mardi 16 avril 2024
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“Les cas de discrimination existent”

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Jean-Charles Gardetto
« Mon objectif, qu'on se le dise, n'est pas de faire construire des mosquées à Monaco, d'instituer le PACS ou le mariage gay, et encore moins de mettre en échec la priorité nationale?! » © Photo Monaco Hebdo.

L’avocat Jean-Charles Gardetto vient de déposer une proposition de loi qui crée débat. Le président de la commission des relations extérieures du conseil national défend son texte, qui pose un principe général de non discrimination et sanctionne tout harcèlement lié à la race, à la religion ou encore aux préférences sexuelles. Interview relue et amendée.

DISCRIMINATION

Monaco hebdo?: Vous avez élaboré une proposition de loi posant un principe général de non discrimination. Quel est votre objectif??

Jean-Charles Gardetto?: Mon objectif, qu’on se le dise, n’est pas de faire construire des mosquées à Monaco, d’instituer le PACS ou le mariage gay, et encore moins de mettre en échec la priorité nationale?! C’est une proposition qui introduit un dispositif juridique permettant de lutter contre des comportements discriminatoires fondés sur la race, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, la grossesse, le handicap, etc.

M.H.?: Selon vous, il s’agit juste d’une mise aux normes par rapport aux standards internationaux??

J.C.G.?: Exactement. Monaco a déjà signé des instruments internationaux en ce sens mais il n’y a pas eu de transposition dans le droit interne monégasque. On a signé la déclaration universelle des droits de l’homme des Nations-Unies, la convention internationale contre toute forme de discrimination raciale, la convention européenne des droits de l’homme…

On devrait avoir une transposition de ces textes en droit monégasque. C’est d’ailleurs ce que nous demandent les experts de l’ECRI et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Et ce que réaffirme la résolution qui a fait sortir Monaco du suivi ainsi que le comité des ministres.

M.H.?: Le conseil de l’Europe avait admis les spécificités monégasques??

J.C.G.?: Il tient compte de la taille de Monaco et du nombre minoritaire des monégasques dans leur pays mais ce n’est pas un blanc-seing. Le conseil de l’Europe admet qu’il y ait en principauté un traitement spécifique pour les nationaux. Et c’est un élément que j’ai intégré dans ma proposition. Qu’on ne vienne pas me dire que je porte atteinte à la priorité nationale. La situation des nationaux ou de leurs conjoints n’est pas menacée. C’est un mensonge voire un procès d’intention.

M.H.?: Pour le conseiller pour les affaires sociales Stéphane Valeri, la traduction d’un tel principe aurait à terme des effets pervers??

J.C.G.?: Stéphane Valeri manque de mémoire. Ma proposition de loi est en parfaite cohésion avec le programme de l’UPM élaboré sous l’autorité de Stéphane Valeri pour les élections de 2008 et légitimé par le vote des monégasques. Dans ce programme, il y a un point 95 sur lequel on s’engage à voter une proposition de loi pour lutter contre toutes les discriminations sans obérer la priorité accordée aux nationaux. Mon texte est exactement dans ce cadre là. Et il y a un point 31 qui promettait de mieux protéger les salariés contre les discriminations et le harcèlement.

M.H.?: Selon lui, il n’y a pas d’intérêt à légiférer puisque le problème de discrimination n’existe pas à Monaco??

J.C.G.?: C’est faux. Et si l’on suit cette logique, parce qu’à Monaco il n’y a pas d’assassinats, on ne devrait pas avoir de texte punissant l’assassinat. La loi prévoit des dispositions pour les cas où la situation se présente. Or les cas de discrimination existent. Par exemple, il est arrivé que l’on soit servi en dernier dans un supermarché parce qu’on n’a pas la peau blanche. En outre, je connais une situation où un bailleur, une dame qui possède de nombreux appartements en principauté, refuse d’admettre le compagnon de son locataire. Et ça ce n’est pas prévu par les textes?! Les propos homophobes qui ont été condamnés récemment par la justice monégasque l’ont été au titre de l’injure et non de la discrimination, qui n’est pas sanctionnée par la loi. Qu’on ne dise pas que les cas de discrimination n’existent pas parce que les responsables gouvernementaux n’y ont pas été confrontés. Ça me rappelle les mauvais esprits qui disaient que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière. Il faut cesser de penser qu’on vit dans un monde idéal.

M.H.?: Vous ne vous faites donc pas plaisir avec cette proposition de loi??

