vendredi 29 mars 2024
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“On va monter en puissance”

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Concert de U2
Nice, stade Charles Ehrmann, 15 juillet 2009. Après avoir joué une première fois en 2005 dans le cadre du Vertigo tour, les Irlandais de U2 ont réunit 55 000 fans pour leur tournée 360°. © Photo Ville de Nice.

Depuis juin 2009, Live Nation, premier organisateur de concert au monde, co-gère le Nikaïa. Objectif : attirer de gros concerts sur la Côte d’Azur. Tout en misant aussi sur de jeunes artistes. Pour Monaco Hebdo, la directrice générale de Live Nation France Holding, Isabelle Gamsohn, a accepté de révéler sa stratégie. Propos recueillis par Raphaël Brun.

Monaco Hebdo : Pourquoi Live Nation a repris la gestion du Nikaïa pour 8 ans en juin dernier ?
Isabelle Gamsohn : Tout simplement parce que Live Nation est d’une façon générale intéressée, selon les offres du marché, à avoir un réseau de salles de concerts. Ce qui passe par des prises de participation dans des salles. Comme on est entrepreneur de spectacles, c’est important d’être présent dans ce réseau. Même si, pour le moment, le Nikaia est la seule salle en France qu’on gère. D’ailleurs, on est minoritaire dans cette gestion, puisque c’est Vega France (1) qui est majoritaire.

M.H. : Pourquoi avoir accepté une co-gestion avec Vega (2) ?
I.G. : On discute avec Vega depuis un moment. C’est une entreprise qui a une réputation solide. D’ailleurs, avec 18 salles en gestion, ils sont leaders en France. De plus, ils jouent la carte de la transparence. Ce qui colle avec Live Nation qui est un groupe coté en bourse et qui, par conséquent, est aussi très transparent.

M.H. : Pourquoi avoir choisi Nice ?
I.G. : D’abord, il faut dire que je connais très bien la Côte d’Azur car je suis originaire d’Antibes. D’ailleurs, mon père, Norbert Gamsohn, a dirigé pendant près de 27 ans le festival de jazz d’Antibes. Et j’ai aussi travaillé avec Monaco, à l’époque où je représentais Ray Charles. Du coup, quand l’occasion s’est présentée, je me suis dit que c’était enfin l’occasion de démontrer que Nice est une ville qui a un gros potentiel. Car les promoteurs français préfèrent aller à Marseille plutôt qu’à Nice. Voilà pourquoi j’ai décidé de prendre le contre-pied. En démontrant que toute la région, de Cannes à Monaco, possède un bassin de population qui s’intéresse aux spectacles.

M.H. : Les atouts du Nikaïa ?
I.G. : Nice a été dans le passé une ville avec beaucoup d’animations qui marchaient bien. Surtout que c’est aussi une ville où il y a pas mal de jeunes. Sans oublier la clientèle monégasque et italienne. D’ailleurs, cette clientèle n’hésite pas à aller voir des spectacles à Marseille ! Donc on peut très bien imaginer qu’ils aillent voir des concerts à Nice.

M.H. : Comment sont répartis les rôles ?
I.G. : Vega gère essentiellement la salle. Et Live Nation va peu à peu monter en puissance sur l’aide à la programmation. A la fois sur la plus petite salle, la salle 700, avec 500 places. Mais aussi sur le stade Charles Ehrmann qui peut accueillir de gros concerts, avec plus de 56 000 spectateurs. Sans oublier la grande salle du Nikaia qui possède 9 000 places, dont 6 100 assises.

M.H. : Combien coûte cette gestion du Nikaia ?
I.G. : Je n’ai pas les chiffres en tête, mais ils sont publics (3).

M.H. : Vos objectifs ?
I.G. : L’objectif principal pour Live Nation, c’est de faire de Nice un pôle important de la musique live sur la Côte d’Azur. Et de montrer aussi que toute la région peut profiter de spectacles variés. Car on peut proposer du cirque, des spectacles, un festival…

M.H. : Vous allez créer un festival de rock ?
I.G. : Ça reste à définir. Disons qu’on pourrait l’envisager. Surtout qu’on s’est engagé avec Vega sur le Nikaia pour 8 ans. Ce qui nous laisse le temps de réfléchir à ça. En tout cas, l’objectif, c’est de développer l’activité concerts sur le stade, la salle 700 et la grande salle du Nikaia. On va monter en puissance au fil du temps.

