samedi 27 avril 2024
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« Toutes les séries sont nobles »

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Alors que le festival de télévision de Monte-Carlo se déroule du 13 au 18 juin, Monaco Hebdo donne la parole à Pierre Langlais, journaliste spécialiste des séries télé pour Télérama.

 

Pourquoi les séries télé cartonnent autant ?

Je m’agace poliment du fait que l’on parle d’un phénomène et que l’on soit continuellement à se demander pourquoi les gens regardent des séries. On ne se pose plus la question de savoir pourquoi les gens vont au cinéma. Toute personne ayant plus de 40 ans peut répondre qu’il regarde des séries à la télé depuis bien longtemps : X-Files et Urgences dans les années 1990. Sans parler du Twin Peaks de David Lynch. Je ne remonte pas à ceux qui regardaient Dallas au début des années 1980. Et encore moins jusqu’aux Mystères de l’Ouest, Chapeau melon et bottes de cuir ou Mission : Impossible

 

Que s’est-il passé alors ?

À la fin des années 1990, les États-Unis, locomotive de la production mondiale, ont commencé à faire des séries sur le câble. Comme HBO avec Oz, Sex & The City. Puis Les Soprano, The Wire et Six Feet Under. Il y a eu une augmentation qualitative au moment où le nombre de chaînes était en train d’exploser : cela a fait augmenter la concurrence.

 

Avec quelles conséquences ?

Il y a eu un besoin de faire mieux. Et cela a créé un cercle vertueux. Le public a commencé à s’éduquer aux séries et ne s’est pas contenté de séries banales ou d’un énième polar. Cela a évidemment eu des répercussions internationales, puisqu’on diffuse beaucoup de séries américaines.

 

Et en France et à Monaco ?

La question de continuer ou non à faire des séries de qualité médiocre, comme dans les années 1990 s’est vite posée. Il se passe la même chose qu’aux États-Unis, mais à un cycle beaucoup plus réduit. Car on a moins de chaînes. Et la TNT ne fait pas grand-chose pour les séries.

 

Quelles chaines ont misé sur les séries télé ?

Canal+ a commencé en 2005 avec Engrenages. Arte y est allé aussi, puis France Télévisions a fait des choses un peu mieux. TF1 s’est rendu compte que ça ne suffisait pas de faire Camping Paradis et Joséphine Ange Gardien. Chaque chaîne, à son niveau, en fonction de ses audiences, de son public et du risque qu’elle pouvait prendre, a commencé à faire des choses un peu plus osées.

 

Ce n’est qu’une question de qualité ?

Les moyens de consommations sont beaucoup plus importants aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Internet a joué un rôle clé pour le rattrapage. CanalPlay marche. Netflix a déboulé. De plus en plus de sites vont proposer des offres légales. Et je ne parle même pas des offres illégales qui ont un impact majeur sur la surconsommation sérielle. Les médias s’y intéressent aussi davantage. Et plus il y a de couverture médiatique, plus les gens vont être incités à regarder.

 

Comment expliquer le succès des séries comme Plus belle la vie ou Fais pas ci, fais pas ça ?

Il ne faut pas mépriser ces séries. Fais pas ci, fais pas ça est pour moi l’une des meilleures séries françaises. C’est une très bonne comédie, très drôle, très juste, avec d’excellents comédiens. Il ne faut pas oublier une chose : une grande partie des productions américaines et anglaises sont des œuvres populaires.

 

Vraiment ?

La série télé est un art populaire. Avec toute la noblesse que je lui accorde, c’est un bien de consommation et ça ne doit pas seulement être des œuvres d’auteur. Les Américains sont très forts là-dessus. Sur de grandes séries de divertissement qui n’ont pas des ambitions métaphysiques, psychologiques ou même des complexités narratives immenses. Mais ces séries marchent bien, par leur rythme, par la sympathie des personnages, par ce qu’elles renvoient du quotidien des gens. Plus belle la vie est un soap et il faut le prendre comme tel.

 

La diversité est indispensable ?

