jeudi 25 avril 2024
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Jean-Louis Grinda : « Nous avons testé, isolé, protégé et joué »

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Le directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange, Jean-Louis Grinda, dresse le bilan d’une année de culture sous Covid.

Tout en se projetant sur la saison 2021-2022, qui a été dévoilée début juin 2021. Interview.

Quel bilan faites-vous de cette saison 2020-2021, marquée par une crise sanitaire mondiale ?

Le bilan est extraordinairement positif, puisque nous avons joué toutes nos représentations. Nous avons annulé un seul récital d’un artiste, qui n’a pas pu voyager à cause des restrictions, car il venait d’Angleterre. Ce récital a été reporté d’un an. Pendant l’été 2020, nous avons fonctionné avec les musiciens du prince. Un protocole assez sévère a été mis en place à Salzbourg, en Autriche, et nous avons décidé de nous en inspirer pour l’adapter à Monaco. Nous avons ensuite proposé ce protocole au gouvernement, qui l’a accepté pour toutes les représentations de cette saison 2020-2021.

Quelles sont les grandes lignes de ce protocole sanitaire ?

Ce protocole sanitaire repose sur des tests toutes les semaines, pour tout le monde. Avant chaque représentation, tous les artistes venus de l’extérieur devaient se présenter avec un test PCR négatif de moins de 72 heures. Ce qui leur permettait d’entrer ensuite dans notre système de tests hebdomadaires. Sur l’ensemble de la saison 2020-2021, nous avons réalisé 5 800 tests PCR, ce qui nous a permis de faire travailler 270 artistes.

« Sur l’ensemble de la saison 2020-2021, nous avons réalisé 5 800 tests PCR, ce qui nous a permis de faire travailler 270 artistes »

Jean-Louis Grinda, directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange

Et le public ?

Nous avions mis une jauge à 50 %. Ce qui nous a laissé environ 1 000 fauteuils au Grimaldi Forum, 250 à l’opéra Garnier et 500 à l’auditorium Rainier III. Le public était masqué, distancié et en quinconce, donc la probabilité d’être contaminé par le Covid-19 est infime. Mais le vrai problème de nos métiers, ce n’est pas ce qu’il se passe dans la salle, c’est ce qu’il se passe sur scène et en coulisses. Nous avons géré ça avec une équipe dédiée à cette question, composée de deux « référents Covid ». Il s’agit de deux personnes qui appartenaient déjà à l’équipe de l’opéra, et à qui j’ai donné cette tâche supplémentaire. Ils s’en sont acquittés admirablement bien.

Dans la pratique, comment ça s’est déroulé ?

Nous avons eu des cas positifs à toutes les productions. Soit dans l’orchestre avec les musiciens du prince, dans la technique, dans les chœurs… Nous avons testé, isolé, protégé et joué.

Quel était votre objectif pour cette saison sous Covid ?

La chose la plus importante à mes yeux, c’est que nous avons joué des spectacles « normaux » sur scène, des spectacles non distanciés. Les choristes n’étaient pas masqués, les figurants et les chanteurs non plus. Je ne voulais pas que l’on présente des ersatz de spectacles. Nous n’avons pas renoncé à l’artistique. C’est ça notre grande victoire pour cette saison 2020-2021.

Quel impact économique cela a eu sur les finances de l’opéra ?

Nous avons perdu plusieurs centaines de milliers d’euros de recettes. Je pense que nous avons perdu environ 600 000 euros. Et il a fallu engager 150 000 euros de frais de tests et d’achat de matériel spécifique : les distributeurs de gel hydroalcoolique, les masques, etc. Donc le coût du Covid-19 est d’environ 750 000 euros pour l’opéra de Monte-Carlo, soit 10 ou 15 % du budget général. Le budget de fonctionnement annuel de l’opéra varie en fonction des tournées que nous faisons : il est situé entre 5 et 7 millions d’euros.

Du coup, vous allez réclamer des subventions exceptionnelles à l’État monégasque ?