J.C.G.?: Ce n’est pas une proposition de loi pour moi. Je ne suis prisonnier d’aucune idéologie. Je ne vois pas où est le plaisir à gratter un texte d’une grande complexité technique. Je cherche simplement à combler un vide juridique. Les réactions de l’opposition sont graves. Elles mettent Monaco du côté des racistes, homophobes, et antisémites. Elles nous mettent dans une situation parfaitement à contre-courant de l’histoire. Plus grave que cela, ces prises de position décrédibilisent l’action du prince Albert qui a invité Nelson Mandela, le chantre de l’anti-apartheid, et qui a fait de la coopération avec les pays d’Afrique un élément important de la politique extérieure de Monaco. En outre je suis sûr que le président Obama apprécierait?! Le prince Rainier aussi bien que le prince Albert ont souhaité que Monaco adhère au conseil de l’Europe et que les droits de l’homme soient respectés en principauté.

C’est pourquoi j’aurais préféré que le gouvernement se donne le temps de la réflexion et réserve sa position au moment du débat entre nos deux institutions plutôt que de prendre des positions qui rejoignent l’opposition.

HARCELEMENT

M.H.?: Sur le harcèlement, par contre tout le monde semble d’accord pour légiférer. Il y a également un vide juridique à combler??

J.C.G.?: A l’heure actuelle, certains comportements sont sanctionnés au titre de voies de fait mais ce n’est pas protecteur de la même manière. Il est important, là encore, de disposer de textes spécifiques, précis, adaptés à notre temps, à l’évolution et aux besoins de la société.

M.H.?: Vous êtes favorable à la création d’une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde)??

J.C.G.?: Oui. Je la prévois d’ailleurs dans mon texte sous un autre nom. Il n’y a pas d’autorité administrative indépendante auprès de qui une personne victime de discrimination pourrait se plaindre et qui pourrait intervenir et saisir la justice.

M.H.?: Est-ce que vous êtes soutenu par la majorité qui est censée soutenir ce point de programme?? Cela ne semblait pas acquis.

J.C.G.?: Deux ou trois membres de la majorité n’avaient pas lu mon texte et s’interrogeaient. Il y a eu une réunion de groupe majoritaire entièrement consacrée à cette proposition durant laquelle chacun a pu faire part de ses craintes et poser des questions. Aujourd’hui toutes les explications ont été données et la majorité a parfaitement compris la problématique. La question ne se pose plus. Il y a eu débat, explication. La majorité est d’accord pour mener la procédure législative jusqu’à son terme. C’est à ce moment que le gouvernement conformément à la constitution pourra se prononcer, les commentaires d’un de ses membres en ce qui me concerne sont dépourvus de toute légitimité et violent nos institutions.

M.H.?: Il y a un planning??

J.C.G.?: Pas encore. Un rapporteur a été désigné en la personne de Guillaume Rose. Nous sommes en mesure de travailler sur ce texte. Mais l’agenda du conseil national est assez chargé. Nous travaillons sur des textes relatifs au fonctionnement du conseil national, à l’économie numérique, à la fiducie, à l’organisation judiciaire, au tribunal du travail, etc. Nous le voterons courant 2011.

M.H.?: Vous croyez que le gouvernement le transformera en projet de loi??

J.C.G.?: J’ose espérer que le gouvernement fera preuve de bon sens et ne fera pas honte à la principauté.

M.H.?: Vous sentez que c’est une volonté de la population??

J.C.G.?: Je ne pense pas que les Monégasques soient des antisémites, racistes, sexistes. Ils sont certainement attachés au fait que leur pays ait une image de pays moderne. Surtout au moment où on investit à grand frais dans une campagne de communication. Alors qu’on parle d’attractivité, je ne pense pas que les entreprises ou les investisseurs aient envie de voir leur nom associé à un pays qui se verrait rangé du côté des racistes, antisémites, etc… C’est un facteur essentiel de se donner une image positive d’autant que, je le répète, il n’est pas question de remettre en cause les priorités des nationaux.

M.H.?: Pourquoi vous défendre sur le terrain des mosquées, du mariage gay ou du Pacs??

J.C.G.?: Les fantasmes vont bon train. On entend de tout. Lors de la première séance d’examen du texte, Christophe Steiner a affirmé qu’il n’avait pas lu mon texte mais qu’il favoriserait l’implantation de mosquées à Monaco?! Or, la liberté des cultes est d’ores et déjà garantie constitutionnellement. Dès aujourd’hui, il existe des lieux de culte autres que catholiques. Mon texte ne change rien à cela. Il craint aussi que mon texte soit une réponse à la réception que le gouvernement aurait réservée à la présidente de l’association des lesbiennes et transsexuels. