samedi 27 avril 2024
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Nathalie Biancolli : « Nous voulons faire quelque chose de différent »

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Six mois après le lancement de TVMonaco, la directrice de la chaîne, Nathalie Biancolli, revient sur les débuts de cette aventure télévisuelle monégasque et répond aux interrogations des élus du Conseil national, notamment en ce qui concerne le recrutement et le budget. Interview.

Lancer une chaîne de télévision en moins d’un an est un sacré défi : quelle était votre feuille de route ?

Nous avons lancé cette chaîne en 9 mois. La première chose à faire était le recrutement, c’était indispensable. Avec Salim Zeghdar (1), on a travaillé par pôles : technologie, marketing communication, acquisition, productions, et administration. On a dessiné un plan d’attaque, d’abord en créant la grille des programmes, puis on a construit le média. La partie technologie était l’une des parties les plus importantes pour 2023 car, sans technologie, on ne peut pas diffuser, et sans contenu, on ne peut rien mettre dans la technologie. C’était nos deux piliers essentiels.

Vous êtes partis de zéro ?

Au lancement, on ne reposait sur rien. On n’appartient à aucun groupe qui a du contenu ou à une régie. On a vraiment tout fait de A à Z, notamment la partie travaux, qui était complexe, puisque nos locaux actuels étaient ceux de la Sodexo. Il y a donc eu d’énormes travaux de gros œuvre pour tout déconstruire, et pour tout reconstruire, ensuite.

« Plus on va grandir et plus on va recruter. Mais le but n’est pas d’être une usine à gaz et d’empiler des postes. C’est pour cela que nous avons créé des pôles et pas des directions »

Pour la partie « contenu », il vous a fallu du marbre [des reportages réalisés à l’avance — NDLR] pour avoir de la réserve au lancement de la chaîne ?

Du marbre pour le journal télévisé, oui. Mais, au fur et à mesure, on a avancé. Nous faisons du documentaire, acheté, produit et co-produit. Stratégiquement, entre les parties « marketing » et « communication », il a fallu définir quoi mettre en avant selon une grille, définir le nombre d’heures qu’il nous fallait, et construire tous nos directs. Nos directs pour l’actualité, avec le programme « L’Actu », tous les jours à 19 h 15, et nos directs pour les sports, « Ça Matche », tous les weekends à 18 h 15, suivis d’un talk, « Le Match dans le Match », réalisé en direct, lui aussi.

Lire aussi | Le budget de TVMonaco a fait débat au Conseil national 

TVMonaco
© Photo TVMonaco

C’est exigeant de s’imposer du direct, chaque jour ?

C’était essentiel, car nous sommes une chaîne publique de l’État monégasque. Et toute chaîne publique a forcément des directs. C’est d’ailleurs ce qui nous a été imposé : le direct et l’actualité en direct, car nous sommes membres bailleurs de TV5 Monde.

Vous mettez également l’accent sur l’indépendance de TVMonaco : comment cette indépendance est-elle garantie ?

Il y a le contrat avec TV5, qui ne garantit pas l’indépendance, mais qui demande à ce qu’on leur garantisse l’indépendance. Il y a une charte déontologique, une gouvernance, et un cahier des charges assez bien défini, qui nous garantit cette gouvernance, comme chez les autres diffuseurs publics dans d’autres pays.

« Je ne vois pas pourquoi ce serait hasardeux. Pour moi il y a zéro sujet. Frédéric Cauderlier ne travaille plus à la communication du ministère d’État. Il a une compétence qui est journalistique, et c’est ça qui m’a intéressé, en plus de sa vision et de sa manière de réfléchir »

Faire « rayonner la principauté » tout en étant objectif, comme le veut votre ligne éditoriale, c’est un exercice périlleux ?

L’objectivité est la partie la plus essentielle de nos métiers, quels qu’ils soient. Néanmoins, notre cahier des charges est très clair : c’est Monaco à l’international, sur quatre piliers. L’environnement, l’actualité, le sport et l’art de vivre en Riviera, qui va de Gênes à Perpignan. On se doit de le respecter, et les rédactions le font très bien.

Vous avez choisi comme rédacteur en chef Frédéric Cauderlier, qui a été conseiller spécial du ministre d’Etat Pierre Dartout entre 2019 et mi-2023 : comment est venue l’idée de le nommer ?