Depuis le début de cette crise sanitaire, l’État s’est engagé à couvrir les frais liés au Covid-19. Après, c’est une question de technique budgétaire avec l’État. Est-ce qu’il y aura un budget rectificatif, est-ce que cet argent sera pris sur le fonds rouge et blanc ? Je ne sais pas. C’est l’État qui doit le dire. En tout cas, l’attitude du gouvernement montre combien la culture a été désirée par l’État comme étant emblématique de la vie en principauté.

Ce qui était possible à Monaco ne l’était pas forcément ailleurs ?

Il est plus facile de gérer des flux à Monaco sur un territoire de 2 km2 que de gérer des flux en France, en Italie ou en Allemagne. Il ne s’agit donc pas de donner des leçons à qui que ce soit. Il ne s’agit pas de dire que nous sommes meilleurs que les autres. Ce n’est pas le discours que nous tenons. Notre discours, c’est de dire : « Nous avons su tirer le maximum de ce qui nous était proposé. »

« Il est plus facile de gérer des flux à Monaco sur un territoire de 2 km2 que de gérer des flux en France, en Italie ou en Allemagne. Il ne s’agit donc pas de donner des leçons à qui que ce soit. » Jean-Louis Grinda. Directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange. © Photo Gilles Leimdorfer – Interlinks image

« Nous avons eu des cas positifs à toutes les productions. Soit dans l’orchestre avec les musiciens du prince, dans la technique, dans les chœurs… »

Jean-Louis Grinda, directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange

En mars 2021, Bertrand Thamin, président du Syndicat national des théâtres privés, a jugé que « dire que la culture est plus dangereuse que d’autres secteurs, alors qu’on reste assis, masqué, distancié, ça ne repose sur rien » : partagez-vous sa position ?

Je partage la position de Bertrand Thamin. Il a raison. Mais le problème n’est pas là. Quand on dit ça, on évoque qu’une partie du problème. Or, il y a deux autres parties à ce problème. Bertrand Thamin dit vrai : dans les théâtres qui ont joué, il n’y a eu quasiment aucune contamination au Covid-19. Mais le problème, c’est ce qu’il se passe derrière le rideau, en coulisses. Nous avons résolu ce problème en testant tout le temps et tout le monde. Cependant, n’oublions pas qu’un employeur ne peut pas obliger un employé à faire un test PCR. Si un seul employé refuse de se faire tester, cela met en péril tout l’édifice. Donc ça ne peut fonctionner que si on suit en coulisses un protocole extrêmement strict.

Et quel est le dernier problème à prendre en compte ?

Dernier problème à gérer : si dans une ville comme Paris on ouvre les théâtres, tous les soirs il y aura un demi-million de personnes en plus dans les rues. Or, le couvre-feu est là pour éviter les déplacements non maîtrisés dans la sphère publique. Ces restrictions sanitaires ne sont pas contre la culture. Ceux qui se sont drapés dans leur dignité ont eu tort de dire ça. Les gouvernements ne l’ont peut-être pas suffisamment bien expliqué.

Le gouvernement français a été accusé de ne pas considérer la culture comme « essentielle » ?

Il y a quelques mois, j’ai écrit une lettre ouverte, qui a été publiée dans Le Figaro, en faveur de l’ouverture des théâtres publics. Parce que je pensais que c’était par là qu’il fallait redémarrer, en montrant que c’était possible. Il n’y a que peu de théâtres publics en France. Le gouvernement français n’a pas choisi cette voie-là. Mais en aucun cas je participe à ce mouvement qui consiste à dire « nous, la culture, nous ne sommes pas essentiels ». En France, l’année blanche vient d’être prolongée de quatre mois. Il n’y a qu’en France que cela existe. Je ne défends pas le gouvernement français. Mais il faut être objectif.

En France, un protocole étalé sur deux mois a été envisagé pour les structures culturelles : jauge à 35 %, jauge à 65 %, jauge à 100 %, toujours avec port de masque, mais on ne connaît pas les seuils sanitaires permettant de passer d’un stade à l’autre : cette méthode est-elle pertinente ?