M.H. : Mais on reproche souvent à Live Nation de miser surtout de gros artistes ?
I.G. : C’est faux. D’ailleurs, à Nice, on va programmer dans la salle 700 de jeunes artistes dans lesquels on croit.

M.H. : Mais contrairement à Lyon ou Marseille, Nice est enclavé, ce qui ne permet pas d’attirer de gros concerts ?
I.G. : Nice n’est pas plus enclavé que Marseille ou Montpellier ! Mais souvent, les artistes jouent au dessus d’une ligne transversale qui va de Lyon à Nantes. Du coup, aller jouer dans le sud de la France, ça fait faire beaucoup de route pour un seul concert et remonter ensuite dans le nord. Du coup, il faut fédérer les grandes villes du sud, de Montpellier à Marseille, en passant par Nice et Monaco. En donnant la possibilité à un artiste de jouer dans plusieurs villes. Car il y a des synergies à développer. Ce qui nous permettra d’être attractif sur la région sud.

M.H. : Mais à part le groupe irlandais U2 qui a joué à Nice en 2005 et 2009, les très gros concerts restent rares au Nikaia ?
I.G. : Pas du tout ! D’ailleurs, il y a déjà eu de gros shows, avec des artistes comme Pink ou Lenny Kravitz par exemple.

M.H. : Quels sont les artistes sous contrat avec Live Nation ?
I.G. : Difficile de tous les citer. Mais on a notamment Madonna, U2, Jay-Z, Depeche Mode, Police, Beyonce, Lady Gaga, Shakira, Justin Timberlake, les Rolling Stones, Fleetwood Mac, Coldplay, le cirque du soleil…

M.H. : Tous pourraient venir à Nice ?
I.G. : Bien sûr. Mais ce n’est pas Live Nation qui décide tout seul. Car il faut prendre en compte l’intérêt commun de la tournée. Car avant de lancer une tournée européenne ou mondiale, il faut savoir que les itinéraires sont tracés de manière globale. Or, Live Nation ne décide pas forcément du tracé.

M.H. : Et sur les tournées montées par Live Nation ?
I.G. : Depuis le départ de Jackie Lombard qui dirigeait le bureau français de Live Nation, on a changé notre orientation. Car Jackie Lombard faisait surtout de gros concerts internationaux. Aujourd’hui, on a décidé de miser aussi sur de jeunes artistes prometteurs. Comme les rappeurs français Sexion d’Assaut dont on organise la tournée. Une tournée qui pourrait d’ailleurs passer par Nice. Dans ce cas là, on maîtrise le tracé de la tournée. Mais on peut aussi citer Raggasonic ou Raul Midon. Bref, des artistes qui peuvent jouer dans des salles de 500 à 3 000 places environ. Donc Live Nation ne fait pas que de gros concerts. Et ça, c’est nouveau, car ça remonte à début 2010.

M.H. : Pourquoi c’est compliqué de faire venir de gros artistes à Nice ?
I.G. : Parce qu’il s’agit de grosses tournées, souvent mondiales. Avec parfois une trentaine de semi-remorques uniquement pour transporter la scène ! Bref, c’est une énorme machine. Or, ce n’est pas Live Nation qui trace l’itinéraire de ce genre de tournées. Mais on se bat toujours pour être écouté, bien sûr.

M.H. : Vous avez déjà pris des contacts avec Monaco ?
I.G. : Je connais très bien le directeur artistique de la société des bains de mer (SBM), Jean-René Palacio, qui organise aussi le festival Jazz à Juan. Si on veut défendre notre bassin, qui va de Cannes à l’Italie en passant par Monaco, l’intérêt de tous les programmateurs c’est de tous travailler en bonne intelligence pour que notre région soit alimentée de manière partagée. Car c’est vrai que, pour le moment, beaucoup de concerts sont absorbés par Marseille. A nous de nous fédérer et de nous parler pour créer des programmations adaptées à chaque lieux, entre Cannes, Monaco et Menton. Ce qui créera une concurrence positive pour tout le monde, avec une véritable stimulation. Comme ça, les Italiens frontaliers et les habitants de la Côte d’Azur resteront chez nous, plutôt que de faire 300 ou 400 km pour aller voir un concert. Car entrer dans une concurrence dure n’aurait aucun intérêt. Avec le risque de tuer notre région au profit d’une autre.

