vendredi 26 avril 2024
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Monaco progresse-t-il sur le plan des libertés et de la protection des droits ?

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Le Haut Commissariat à la protection des droits des libertés et à la médiation a rendu public son quatrième rapport d’activité pour la période 2020-2021. Il révèle des avancées, mais aussi les besoins de Monaco, pour mieux respecter les libertés et les droits des administrés.

C’est peut-être l’un des meilleurs outils pour prendre le pouls de la société monégasque. Le Haut Commissariat, organe indépendant de protection des droits des administrés et de lutte contre les discriminations, a rendu son quatrième rapport d’activité. Il couvre la période 2020-2021, et il en ressort une pléiade d’éléments révélateurs quant au bon respect des libertés et des droits des administrés. À l’écoute de toute personne, physique ou morale, sur des questions de santé, d’emploi, de logement, ou encore d’activité économique, le Haut Commissariat offre en effet la possibilité de se faire entendre, et d’être défendu, dans des situations parfois complexes, où un éclairage impartial devient nécessaire, avant d’entamer un recours, pas toujours court. Présent également sur des questions de séjour des étrangers, de conditions de détention et d’effectivité des voies de recours, il étend sa mission de médiation sur un large périmètre. Et, plus il est saisi, plus il y a matière à se questionner : manque-t-il d’un cadre législatif pour mieux encadrer certaines saisines, notamment en ce qui concerne la lutte contre les discriminations ? Faut-il faire des progrès pour mieux respecter les droits des usagers ? Toutes ces questions ressortent dans ce dernier rapport d’activité, qui a traversé la pandémie de Covid-19 et sa politique vaccinale sans précédent. Il met en avant les besoins de la principauté, pour mieux respecter les libertés et les droits des administrés, mais aussi les avancées qui ont été réalisées. Et beaucoup de points ont été relevés.

Ces saisines concernaient le plus souvent trois thématiques : l’emploi, le séjour et les activités économiques. On note ainsi une tendance de hausse régulière de la thématique de l’emploi depuis 2018

Plus de réclamations, mais un manque d’informations

Pour commencer, le Haut Commissariat a été plus souvent sollicité que par le passé. Le nombre annuel de saisines, à l’œuvre depuis la création de l’institution, a en effet grimpé pendant les deux derniers exercices, et ce, en dépit de la crise sanitaire. On a ainsi compté 82 saisines en 2020, et 97 en 2021, contre 79 en 2018 et 2019. Ces saisines concernaient le plus souvent trois thématiques : l’emploi, le séjour, et les activités économiques. On note ainsi une tendance de hausse régulière de la thématique de l’emploi depuis 2018, une légère hausse des questions relatives au séjour et une hausse sensible en matière d’éducation et de santé. Mais les administrés n’étant pas assez bien informés vis-à-vis de leurs droits, selon le dernier rapport du Haut Commissariat, la moitié des réclamations n’ont pas pu aboutir : « Pour les deux années, au moins la moitié des réclamations sont des mal-fondés, ce qui pourrait confirmer un important déficit d’information, ou de compréhension, des requérants, déjà induit par la proportion importante du nombre de clôtures motivées par l’accès au droit », note ce rapport. Au total, douze dossiers ont été clôturés pour accès au droit en 2021, et le Haut Commissariat insiste sur le besoin de faire de la pédagogie : « Ces données mettent en évidence le caractère pédagogique et explicatif de l’action du Haut Commissariat, qui bénéficie à la fois aux administrés et à l’administration en mettant un terme de manière apaisée à des réclamations qui n’auraient pas été susceptibles d’aboutir. »

Le nombre de dossiers traités au Haut Commissariat au sujet de la lutte contre les discriminations, est très minoritaire par rapport aux dossiers relevant de sa mission de protection des droits des administrés. Cela ne veut pas dire que les problèmes de discrimination n’existent pas à Monaco, mais plutôt qu’il n’existe pas encore assez de cadre législatif pour permettre de les identifier et d’agir juridiquement