L’idée était d’aller chercher quelqu’un qui venait d’un média autre que français, car je ne voulais pas reproduire le modèle d’un média purement français ici. L’idée était de trouver des profils. C’est ce que j’ai fait pour chacun des recrutements assez atypiques. Frédéric Cauderlier venant de la RTBF, il avait une vision assez claire du métier. Et il connaissait bien l’environnement monégasque, puisque cela fait cinq ans qu’il évolue sur le territoire de la principauté. Il me paraissait essentiel qu’il nous rejoigne.

Le Canard enchaîné (2) a fait allusion à ce recrutement dans ses colonnes, estimant qu’il était hasardeux : qu’en pensez-vous ?

Je ne vois pas pourquoi ce serait hasardeux. Pour moi il y a zéro sujet. Frédéric Cauderlier ne travaille plus à la communication du ministère d’État. Il a une compétence qui est journalistique, et c’est ça qui m’a intéressé, en plus de sa vision et de sa manière de réfléchir. Il est totalement intégré au sein de l’équipe aujourd’hui.

Quelle identité voulez-vous donner à TVMonaco ?

J’ai voulu créer autre chose que ce qui existe déjà. Il faut que ce média appartienne à la principauté et qu’il reste fidèle à ce que représente Monaco en tant qu’État. Nous voulions éviter ce genre de critiques du Canard enchaîné, sous entendant que nous sommes trop proches de l’exécutif, même si nous collaborons avec les autres institutions publiques, comme toutes les chaînes publiques. Nous voulons faire quelque chose de différent.

« Je rappelle encore une fois que Monaco Info est une direction de communication. Nous ne sommes pas dans la compétition, ni dans la concurrence »

Il n’y a pas de Monégasque à la direction de TVMonaco, et des conseillers nationaux s’en plaignent [à ce sujet, lire article Le budget de TVMonaco a fait débat au Conseil national, publié dans ce numéro — NDLR] : que leur répondez-vous ?

Il n’y a pas de Monégasques à la direction de TVMonaco. Mais, à compétence égale, peu de Monégasques sont formés aujourd’hui sur la partie média, et j’ai été choisie. On est venu me chercher pour mes expériences passées. Dans notre équipe, on a un monteur monégasque, et une quinzaine de personnes travaillent en principauté depuis plusieurs années. Certains ont fait plus de 30 ans de carrière à Monaco, et d’autres viennent de Télé Monte-Carlo (TMC). Ils ne sont peut-être pas de nationalité monégasque, mais ils ont beaucoup œuvré pour Monaco. Et il y a Ambre Gstalder, évidemment, notre présentatrice principale, qui vient d’ici, et qui est mariée avec un Monégasque.

Le recrutement est bouclé ?

Non, notre recrutement n’est pas bouclé du tout. Il y a encore des postes qui nous manquent, et qui sont à pourvoir. Certains pôles ne sont pas encore totalement complets. En termes technique, le recrutement n’est jamais facile, étant donné le contexte. Plus on va grandir et plus on va recruter. Mais le but n’est pas d’être une usine à gaz et d’empiler des postes. C’est pour cela que nous avons créé des pôles, et pas des directions.

Vous recrutez essentiellement dans le bassin méditerranéen ?

Nous essayons de recruter dans le bassin et dans la Riviera mais il y a des métiers qui n’existent pas dans ce bassin. Nous les retrouvons soit à Londres, soit à Paris. On essaie aussi de recruter et surtout de former. Former des monteurs, et aussi des journalistes. Nous avons à ce sujet un contrat avec l’école de journalisme (EDJ) de Nice, et avec l’école supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA), aussi de Nice. Nous avons pas mal de juniors sur la partie contenu pur, des gens qui vont chercher des programmes, et qui viennent d’écoles de contenu.

Vous avez mis l’accent sur la jeunesse ?

Exactement. On peut d’ailleurs le voir quand on rencontre nos équipes, dans l’entreprise. C’est un choix, car nous visons le nouveau public. Et, le nouveau public, c’est eux.

Quel a été votre parcours, avant de rejoindre TVMonaco ?

J’ai fait mes premières armes dans la direction de programmes, puis le cinéma. La CLT Luxembourg m’a ensuite appelé et j’ai créé une structure, la Société nouvelle de distribution (SND), qui est la société de distribution du groupe M6, et qui fait partie du groupe RTL. Puis j’ai rejoint le groupe AB, où j’ai passé 10 ans pendant lesquelles j’ai créé des chaînes de télévision. J’ai aussi développé les catalogues, les acquisitions et les coproductions. Ensuite, je suis arrivée chez TF1, où j’ai passé 7 ans à la direction des acquisitions et des coproductions. Puis, j’ai rejoint France Télévisions, pour la même chose, mais sur le volet international. J’ai ensuite créé une alliance européenne entre la RAI et ZDF sur la partie fiction, puisque ma plus grande tâche a été dédiée aux séries et à la fiction en tant que tel, sachant que j’ai aussi beaucoup fait de documentaires dans le groupe AB. Ce sont des matières que je connais assez bien. Puis, Salim Zeghdar m’a demandé de le rejoindre sur le projet TVMonaco, et j’en suis très honorée.

