légers, il faut mesurer l’activité électrique du cerveau. » Comment ? « C’est par la combinaison simultanée de l’électroencéphalogramme, de l’electro-occulogramme et de l’electromyogramme du menton que l’on détermine le sommeil lent, lent profond et paradoxal. L’examen de référence est la polysomnographie », répond ce docteur en neuroscience, spécialiste des objets connectés au centre du sommeil et de la vigilance de l’hôpital Hôtel Dieu.

« Neuronal »

Ce qui est sûr aussi, c’est que le manque de sommeil peut avoir de graves conséquences pour notre santé. Dans une tribune publiée par Le Monde en octobre 2017, un collectif de spécialistes s’alarmait : « Notre société néglige de plus en plus le sommeil, rythme fondamental de l’individu ». Avant de rappeler, plus loin : « Le sommeil est vital pour la réparation physique et psychique, l’équilibre et la santé de l’individu. Dormir insuffisamment, mais aussi avoir des rythmes irréguliers de sommeil, est un facteur de risque en termes de santé publique, affectant de nombreuses maladies. » Vous en doutez toujours ? Alors, il suffit de prendre connaissance de la suite de cette tribune, dans laquelle ces experts (1) évoquent notamment des « retentissements cardiovasculaires (hypertension artérielle, infarctus, accidents vasculaires cérébraux, etc.) », et même des « troubles métaboliques » : « Quand on ne dort pas suffisamment, les hormones qui interviennent dans la régulation du poids et de l’appétit sont modifiées, en particulier la leptine et la ghréline, ainsi que l’insuline. La prise de poids est donc facilitée. Les risques de déclencher un diabète de type 2 augmentent. » Mais le manque de sommeil peut aussi déboucher sur une baisse des lymphocytes et une « altération des autres systèmes de l’immuno-régulation ». Résultat, l’organisme sera plus « plus sensible aux infections et aux cancers hormono-dépendants ; ainsi, les cancers du sein et de la prostate seront plus fréquents chez les personnes en privation de sommeil », ajoutent ces spécialistes, qui évoquent aussi des liens avec la maladie d’Alzheimer : « Pendant les périodes de sommeil, certaines zones cérébrales sont le lieu d’un lavage neuronal qui élimine les substances amyloïdes et les protéines tau impliquées dans les maladies comme l’Alzheimer. Cette fonction de nettoyage se réalise exclusivement pendant le sommeil. » Voilà pourquoi ces experts réclament la mise en place d’un « plan sommeil » par les pouvoirs publics français. Sans obtenir satisfaction à ce jour.

« Conséquences »

Les chiffres leur donnent pourtant raison. Depuis 30 ans, on dort entre 1h et 1h30 de moins. Et cette tendance « s’est accentuée » chez les adolescents, souligne ce collectif : « De manière très préoccupante, nous observons maintenant une diminution du temps de sommeil des enfants, avec des conséquences sur la scolarité, la santé mentale, l’obésité et une augmentation des comportements d’hyperactivité. Le déficit de sommeil chez les jeunes est également associé à un usage abusif d’alcool et de drogues. » Alors, face à ce constat alarmiste, que faire ? Mieux informer le grand public et les professionnels de santé, proposent ces experts, en travaillant avec les associations et les sociétés savantes médicales. Ils insistent aussi pour « identifier et prévenir » les risques d’accidents de la route et du travail liés à la somnolence, tout en suivant de près le sommeil des travailleurs de nuit. A Monaco, un projet de loi sur le travail de nuit a d’ailleurs été bouclé le 24 juillet 2018, après une série de réunions entre gouvernement et partenaires sociaux. Ce texte s’appuie sur 26 articles pour encadrer l’activité de 9 500 salariés, soit environ 20 % des salariés qui travaillent en principauté. Contesté (lire Monaco Hebdo n° 1090), ce texte ne concernera pas les entreprises publiques, mais seulement les entreprises qui relèvent d’un régime de droit privé, et la question de la santé des salariés a été pointée par les syndicats. Impossible en tout cas de penser prévention sans prendre en considération les enfants. L’éducation au sommeil doit donc aussi passer par les écoles, avance ce collectif, avec notamment en ligne de mire les objets connectés et les écrans : il faut « enseigner aux enfants le rôle du sommeil avec des notions d’hygiène du sommeil, incluant en particulier l’influence bénéfique de l’activité physique le jour et celle, néfaste, des écrans utilisés le soir ou la nuit ». Enfin, ces spécialistes préconisent du côté français de « permettre aux chercheurs, aux professionnels de santé, au milieu éducatif, de proposer des projets afin de faire évoluer la connaissance du sommeil ». Il faudra au moins ça pour tenter de faire face à ce que beaucoup d’experts décrivent comme une « épidémie catastrophique de perte de sommeil ». Sinon ? « Ne pas prendre conscience aujourd’hui de cette situation risque de conduire les jeunes générations vers une dégradation de leur état de santé, alors que nous avons les moyens d’éviter cette catastrophe annoncée », avançait les signataires de cette tribune. En octobre 2019, cela fera donc deux ans que cet appel a été lancé. Et l’urgence est toujours la même.

1) Cette tribune publiée dans Le Monde le 8 octobre 2017 a été co-signée par Sylvie Royant-Parola, présidente du Réseau Morphée, Joëlle Adrien, présidente de l’Institut national du sommeil et de la vigilance, Jean-Claude Meurice, président de la Société française de recherche et de médecine du sommeil, et Damien Léger, vice-président de la Société française de recherche et de médecine du sommeil.

Suite du dossier :

Dormir seul pour dormir mieux ?