Il faut proposer autant de séries différentes qu’il y a de sensibilités et de goûts. S’il n’y avait que des Experts et NCIS, il y aurait une uniformité qui ne plairait pas à tous les publics. Si on ne passait que des In Treatment ou True Detective, des séries qui vont chercher assez loin dans ce que peuvent dire les personnages et dans l’interprétation que l’on doit en faire, beaucoup de gens ne regarderaient pas les séries. Mais on a un problème en France que n’ont pas les Américains ni les Anglais.

 

Lequel ?

On a tendance à mépriser ce qui est de l’ordre du divertissement et de la pop-culture. Or, pour exister, les séries télé, y compris les plus pointues et les plus exigeantes, ont besoin aussi de programmes plus fédérateurs. Non pas des programmes de moins bonne qualité, mais plus légers. Après, ça ne veut pas dire qu’il faut donner à manger des choses faciles et sans saveur au téléspectateur. Il faut avoir la présence d’esprit de signaler quand les choses sont mauvaises.

 

Et l’arrivée de séries étrangères, notamment nordiques ?

C’est une mondialisation des séries qui était à attendre. Ce phénomène devrait s’amplifier. L’Amérique et l’Angleterre ne pouvaient pas garder le monopole. Les chaînes de télé internationales demandent beaucoup plus d’offres pour pouvoir remplir leur grille. Il fallait bien que d’autres pays se dégagent de la masse.

 

Les principaux atouts de ces séries ?

Les Nordiques et les Israéliens ont su tirer leur épingle du jeu en proposant des séries qui étaient à la fois originales, locales, mais avec des histoires qui sont assez fortes pour qu’à l’étranger les gens s’y intéressent aussi. C’est ce qu’on appelle la « glocalité ».

 

C’est-à-dire ?

Il s’agit de la capacité à être à la fois totalement ancré dans le quotidien d’un pays, sa réalité socio-politique. Et à la fois de raconter des histoires universelles, qui peuvent s’exporter.

 

Ces séries nordiques ont eu un véritable impact ?

Le succès des séries nordiques a entraîné une certaine catégorie de série où il fait très moche. Quelqu’un disparaît ou se fait tuer et une flic dépressive qui boit trop de café et fume trop de clopes va mener l’enquête. C’est ce que les Anglais appellent le nordique noir et qui a dégouliné jusque sur la France : Les Témoins sur France 2 ou Virage Nord sur Arte. Ces chaînes semblent avoir une certaine conscience de cette mode.

 

D’autres conséquences ?

Cela a aussi donné des idées aux producteurs, aux créateurs et aux chaînes françaises. Car il s’agit d’une économie et de budgets beaucoup plus proches des nôtres. Il y a également un impact invisible pour le téléspectateur dans son processus industriel, mais qui sera visible dans la qualité de ce qu’il pourra voir : cette prise de conscience qu’on n’a pas besoin d’être milliardaire pour faire de bonnes séries.

 

Alors pourquoi en faire des remakes ?

Même si ça ne les empêche pas de diffuser les originaux, les Américains considèrent qu’ils peuvent reprendre une histoire que les téléspectateurs n’ont pas vu et l’adapter à leur culture et la modeler pour que leur public s’y retrouve. Par exemple, Les Revenants, que l’on a découvert sur Canal+, ont été diffusés avant que ça ne devienne The Return. Mais ça a été diffusé sur une toute petite chaîne, Sundance Channel. Une chaîne excellente, mais relativement confidentielle. Alors qu’en France on aime voir des choses qui nous semblent un peu « exotiques », qui nous envoient dans des univers différents des nôtres, les producteurs et les diffuseurs américains pensent qu’il vaut mieux refaire une série, avec les contraintes économiques et de diffusion qui sont très fortes à la télévision américaine.

 

Un exemple ?

Chaque épisode de la série danoise Broen dure une heure. Si la chaîne veut l’acheter et en faire un 42 minutes, couper 18 minutes paraît difficile. Il faut donc envisager le remake comme une solution d’ordre technique. Même si, en général, il s’agit juste de piquer une bonne idée, d’en réécrire l’histoire et de la resservir avec quelques petits changements.

