vendredi 26 avril 2024
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Zhang Zhang l’atypique

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Premier violon et troisième soliste par intérim de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Zhang Zhang est une jeune femme simple, au destin atypique. Rencontre.

Par Noémie Montalbano.

Derrière ses longs cheveux noirs, typiquement asiatiques, et une tasse de thé fumant, Zhang Zhang ne cesse d’évoquer « la chance » qu’elle a eue. Car pour cette jeune femme de 39 ans, la vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Son histoire commence en Chine, à Pékin plus précisément. Zhang Zhang naît dans une famille d’artistes. « Mon père était le meilleur violoniste de Chine, il était super soliste dans le seul orchestre qui avait le droit de jouer à l’époque, et ma mère était à la fois actrice de cinéma et pianiste », précise la violoniste. Mais la venue au monde de la troisième soliste de l’orchestre philharmonique se fait dans des conditions particulières. Fin 1968, la Chine entame sa Révolution culturelle. Comme de nombreux artistes, la mère de Zhang est envoyée à l’extérieur de Pékin, dans un camp de rééducation, destiné à en finir avec l’individualisme bourgeois. « Le camp était géré par des militaires. Les personnes qui y étaient retenues n’avaient pas le droit de sortir ni d’exercer leur métier », explique Zhang Zhang. Pour accoucher à Pékin, sa mère se voit octroyer par les militaires une permission de 56 jours. Pas un de plus. Le père de Zhang étant en tournée en Europe de l’Est, le bébé doit alors rester avec ses grands-parents. Ce n’est que quelques années plus tard, que politiquement, le régime se libéralise un tant soit peu et que la famille peut enfin se réunir. Pour vivre dans des conditions modestes.

Célèbres et pauvres

« En Chine ce n’était pas comme à l’ouest, où les gens célèbres ont des moyens. Là-bas, nous étions célèbres et pauvres », commente la jeune femme. En effet, malgré la célébrité, les parents de Zhang, qui n’avaient pas intégré le parti communiste – seule façon de gagner des galons à l’époque -, ne touchaient que 18 euros par mois. Ils devaient partager un 2 pièces dans les « dortoirs » de l’orchestre, avec une autre famille. « Nous étions quatre, avec mon petit frère, dans un 9 m2. Je me demande encore comment on a pu faire », sourit la soliste. Aujourd’hui, Zhang en rit, mais elle se souvient qu’il n’y avait pas de place pour une table. C’est le système D?: « On prenait le tabouret en bois du piano de ma mère et on installait la nourriture dessus. » Parallèlement, Zhang ne mettait pas les pieds dans une école. « Je savais lire avant de marcher alors mon père m’a dit qu’il fallait que je me concentre sur la musique », relate la violoniste. Après avoir adopté le piano de 2 à 12 ans, Zhang, sur les conseils de son père qui estime qu’elle n’a pas des mains de pianiste, opte pour le violon. Pour ne plus le quitter.

Drapeau canadien

A l’âge de 10 ans, Zhang quitte Pékin avec ses parents pour la Thaïlande. Un visa en poche grâce à l’invitation d’un riche cousin vivant dans l’ancien royaume de Siam. « La Chine ne voulait pas laisser mes parents partir, alors ils ont d’abord proposé de nous donner un grand appartement, puis de doubler leurs salaires », raconte Zhang. Puis le gouvernement a carrément exigé des Zhang qu’ils laissent un de leurs enfants en Chine s’ils voulaient vraiment s’en aller. C’est Léo, le petit frère de la soliste, qui a été sacrifié.

