Créée par Majid Boustany, une fondation consacrée au peintre anglais Francis Bacon a ouvert ses portes le 28 octobre au 21 boulevard d’Italie.

Il est le peintre britannique le plus énigmatique, controversé et coté de l’après-guerre. Une fondation consacrée à Francis Bacon a ouvert ses portes le 28 octobre à Monaco au 21 boulevard d’Italie. Une date pas choisie au hasard… puisque c’est le jour de naissance de l’artiste. A l’origine de cette fondation, un homme d’affaires : Majid Boustany, propriétaire de l’Hôtel Métropole. C’est en découvrant le tryptique Trois études de figures au pied d’une Crucifixion (1944) à la Tate Gallery de Londres que ce quadra passionné décide de partir en quête de tout ce qu’il pouvait trouver au sujet de l’artiste né en 1909 à Dublin et mort en 1992 à Madrid. « J’ai été surpris de ressentir une émotion contradictoire : j’étais à la fois choqué par ces formes organiques mi-humaines, mi-animales, profondément dérangeantes, mais aussi fasciné par ces étranges créatures menaçantes entourées d’un orange cadmium vif. » Totalement subjugué par cet artiste, l’homme est aujourd’hui à la tête d’une collection privée de plus de 2000 pièces.

80 pièces

Dans ce huit-clos discret de 150 m², Majid Boustany a rapatrié une petite partie de sa collection : environ 80 pièces. Près de 800 livres figurent également dans la bibliothèque. Dans cette ancienne villa au décor extrêmement soigné, visiteurs et chercheurs pourront y trouver pêle-mêle des photographies de l’artiste prises par des photographes de renom, par ses amis, sa famille et ses amants. Mais aussi des pinceaux avec lesquels Bacon a peint, des lettres écrites de sa main, des cartes postales, ou encore un jeu de roulette trouvé dans son atelier… Car Bacon était un joueur notoire. A travers ces clichés, on y découvre ainsi ses années passées à Monaco, l’effervescence qui régnait à Paris au Grand Palais en 1971 au moment de la rétrospective qui lui était consacrée, ou encore des moments de vie à Tanger.

« Parties inconnues »

Si la Fondation Bacon envisage d’organiser des expositions et des séminaires sur l’œuvre de Bacon, cette institution à but non lucratif est aussi un centre de recherches dédié à la vie et au processus créatif de l’artiste. « La recherche sur les parties inconnues de son œuvre et de sa vie sera au cœur de la mission de la fondation, explique Majid Boustany. Depuis quelques années, j’ai initié des recherches à Monaco, sur la Côte d’Azur, à Tanger et à Madrid où l’artiste se rendait régulièrement. Je me suis entouré pour cela d’une équipe comprenant des historiens de l’art, des chercheurs, des restaurateurs, des photographes ainsi qu’un détective. »

La Fondation ouvre ses portes aux chercheurs et aux historiens d’art, tout au long de l’année, puis au grand public, sur rendez-vous uniquement, à compter de mars 2015. Renseignements : 93 30 30 33. www.mbartfoundation.com.

« L’un des derniers monstres sacrés du XX^ème siècle »

Majid Boustany nous explique les influences et la personnalité complexe de l’artiste figuratif anglais le plus énigmatique et sans concession du XX^ème siècle.

Monaco Hebdo : En novembre 2013, Trois études de Lucian Freud a été vendu 142,4 millions de dollars chez Christie’s à New York. Ce qui en fait le tableau le plus cher au monde vendu aux enchères. Comment expliquer la cote exceptionnelle de Francis Bacon ?

Majid Boustany : Ses toiles ont souvent gardé une cote très élevée, y compris de son vivant pour deux raisons principales : au même titre que Picasso, Bacon est considéré comme l’un des derniers monstres sacrés du XX^ème siècle, ainsi que le plus grand peintre britannique de sa génération, d’où le grand intérêt pour les collectionneurs fortunés d’acquérir ses œuvres. La rareté de ses toiles a aussi contribué avec les années à augmenter sa cote astronomique.

M.H. : La mort, la solitude, la violence sont des thématiques qui reviennent souvent dans les tableaux de Francis Bacon. Pourquoi ?

M.B. : Le thème de prédilection de Bacon tout au long de sa carrière va être de nous confronter physiquement à la présence humaine, la condition humaine et le drame humain. Témoins de son temps, ses huiles dérangent, choquent, irritent tout en suscitant de nombreuses questions brûlantes. Ses images puissantes teintées de douleur exacerbée disposent néanmoins d’un pouvoir d’envoutement qui ne laisse personne indifférent. Ses œuvres nous confrontent à la dualité entre la vie et la mort, le sacré et le profane, la victime et l’agresseur. Lorsque l’on questionnait l’artiste sur la violence de ses toiles, il ne cessait de répéter « la vie est tellement plus violente que tout ce que je peux faire» .

M.H. : Que sait-on de la personnalité de Francis Bacon ?

M.B. : Bacon possédait une extrême intelligence qui se manifestait dans des domaines aussi différents que l’art, la poésie, la littérature, le cinéma ou la politique. Cet artiste à la personnalité complexe côtoyait aussi bien l’aristocratie anglaise que son cercle d’amis dans les bas-fonds de Soho. Bacon maintenait une routine disciplinée travaillant quasiment tous les jours en solitaire dans son atelier dès les premières heures du jour jusqu’à la mi-journée. Ensuite, il se rendait à Soho pour déjeuner puis poursuivait ses après-midi et soirées dans ses clubs et ses bars. Il pouvait être extrêmement gentil et généreux avec ses amis et amants mais il lui arrivait aussi de succomber à une furieuse et irrésistible envie d’en découdre avec ses proches et d’en blesser ainsi certains.

M.H. : Quelles sont les influences de Bacon et quels artistes influencent-ils aujourd’hui ?

M.B. : Bacon était influencé par les plus grands maîtres de l’art occidental tels que Michel-Ange, Le Caravage, Velázquez, Rembrandt et Picasso. Damien Hirst, Steven Conroy ou Adrian Ghenie font partie des artistes contemporains influencés par Bacon.

M.H. : Thierry Ardisson et Franck Maubert ont interviewé Francis Bacon en octobre 1987 dans l’émission Bains de minuit. Dans cet entretien, Bacon indiquait qu’il ne voulait surtout pas qu’une fondation soit créée à son nom…

M.B. : En effet, cela ne m’étonne pas. Bacon était réputé pour dire tout et son contraire. Suite à mes nombreuses discussions avec les plus proches amis, confidents et héritiers sur l’héritage que Bacon a laissé au monde de l’art, tous m’ont vivement encouragé à créer une fondation qui aiderait à promouvoir une meilleure compréhension de l’œuvre et de la vie de l’un des peintres clés du XX^ème siècle. L’unique fondation au monde dédiée à l’œuvre de Bacon est située à Monaco. Une Principauté que le peintre affectionnait particulièrement tout au long de sa vie.