samedi 20 avril 2024
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Les défis de
Gildo Pallanca-Pastor

Publié le

Homme d’affaires, Gildo Pallanca-Pastor, 46 ans, est aussi un grand passionné de sport automobile. PDG de l’entreprise Venturi depuis 13 ans, lui et ses équipes se préparent à pulvériser en septembre prochain un nouveau record du monde de vitesse, en véhicule électrique.

RECORD DE VITESSE
Monaco hebdo : Après deux records du monde de vitesse, l’un enregistré en 2009 à 487 km/h, l’autre en 2010 à 495 km/h (515 km/h, vitesse de pointe) la Venturi VBB-3 «Jamais Contente», s’apprête à tenter cet été un nouveau record du monde sur le lac salé de Bonneville (Utah). Quel est l’objectif de vitesse que vous visez (1) ?

Gildo Pallanca-Pastor : Il s’agit de mettre au point la voiture électrique la plus puissante au monde, jamais construite de la main de l’homme. Un véhicule qui ira deux fois plus vite qu’un TGV. Le programme est étalé sur 3 ans. L’objectif, cet été, est de dépasser les 600 km/h et d’augmenter la vitesse de 100 km/h l’année suivante. Pour ensuite atteindre plus de 700 km/h en 2015.

M.H. : Quels sont les caractéristiques de ce véhicule ?
G.P.P. : Le véhicule mesure 11 mètres de long, et atteindra une puissance de près de 3 000 chevaux. Une trentaine de jeunes ingénieurs travaillent actuellement sur le projet qui est développé dans une structure située dans l’Ohio. A la mi-août, un programme d’essais sera d’abord effectué. A partir de mi-septembre, le programme de records commencera.

M.H. : Quel est le coût de l’opération ?
G.P.P. : L’apport des différents acteurs est de l’ordre de 6 millions de dollars. Il s’agit d’un programme où chaque partenaire amène ses technologies. En ce qui nous concerne, il s’agira de toute la partie moteur.

VENTURI-JAMAIS-CONTENTE-TEAM-Barry-Hathaway

M.H. : Quels en sont les risques ?
G.P.P. : L’accélération est évidemment un moment périlleux. Tout comme le freinage. Mais aujourd’hui, le sport automobile n’est plus empirique. Il y a une véritable anticipation de tout ce qui peut arriver en termes d’accident. La sécurité est très maîtrisée. On a développé une coque comme en Formule 1, avec des renforts très spécifiques. On a également travaillé sur la stabilité du véhicule, l’aérodynamique et bien évidemment sur le freinage. Avec une stratégie à trois parachutes et des freins multi-disques en carbone, qui sont à l’identique de freins que l’on peut retrouver dans un avion.

M.H. : Qui effectuera ce record ?
G.P.P. : C’est Roger Schroer, un pilote américain extrêmement expérimenté, très humble et très motivé.

MISSION ANTARCTICA
M.H. : Vos équipes travaillent également sur un véhicule électrique qui pourrait évoluer en Antarctique ?
G.P.P. : C’est en effet une mission que l’on a baptisée « Venturi Antarctica ». C’est le prince Albert qui nous a demandé de réfléchir à l’introduction de mobilité propre dans ce sanctuaire qu’est l’Antarctique. L’objectif est de réaliser un véhicule à zéro émission, capable d’opérer dans des conditions climatiques extrêmes. C’est un challenge très dur. Bien plus que le record de vitesse.

M.H. : Pour quelles raisons ?
G.P.P. : Faire fonctionner à des températures pouvant aller jusqu’à –80 degrés des composants, qui, dans l’industrie aujourd’hui, ne sont pas capables de descendre à –15 degrés, est un vrai challenge en termes d’innovation. L’objectif de cette mission est aussi de mettre au point des technologies pour développer des véhicules électriques dans des pays dits « grands froids. » Comme le Canada ou la Finlande.

M.H. : Où en est le projet ?
G.P.P. : Un premier véhicule de démonstration est actuellement en cours de construction. Notre objectif est de faire aboutir la mission en Antarctique en 2014.