« L’objectif est aussi d’aller chercher de la publicité, car on vit aujourd’hui à 100 % de l’argent de l’État. L’idée est donc de ramener de l’argent au sein de la structure, en levant des fonds, en développant du contenu, et en le contrôlant, à terme, pour contrôler nos droits »

Quel est le budget annuel de TVMonaco : 15 millions d’euros ou 24 millions, alors que des élus du Conseil national estiment qu’il a été largement dépassé ?

Il n’y a pas eu de dépassement de budget sur l’exercice 2023. Le budget de fonctionnement de la chaîne était de 15 millions d’euros pour l’exercice 2023, et il y a eu des travaux, donc il ne faut pas tout mélanger. Cette partie « travaux » a été très importante, car il a fallu tout reconstruire pour installer nos bureaux et notre studio. Mais les budgets de la chaîne, à proprement parler, n’ont pas été dépassés, ni surestimés. Le budget initial 2024 prévoyait une enveloppe de 19 millions hors TVA, conformément au plan de développement de l’entreprise. Ce budget a d’ailleurs été voté et validé par le Conseil national à hauteur de 24 millions d’euros TTC.

Quelles sont vos relations avec Monaco Info, l’autre chaîne de télévision monégasque dédiée à l’actualité ?

Monaco Info est une direction de la communication, rattachée pour le coup au gouvernement. On cohabite très bien. Ils sont sur le volet purement local, national, et nous vraiment sur le volet « Monaco à l’international ». Typiquement, la fête nationale, nous la couvrons en commun. Sur chaque sujet qui nous paraîtra indispensable, nous travaillerons ensemble.

Il vous arrive de partager du contenu avec Monaco Info ?

Non, nous ne partageons rien en particulier, si ce n’est des événements. Et si, toutefois, il fallait en partager, on le ferait. Mais je rappelle encore une fois que Monaco Info est une direction de communication. Nous ne sommes pas dans la compétition, ni dans la concurrence.

Geneviève Berti, directrice de Monaco Info, n’est pas contre une mutualisation des deux chaînes, pour se rapprocher du modèle britannique de la BBC (3) : vous partagez cet avis ?

Ça ne pourra pas être une fusion, ça ne pourrait être qu’une intégration, puisque Monaco Info n’est pas une chaîne de télévision publique. Mais il ne faut pas oublier que la BBC, c’est plus de quatre milliards d’euros de budget. Ce sont des moyens très puissants et importants, avec des années d’expérience, au moins 70 ans. Je rejoins Geneviève : « Longue vie aux médias monégasques. » Je comprends ce qu’elle veut dire au sujet de la BBC, mais il faut qu’on lance TVMonaco avant tout, et qu’on avance avec les forces en présence. Si c’est Monaco Info, on avancera avec Monaco Info.

Quels sont vos projets pour TVMonaco ?

Il faut qu’on se stabilise et qu’on continue sur notre lancée. L’objectif est aussi d’aller chercher de la publicité, car on vit aujourd’hui à 100 % de l’argent de l’État. L’idée est donc de ramener de l’argent au sein de la structure, en levant des fonds, en développant du contenu, et en le contrôlant, à terme, pour contrôler nos droits.

Vous avez aussi des projets de fiction, notamment la création d’une série télévisée ?

On a des projets de fiction, mais rien de très concret pour l’instant. Rien de trop tôt, ni ne très coûteux. Peut-être en 2024. Nous allons voir.

1) Ex-directeur général de TVMonaco, Selim Zeghdar, est officiellement administrateur des biens du prince Albert II depuis le 20 décembre 2023, suite à la publication d’une ordonnance souveraine.

2) Dans son édition du 13 septembre 2023, le journal satirique français Le Canard enchaîné a entendu « dénoncer » la « soi-disant indépendance » de TVMonaco dans un court encadré, évoquant notamment le recrutement de Frédéric Cauderlier.

3) À ce sujet, lire l’interview de Geneviève Berti « Une fusion avec TVMonaco ne me dérangerait pas », publiée dans Monaco Hebdo n° 1302.