M.H. : Un concert de U2 à Monaco, c’est possible ?
I.G. : Il y a eu beaucoup de rumeurs sur U2 depuis qu’ils ont lancé en juin 2009 leur énorme tournée qu’ils ont appelée 360° tour. Une tournée qui est d’ailleurs passée par Nice le 15 juillet dernier. Mais impossible de dire s’il a été question d’organiser un concert de U2 à Monaco. C’est vrai que le chanteur de U2, Bono, a une relation assez proche avec le Prince Albert. Mais je n’en sais pas plus. En tout cas, la question s’est posée à un moment donné pour que le groupe revienne jouer cette année dans le sud de la France. En fait, un concert à Nice a été envisagé. Mais finalement ça ne s’est pas fait. Du coup, la tournée 360° se terminera le 8 octobre à Rome. Avec une seule date en France, le 18 septembre à Paris. Mais c’est complet depuis longtemps.

(1) Créée en 1995, Vega France est une entreprise spécialisée dans la gestion de salles de spectacles, d’équipements culturels, événementiels, sportifs et de loisirs. Vega gère 18 équipements en France, dont le Nikaia avec Live Nation. Le PDG de Vega est Emmanuel Barazer de Lannurien.

(2) Vega possède 70 % des parts de la structure d’exploitation du Nikaïa. Et Live Nation les 30 % restants.

(3) Le duo Vega-Live Nation verse une redevance de 30 000 euros par an, à laquelle il faut ajouter une part variable sur les billets. Exemple : un peu plus de 24 000 euros pour un concert comme celui de U2, avec plus de 50 000 spectateurs. A noter que Vega et Live Nation paient aussi la maintenance des locaux, à hauteur de 900 000 euros sur 8 ans.

Live Nation, poids lourd mondial des spectacles

Créée en 2005, Live Nation est une entreprise basée à Beverly Hills (Californie) spécialisée dans la production de concerts. Dirigée par Michael Rapino, Live Nation s’est rapidement imposé comme le numéro 1 mondial pour la production de concerts. D’ailleurs, l’an dernier, cette multinationale qui possède 33 filiales dans le monde, a vendu 140 millions de billets, avec plus de 20 000 spectacles dans 57 pays. Il faut dire que Live Nation possède 130 salles de spectacles en Europe et aux Etats-Unis. Ce qui lui a permis de réaliser un chiffre d’affaires de 3,7 milliards de dollars avec 4 400 salariés. C’est en 2007, en rachetant 51 % des parts de Jackie Lombard Productions, une autre entreprise spécialisée dans l’organisation de gros concerts, que Live Nation s’est implanté en France. Mais le duo Live Nation-Jackie Lombard vient de se séparer. Du coup, Live Nation Holding a été créé. Cette structure d’une dizaine de salariés, dirigée par Isabelle Gamsohn, est chargée de s’occuper pour la France du catalogue d’artistes Live Nation. Un énorme catalogue. Avec des stars comme Madonna, U2, Depeche Mode, Joe Cocker, George Michael ou les Rolling Stones par exemple. Mais Live Nation France a un autre chantier : faire grandir son listing d’artistes français. Ce qui explique qu’Isabelle Gamsohn ait fait signer les rappeurs de Sexion d’Assaut ou Raggasonic. Souvent accusé d’être une énorme machine à fric, Live Nation veut changer d’image. En faisant découvrir de nouveaux talents. Car, pour beaucoup de producteurs français, difficile de rivaliser face à Live Nation qui a fusionné en début d’année avec le vendeur de billets de spectacles, Ticketmaster. Ce qui a donné naissance à un géant mondial du spectacle, Live Nation Entertainment, dont la valeur est estimée à 2,5 milliards de dollars. Un géant capable d’exercer son influence sur l’organisation de concerts, la vente de billets et la négociation de contrats de sponsoring.