Encore peu de saisines liées aux discriminations, par lacunes législatives

Le nombre de dossiers traités au Haut Commissariat au sujet de la lutte contre les discriminations, est en très légère hausse (16 % en 2021 et 14 % en 2020), mais il reste très minoritaire par rapport aux dossiers relevant de sa mission de protection des droits des administrés. Cela ne veut pas dire que les problèmes de discrimination n’existent pas à Monaco, mais plutôt qu’il n’existe pas encore assez de cadre législatif pour permettre de les identifier, et d’agir juridiquement. Le Haut Commissariat suggère ainsi de renforcer ses moyens d’action, « conformément aux standards européens et internationaux », pour mieux s’armer, tout en admettant que le faible recours aux saisines peut aussi s’expliquer par « une réticence persistante des employés du secteur privé à faire état de leurs difficultés ». Parmi les organismes mis en cause, ce sont les acteurs publics, et pas les acteurs privés, qui ont été le plus mis en cause, selon le Haut Commissariat. Parmi les employeurs publics, les organismes publics et le Service des prestations médicales de l’État (SPME), avec 10 cas recensés pour la période 2020-2021. Sur cette période, 18 saisines ont été enregistrées en matière de discrimination au total par cette officine, en premier lieu dans le domaine de l’emploi, suivi du sexe. Pour y faire face, le Haut Commissariat invite Monaco à faire preuve d’une plus grande sensibilisation à la question, pour inciter à la prise de parole. Il faudrait également un meilleur cadre législatif, pour mieux encadrer la question.

Lire aussi : Interview de Marina Ceyssac, présidente du Haut Commissariat à la protection des droits des libertés et à la médiation

Le Haut Commissariat note toutefois des avancées sur le sujet de la lutte contre les discriminations, notamment le projet de loi n° 1027 portant réforme des dispositions relatives à l’incrimination des agressions sexuelles. Cette institution se réjouit tout particulièrement aussi de la réforme du statut des fonctionnaires de l’Etat, récemment adoptée (1), qui a été l’occasion de poser un principe général de prohibition de la discrimination dans le cadre de l’emploi public. S’agissant du domaine de la protection sociale, le Haut Commissariat a également poursuivi son analyse sur la notion discriminatoire de « chef de foyer », afin de bénéficier de droits pour les enfants des affiliés des régimes de protection sociale monégasques, en particulier dans le régime des salariés. Dans ce même domaine des droits sociaux, le Haut Commissariat a eu matière à se pencher sur la reconnaissance en principauté des effets du mariage homosexuel, et du lien d’adoption légalement établi à l’étranger. Enfin, le Haut Commissariat a eu la nécessité, à l’occasion de l’instruction d’une situation particulière, de procéder à un rappel des principes à respecter dans le cadre des procédures de recrutement s’agissant de l’âge des candidats.

Masque Monaco Police
Le rapport 2020-2021 ayant traversé la pandémie de Covid-19, le Haut Commissariat a été amené à rappeler aux autorités que, si la pandémie justifiait que puissent être prises des mesures exceptionnelles dans l’intérêt de la santé publique, le respect des libertés devait, y compris dans ces circonstances, rester la règle et les restrictions l’exception. © Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

Gestion de la pandémie : priorité aux libertés individuelles

Le rapport 2020-2021 ayant traversé la pandémie de Covid-19, le Haut Commissariat a été amené à rappeler aux autorités que, si la pandémie justifiait que puissent être prises des mesures exceptionnelles dans l’intérêt de la santé publique, le respect des libertés devait, y compris dans ces circonstances, rester la règle et les restrictions l’exception. Cette institution a ainsi recommandé de ne pas reconduire la mesure d’extension de présentation du passe sanitaire à certains personnels indispensables à la continuité des services essentiels à la population. Un point pris en compte par le gouvernement, qui a fait savoir qu’il ne prolongerait pas cette mesure, compte-tenu de l’évolution favorable de la situation sanitaire. En ce qui concerne la politique vaccinale, le Haut Commissariat a également demandé de « respecter les droits parentaux dans le cadre de la vaccination contre la Covid-19 des adolescents ». Là encore, le gouvernement a répondu favorablement, et il a modifié les modalités de recueil de l’accord parental pour la vaccination d’un mineur contre la Covid-19. Chacun des représentants légaux devra désormais remplir un formulaire de consentement, hors l’hypothèse où un seul d’entre eux exercerait l’autorité parentale.

Enfin, concernant le port du masque, le Haut Commissariat a recommandé de recourir aux masques inclusifs transparents « pour prendre en compte les besoins spécifiques des personnes atteintes de surdité dans le cadre de la crise sanitaire de la Covid-19 ». Ce sera chose faite, a promis le gouvernement, qui a confirmé l’acquisition « d’un grand stock de masques inclusifs transparents » destinés à être distribués aux enseignants des classes maternelles, à ceux spécifiquement en charge d’élèves en situation de handicap, ainsi qu’aux professeurs de langues. Il a également indiqué au Haut Commissariat qu’une campagne d’information avait vocation à être menée sous l’égide de la division de l’inclusion sociale et du handicap de la direction de l’action et de l’aide sociales (DASO) pour que les conditions d’accueil des personnes en situation de handicap soient mieux adaptées dans tous les établissements de la principauté recevant du public.