 

Vos coups de cœur cette année ?

J’ai eu un faible pour Chefs, sur France 2. C’est une série qui m’a touché, que j’ai trouvé très intéressante, même si elle n’est pas dénuée de défauts. Mais globalement, cette série est très justement incarnée, avec un vrai parti pris dans la mise en scène ou le choix de l’image. Il y a aussi une prise de risque, avec des personnages forts, qui n’ont pas peur de jouer avec les stéréotypes. C’est une série que j’ai trouvé suffisamment casse-gueule et réussie pour qu’elle soit remarquable.

 

D’autres séries vont ont plu ?

J’aime beaucoup Ainsi soit-il sur Arte que je trouve être une vraie proposition très intéressante, avec une très belle saison 2. Canal+ continue à faire des choses de qualité, mais qui ne m’ont emballé qu’en partie. J’ai beaucoup aimé Spotless. Je trouve très intéressant Le Bureau des Légendes, sans en être totalement tombé amoureux. Parce qu’il y a une espèce de distance, un truc un peu trop méticuleux, qui m’a empêché d’être tout à fait bouleversé par l’histoire qu’on me racontait. Mais il faut reconnaître le savoir-faire, la qualité des acteurs et l’efficacité de la narration. Le succès d’une série comme Disparue, qui est un bon divertissement, est révélateur de la capacité qu’ont aujourd’hui les séries françaises à capter le public.

 

Pourquoi avoir co-fondé Soap, un mook [1] sur les séries ?

Il a quelques années existait Générique(s), un magazine qui a sorti une quinzaine de numéros, mais qui n’a pas trouvé son public. Seule une base de fans a suivi. A sa disparition, on s’était dit avec l’équipe que ça serait bien de lancer autre chose. Soap était le nom du projet. Mon idée n’était pas de faire quelque chose de spécialisé, mais au contraire quelque chose qui puisse parler de culture populaire.

 

Votre objectif au départ ?

Qu’on arrête de séparer les genres en deux catégories : les gens pointus qui regardent des séries d’auteur complexes et les abrutis qui regardent les séries grand public. Toutes les séries sont nobles, même si elles sont plus ou moins réussies. Il y a des séries d’auteur foireuses et il y a des séries grand public géniales. Le but est de défendre une vision intelligente et de le faire avec des formats inhabituels : Soap peut se permettre de faire des longs formats et donc de raconter des grandes histoires. On montre les rouages et à travers, on met en scène toute la richesse de ces séries.

 

Un exemple ?

J’ai insisté pour que The Big Bang Theory soit en couverture du premier numéro. C’est une série populaire, pour un large public. Mais elle est captivante dans ce qu’elle dit de la société, des modes de consommation, de ce terme de « geek » repris à toutes les sauces aujourd’hui. Les Experts ou Mentalist sont des séries écrites par des gens brillants. On va leur donner la parole et essayer d’analyser cette mode.

 

Vous parlez de quoi d’autre dans Soap ?

On essaie de remonter aux années 1970, 80, 90. On va aussi essayer de comprendre pourquoi Urgences a été un tel phénomène. On ne veut plus être bloqué dans un processus dans lequel on va dire qu’il y a Les Soprano et The Wire (voir notre rubrique Culture Sélection dans ce numéro), considérées comme les deux plus grandes séries de tous les temps, et les autres. Il y a beaucoup de séries dont les gens ne parlent pas ou qu’ils ont oubliées. Ce sont ces séries qu’il faut mettre en avant.

 

Et ça marche ?

On commence à avoir un succès d’estime. Mais un mook comme Soap n’est pas destiné à avoir 200 000 lecteurs. L’immense majorité des gens qui regardent des séries ne font que les regarder. Il ne faut pas penser que chaque téléspectateur de séries est un lecteur en puissance. Soap a une grande ambition d’un point de vue journalistique et éditorial. Mais une belle modestie du point de vue du public qu’il peut atteindre.

 

(1) Mook est une contraction de magazine et de book. Soapdeux numéros parus à ce jour, est vendu 16,90 euros le numéro. + d’infos sur www.soap-editions.com.