Effectivement, on ne connaît pas les seuils sanitaires. En général, c’est laissé à l’appréciation du préfet. En tant que directeur des Chorégies d’Orange, je suis d’ailleurs en plein travail sur ce sujet. Il y a la question du couvre-feu qui est limité à 23 heures pendant tout le mois de juin 2021, et il y a aussi la question de la fin des jauges. Mais la fin des jauges ne signifie pas la fin de la distanciation. On peut, par exemple, décider de maintenir un espace de 4 m2 par personne. En tout cas, à Orange, nous serons obligés de faire de la distanciation sociale. Faire l’inverse serait irresponsable.

« La chose la plus importante à mes yeux, c’est que nous avons joué des spectacles « normaux » sur scène, des spectacles non distanciés. Les choristes n’étaient pas masqués, les figurants et les chanteurs non plus. Je ne voulais pas que l’on présente des ersatz de spectacles »

Jean-Louis Grinda, directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange

Quelle sera la jauge pour l’édition 2021 des Chorégies d’Orange ?

Pour l’instant, je pars sur une jauge entre 50 et 60 %. Et on verra bien si on a une bonne surprise dans quelques semaines.

Pour ne pas prendre de risques, faut-il commencer par faire des concerts « tests », avec un système de traçage et un suivi médical pendant le mois qui suit le concert ?

Si on avait dû faire des concerts « tests », il aurait fallu le faire il y a trois mois. Aujourd’hui, on n’en est  plus là. Il y a déjà eu des concerts « tests » en Espagne et en Allemagne.

Effectivement, en Espagne, le 27 mars 2021, le concert du groupe Love of Lesbian à Barcelone a réuni 5 000 spectateurs, qui ont dansé masqués, mais sans distance : un mois après, aucun signe de contagion n’a été enregistré, donc que faut-il en conclure ?

Je ne vois pas pourquoi les résultats positifs de ces concerts « tests » ne seraient tout d’un coup pas vrais en France. Bien sûr, la population que l’on retrouve dans les concerts de rock « tests », est assez spécifique : il y a assez peu de 60 ans et plus. En tout cas, ces concerts « tests » ont été organisés. Désormais, il faut passer à la suite.

Pendant la période printemps-été 2021, faudrait-il imaginer des spectacles en extérieur, où les risques de contamination sont jugés plus faibles par les experts ?

Plus on pourra jouer en extérieur, et mieux on se portera, car on prendra moins de risques. Surtout que la question reste posée : est-ce que le public pourra retourner en masse s’enfermer dans des salles ? Aujourd’hui, personne n’a la réponse. Est-ce que pendant l’été 2021, dans la partie “off” du festival d’Avignon, les gens seront autorisés à s’empiler dans un théâtre de 100 places qui ne sera pas aéré ? Je n’y crois pas un instant. Du coup, je pense que le grand danger concernera le festival “off” d’Avignon, qui doit se dérouler du 7 au 31 juillet 2021. Cela posera un gros problème de gestion. Pour le “in”, tout ce qui était prévu dedans, pourra sans doute être fait dehors. En ce qui me concerne, les Chorégies d’Orange se déroulent en plein air, donc je n’ai pas ce problème.

« On ne verra pas un retour à la normale, donc l’abandon de toutes les mesures sanitaires, avant la fin de l’année 2021. Car on ne pourra abandonner toutes ces mesures que lorsque nous aurons atteint l’immunité collective. » Jean-Louis Grinda. Directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange. @ Direction de la communication Michael Alesi

« Le coût du Covid-19 est d’environ 750 000 euros pour l’opéra de Monte-Carlo, soit 10 ou 15 % du budget général. Le budget de fonctionnement annuel de l’opéra varie en fonction des tournées que nous faisons : il est situé entre 5 et 7 millions d’euros »

Jean-Louis Grinda, directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange

Vous espérez désormais un retour à la normale pour quand ?