Accès à l’emploi : des réclamations sur « la bonne moralité »

Depuis sa création, le Haut Commissariat est régulièrement saisi au sujet de réclamations relatives aux difficultés d’accès à l’emploi en principauté en lien avec l’évaluation de « la bonne moralité » des candidats. Cette institution a été amenée à soulever à différentes occasions la question du « droit à l’oubli administratif », et à souligner la nécessité de prendre en compte le délai écoulé entre le moment où des faits ont été reprochés à l’auteur, et le moment où il demande une embauche et un permis de travail. Le Haut Commissariat recommande donc d’encadrer juridiquement les vérifications de police effectuées dans le cadre de l’embauche de ressortissants monégasques. Sur ce point, le gouvernement envisagerait « une réflexion », mais le Haut Commissariat reste encore en attente d’informations sur l’état d’avancement de ces réflexions. Le Haut Commissariat a également proposé que soient encadrés juridiquement les avertissements solennels inscrits dans les fichiers de police, et que soit mis en place un cadre légal « garantissant la prévisibilité et la transparence des contrôles exercés par les autorités dans le cadre des accréditations délivrées aux journalistes par des organismes privés ». Le gouvernement s’y refuse toutefois, et maintient la légalité des contrôles exercés sur les demandes d’accréditation, sous l’angle de la police préventive.

Des « abus » sur les retraits de titres de séjour des étrangers

Dans son dernier rapport, le Haut Commissariat alerte sur le fait que le respect de la vie privée et familiale n’est pas assez garanti par les autorités dans le cadre de l’instruction des demandes de renouvellement des titres de séjour. Des questions se poseraient en effet dans les situations où le maintien de titres de séjour dépendrait de condition de ressources suffisante et de résidence effective. Leur retirer un titre de séjour ne serait alors pas sans conséquence : « Les personnes éligibles à ce type de titre de séjour présentent nécessairement des attaches anciennes avec la principauté puisqu’elles y résident depuis au minimum 10 ans et y ont par conséquent développé des liens forts au plan familial, amical ou encore professionnel », note le rapport. Le Haut Commissariat a, par exemple, été saisi d’un cas de retrait de carte de séjour au motif d’un défaut de ressources suffisantes, intervenu à l’occasion d’une demande de duplicata pour carte détériorée : « Cette nouvelle situation est venue confirmer un constat déjà ancien du Haut Commissariat : la sûreté publique instruit les demandes de duplicata à l’identique des demandes d’obtention ou de renouvellement de titre de séjour, alors même que les enquêtes de police menées dans ce cadre ne s’appuient sur aucun fondement légal. » Le Haut Commissariat considère ainsi que c’est « de manière abusive » que l’État s’autorise à reconsidérer la portée d’une autorisation initiale de séjour à l’aune d’éléments recueillis dans le cadre d’une enquête administrative qui n’aurait pas eu lieu en l’absence d’une démarche volontaire de l’intéressé. « Le Haut Commissariat avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de faire une recommandation formelle à ce sujet, dont il faut regretter qu’il ne soit toujours pas tenu compte. »

Le Haut Commissariat considère ainsi que c’est « de manière abusive » que l’État s’autorise à reconsidérer la portée d’une autorisation initiale de séjour

Des progrès sur les conditions de détention

Concernant les conditions de détention à Monaco, un sujet est souvent revenu sur la table du Haut Commissariat : les rondes de nuit. Nombre de détenus se plaignent en effet de voir leur sommeil perturbé par la lumière des lampes torches des personnels pénitentiaires dans leur cellule, la nuit. Dans le prolongement d’une recommandation du Haut Commissariat, des améliorations sont intervenues par le biais de l’achat de lampes à filtre de couleurs utilisées depuis mars 2020, alors que des consignes ont été données aux personnels, pour ne pas éclairer le visage des détenus. Mais, malgré ces précautions, le problème perdurait pour les détenus identifiés comment étant à « risques suicidaires », pour qui la fréquence des rondes de nuit peut aller jusqu’à 24 vérifications par nuit. Le Haut Commissariat a donc recommandé qu’une expertise indépendante de l’état psychiatrique du détenu soit réalisée, afin d’évaluer l’existence avérée ou non d’un risque suicidaire. Il a été entendu, puisque les mesures de surveillance renforcée ont pu être suspendues, dans le prolongement d’une expertise qui ne mettrait pas à jour de risque suicidaire. Petit à petit, les avancées font leur chemin.

1) Le projet de loi sur le statut des fonctionnaires a été voté dans la soirée du 30 juin 2022. Il améliore les conditions d’exercice des fonctionnaires de la principauté.