En Thaïlande, où elle reste trois ans, la jeune femme découvre la richesse, les grandes maisons, « les mille et une nuits » comme elle le dit si bien. Des conditions de vie qu’elle n’imaginait même pas. Puis, « très vite, avec mes parents, on a commencé à faire des concerts, à se faire connaître ». En 1983, son père, accompagné de quelques amis, décide de créer un orchestre « avec des ambassadeurs, des avocats qui prenaient des cours avec mes parents et qui étaient passionnés. » Une nouveauté en Thaïlande puisqu’à cette époque, seule la fanfare du roi a droit de cité. Mais le visa des Zhang n’est pas renouvelé. La famille décide alors de passer à l’occident. « Mes parents ont trouvé que le drapeau canadien était joli alors ils ont choisi ce pays », s’amuse Zhang, arrivée à Toronto en 1984. C’est un choc culturel. Et climatique. « On est parti de Thaïlande, pays chaud et tropical, pour arriver au Canada en plein hiver, le plus froid depuis 10 ans », se rappelle Zhang.

Le mentor Sergiu Luca

Officiellement canadienne, la jeune fille doit retourner sur les bancs de l’école. Mais « je n’y allais pas. Je faisais tout le temps des concerts et des concours. Je partais en tournée quand j’avais 15 ans. Dans ma tête je voulais être musicienne et je me disais que je n’avais pas besoin d’éducation. » Jusqu’au jour où Zhang croise le chemin de son mentor, le violoniste Sergiu Luca, qui enseignait à la Rice University, une université privée et prestigieuse du Texas. Malgré son manque de diplômes, l’établissement accepte la candidature de la jeune femme alors qu’elle n’a que 18 ans. « J’étais dans un environnement différent, il n’y avait presque pas de musiciens, tout le monde était très éduqué. Je me sentais stupide mais grâce à ces rencontres, j’ai énormément appris », raconte Zhang. Au bout de 7 ans et après l’obtention de son masters, Zhang part pour la Suisse, au conservatoire de Lausanne. C’est là-bas qu’elle a vu, un jour de 2000, une annonce de l’orchestre philharmonique de Monaco, qui cherchait 6 violonistes. « Je ne connaissais pas Monaco mais j’ai pris mon billet sur EasyJet et je suis arrivée ici. » A l’audition, salle des Variétés, près de 100 violonistes s’étaient déplacés mais seulement 6 ont été retenus.

Classique et rock

Depuis 10 ans, Zhang est donc en principauté, et n’hésite pas à s’estimer chanceuse d’être arrivée ici, par hasard. Selon elle, « ces 10 dernières années ont été riches musicalement mais aussi humainement ». La jeune femme a d’ailleurs créé son association, ZhangoMusiq pour aider la fondation Nicolas Hulot, Mission Enfance ou encore Monaco aide et présence (MAP). L’argent récolté lors de ses concerts caritatifs est immédiatement reversé aux associations afin de mener des actions concrètes très variées. Comme acheter des fours micro-ondes pour une maison de retraite où les personnes âgées n’ont pas de moyens. Ou construire un puits à Djibouti. Pour récolter davantage de fonds, Zhang a créé deux groupes de musique, le premier, Monaco String Quartet, est un quatuor à cordes avec ses amis de l’orchestre. Le second, le Zhang Zhang Band, est un groupe plus électrique, né à la Rascasse pendant une soirée Live Music en 2002. Avec le guitariste Leopoldo Giannola, surnommé « Maestro », Patrick Mendez à la batterie, et Maria Chirokoliyska, à la contrebasse, aujourd’hui super soliste à l’orchestre national de Paris, elle joue du Bob Marley et des musiques de films. Et c’est devant tous les publics que Zhang Zhang aime jouer?: de temps en temps, la jeune femme donne en effet des concerts devant les détenus de la maison d’arrêt de Monaco.

Quand il lui reste du temps, entre les concerts et les tournées de l’orchestre, la sino-canadienne s’adonne à ses autres passions?: l’harmonica et l’écriture de poésie. Et cultive l’amour de son pays natal. En octobre dernier, « je suis allée à Pékin pour les 104 ans de mon grand-père, j’en ai profité pour acheter des tas de livres en chinois, vieux et récents dans le but de découvrir l’histoire de mon pays », raconte ainsi la musicienne.