PILOTE AUTOMOBILE
M.H. : On vous connaît surtout en tant qu’homme d’affaires et patron de l’entreprise Venturi. En revanche, on connaît moins votre expérience de pilote automobile. Comment est née cette passion ?
G.P.P. : Devenir pilote automobile est, je crois, le rêve de beaucoup de personnes qui naissent à Monaco et qui ont la chance de voir un Grand Prix de F1 époustouflant sous leurs fenêtres… Evidemment, je ne fais pas partie des pilotes les plus talentueux de l’histoire du sport automobile, sinon ça se saurait… (rires) Mika Häkkinen me disait toutefois que j’étais le seul à avoir le sourire au départ d’une course…

M.H. : Quand vous êtes-vous lancé dans la compétition ?
G.P.P. : A l’âge de 18 ans. J’ai fait de la compétition pendant une douzaine d’années, en parallèle de mon travail, dans diverses séries : volant Elf, Rallye-raid, la Porsche Supercup, la Renault Europa Cup, Paris-Dakar, ou encore les 24 heures de Daytona…

M.H. : Vous avez également battu un record du monde de vitesse sur glace ?
G.P.P. : Absolument. C’était le 3 mars 1995 à Oulo en Finlande sur une mer gelée. J’ai atteint une vitesse finale de 315 km/h avec des pneus sans clous. C’était un record assez insensé car je voyais les vagues au bout de la piste. Le plus grand challenge était d’ailleurs de ne pas me retrouver dans l’eau. J’ai eu droit à tout. Aux rennes qui traversaient la piste par exemple… Les Finlandais étaient en tout cas assez intrigués de voir un Monégasque aller plus vite qu’eux sur la glace (rires)…

M.H. : De simple passionné, vous êtes ensuite passé constructeur. Comment est venue cette envie ?
G.P.P. : Sans le savoir, j’ai fait de ces 12 années de compétition, une période de maturité et de spécialisation dans la conception et la construction de véhicules. Car j’étais entouré de personnes très compétentes. Malgré moi, l’aventure Venturi a donc commencé à se dessiner dès cette période. Pendant une dizaine d’années, j’ai mené en parallèle des investissements dans le financement d’entreprises innovantes. Il y a donc eu un rapprochement de ces deux mondes. Celui de l’innovation et celui de l’automobile. Le tout, dans un terreau propice, à savoir la Principauté de Monaco, qui est non seulement La Mecque de l’automobile, mais aussi un pays très sensible à l’environnement. Venturi est donc une fusion entre tous ces univers : le sport automobile, l’environnement, le glamour et l’innovation.

VENTURI
M.H. : En juillet 2000, vous reprenez l’entreprise française Venturi. Pourquoi ce rachat ?
G.P.P. : L’entreprise Venturi était à cette époque en liquidation. Une trentaine de personnes souhaitaient relancer cette marque. En ce qui me concerne, je ne voulais pas créer la marque « Gildo ». Mon objectif était de partir d’une marque existante, et effectuer une sorte de redéploiement stratégique. Avoir une base pour pouvoir développer le véhicule électrique de demain.

M.H. : Quelles ont été les principales difficultés au début de Venturi ?
G.P.P. : L’un des défis les plus durs a été de convaincre mes propres équipes qui m’accompagnaient en compétition. Elles considéraient que le pari était un peu fou. C’était en effet un vrai challenge de se lancer dans la conception de véhicules de sport électriques. A cette époque, j’étais d’ailleurs parfaitement conscient que j’allais avoir contre moi à la fois, le milieu automobile, les amateurs de voitures de sport, la presse, les puristes, ou encore les fans de la marque Venturi… Lorsque notre première voiture de sport électrique, Fétish, est sortie en 2004, les réactions ont d’ailleurs été particulièrement virulentes.

M.H. : C’est-à-dire ?
G.P.P. : Des milliers de sites Internet m’ont montré du doigt en disant que j’étais le tueur de la voiture de sport. C’était surtout le cas en Europe. L’idée que l’on puisse conduire sportivement un véhicule sans qu’il y ait de la fumée, du bruit et des vibrations, n’était pas véritablement ancrée dans les mentalités. C’est toujours le cas aujourd’hui, mais les choses commencent peu à peu à évoluer. Aux Etats-Unis, au Japon et même en Chine, l’accueil a été en revanche tout à fait favorable.

M.H. : La conception de cette première voiture a été un vrai tournant pour Venturi ?
G.P.P. : Absolument. Car les grands constructeurs automobiles ont commencé à se pencher sur nous. A nous copier aussi… J’ai un souvenir très fort du premier tour de circuit de la Fétish qui s’est déroulé près de Paris, à Mortefontaine. Lorsque la voiture a roulé pour la première fois, je ne vous cache pas que j’en ai pleuré. C’était un moment assez exceptionnel. Le lendemain, le JT de 20h de TF1 nous a consacré un reportage. Fétish porte bien son nom. Elle nous a porté bonheur.