Comme je l’ai dit en séance publique au Conseil national, je pense qu’on ne verra pas un retour à la normale, donc l’abandon de toutes les mesures sanitaires, avant la fin de l’année 2021. Car on ne pourra abandonner toutes ces mesures que lorsque nous aurons atteint l’immunité collective. Un peu plus de 18,5 millions de Français ont reçu une première dose de vaccin, et plus de 8 millions ont eu deux doses (1). La vaccination est en marche. En France, le 11 mai 2021, l’Assemblée nationale a voté la sortie de l’état d’urgence sanitaire au 30 septembre, et non plus au 31 octobre 2021. Mais cela ne signifie pas que les gestes barrières vont disparaître.

Que restera-t-il de cette crise sanitaire ?

Je pense que le port du masque, par choix individuel, va rester. Les gestes barrières, comme se laver les mains avec du gel hydroalcoolique, vont rester aussi. Je travaille depuis 1981 et c’est la première saison pendant laquelle je n’ai pas eu un seul malade parmi les solistes.

Comment l’expliquez-vous ?

La saison qui correspond à la pandémie de Covid-19 est la seule saison sans aucun malade, tout simplement parce que les gens ont fait très attention. En plus des gestes barrières, il y a eu beaucoup moins de voyages et beaucoup moins de fatigue. Résultat, j’ai donc eu des solistes en pleine forme toute l’année.

Monaco pourrait profiter du « retour aux jours heureux » avant la France et l’Italie ?

N’oublions pas que nous avons plus de 40 000 salariés qui viennent chaque jour travailler à Monaco. Bien sûr, le taux de vaccination des habitants de la principauté est très important, et cela fonctionne bien. Mais il faudra aussi que les pendulaires soient vaccinés.

« Sur la fin de l’année 2021, par prudence sanitaire, nous avons prévu, en accord avec le gouvernement, une distanciation dans le public. On espère le retour des jauges à 100 %, sans distanciation, à partir du 1er janvier 2022 »

Jean-Louis Grinda, directeur de l’opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange

Le 11 mai 2021, la France a finalement adopté le pass sanitaire : Monaco devra suivre le mouvement ?

Monaco n’a pas le choix. Monaco doit suivre la France, et adopter aussi le pass sanitaire. Nous ne sommes pas sur une île, en plein milieu du Pacifique. Nous sommes sur un territoire extrêmement confiné, avec des gens qui vont et qui viennent. Donc on voit bien que le pass sanitaire représente la seule solution pour voyager et circuler librement. Le gouvernement français va imposer le pass sanitaire pendant l’été 2021 pour les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Pour les Chorégies d’Orange, théoriquement, je vais donc devoir demander un pass sanitaire au public. J’attends que l’on me donne les modalités exactes. Mais attention : il ne faut pas mélanger pass sanitaire et pass vaccinal. Un pass sanitaire, c’est un test PCR négatif de moins de 48 heures. Le pass vaccinal est conditionné au fait d’avoir été vacciné.

Comment envisagez-vous la saison 2021-2022 ?

La saison 2021-2022 sera annoncée au grand public le 4 juin 2021. La programmation a été bouclée depuis longtemps, et elle n’a pas bougé d’un iota. On devrait jouer « normalement ». Sur la fin de l’année 2021, par prudence sanitaire, nous avons prévu, en accord avec le gouvernement, une distanciation dans le public. On espère le retour des jauges à 100 %, sans distanciation, à partir du 1er janvier 2022. Mais on peut aussi avoir une bonne surprise, et voir qu’à la rentrée 2021 tout ceci est derrière nous.

1) Cette interview a été réalisée le 12 mai 2021. Le 8 juin 2021, 41,55 % des Français avaient reçu une dose de vaccin, et 20,38 % avaient reçu toutes les doses requises. Il restait à vacciner au moins 18,45 % des Français pour atteindre un taux de vaccination de 60 %.