MARCHÉ
M.H. : Comment se porte aujourd’hui le marché du véhicule électrique haut de gamme ?
G.P.P. : Le marché des véhicules de sport thermiques se porte très bien. Celui de l’électrique est naissant. C’est encore un marché de niche. Notre production est faible. De l’ordre de quelques véhicules par an. C’est véritablement du sur mesure. En revanche, sur le long terme, je sais que je suis sur le bon segment.

M.H. : Quel est le profil de votre clientèle ?
G.P.P. : En général, nos clients sont ceux qui ont déjà fait le tour de ces voitures de sport dont le moteur hurle et réveille tout le monde la nuit… On s’adresse ainsi à un profil plutôt rare de personnes qui ont déjà une certaine maturité du sujet. Beaucoup sont d’ailleurs des patrons d’entreprises innovantes.

M.H. : De quelles nationalités sont-ils ?
G.P.P. : Certains sont américains, d’autres originaires d’Europe du nord. On espère également gagner des marchés comme la Chine.

M.H. : Combien coûtent les véhicules Venturi ?
G.P.P. : En fonction des produits sur lesquels on travaille, les prix varient entre 5 000 euros et 300 000 euros. C’est le cas par exemple du modèle America.

M.H. : Et en termes de rentabilité ?
G.P.P. : Venturi n’est pas une entreprise où j’investis des millions. Les investissements ont été mesurés et les objectifs de rentabilité ont toujours primé. Après le succès de Fétish, je n’ai pas souhaité faire de levée de fonds, mais vivre l’aventure à mon rythme. Sans exagérer les investissements et en me disant que sur le long terme, je serai gagnant. C’est un peu comme en bourse. Soit vous êtes très opportuniste dans vos placements, soit vous êtes dans du très long terme. J’ai choisi cette seconde option.

M.H. : En 2007, Venturi remporte un appel d’offres européen lancé par la Poste…
G.P.P. : C’était un vrai challenge puisque nous étions en compétition face à des grands groupes automobiles. Remporter cet appel d’offres nous a rendu partenaire avec PSA Peugeot Citroën. Venturi a fabriqué un millier de véhicules pour ce groupe. Et 250 véhicules au total ont été créés pour la Poste. C’est d’ailleurs suite à cet appel d’offres que nous avons créé l’usine d’assemblage située à Sablé-sur-Sarthe.

M.H. : Venturi n’est donc plus uniquement orienté sur du haut de gamme ?
G.P.P. : L’orientation haut de gamme reste prioritaire. En revanche, les technologies que l’on développe, on les investit également dans les véhicules urbains. Pour des usages utilitaires.

M.H. : Un Grand Prix vert, c’est envisageable ?
G.P.P. : C’est possible. La F1 évolue vers des technologies propres. Le mouvement est véritablement lancé. Certaines de nos technologies sont déjà utilisées dans la F1. Il s’agit de cartes électroniques que l’on retrouve dans certaines écuries.

M.H. : Vous êtes également directeur de Radio Monaco. Du nouveau ?
G.P.P. : Radio Monaco va être diffusé sur Paris en radio numérique terrestre dans quelques mois. Vers septembre probablement. C’est une grande satisfaction. Ce sera un bon moyen de faire passer des messages sur la Principauté.

M.H. : Le 15 mars dernier, vous avez effectué le premier vol parabolique commercial en apesanteur d’Europe. Que retenez-vous de cette expérience ?
G.P.P : J’avais effectué la demande il y a plus de 5 ans. C’était une expérience extrêmement bluffante. On se retrouve soit dans un état de pesanteur martienne, soit de pesanteur lunaire, soit d’absence totale de pesanteur. Cette dernière sensation est très particulière. Car on a l’impression d’être la personne la plus souple du monde. C’est très doux. Pour votre cerveau, cette perte de repères est d’ailleurs extrêmement agréable. Nous avons effectué 15 paraboles. Pour chacune, l’état d’apesanteur dure entre 22 et 30 secondes. Les organisateurs ont eu l’habileté de choisir des participants très différents, âgés de 18 à 70 ans. De l’étudiant, qui avait gagné un concours, au jeune pilote de chasse, en passant par des personnes qui avaient dépensé tout ce qu’ils avaient pour effectuer ce vol… Tous ont été sidérés.

(1) Records de vitesse homologués par la FIA.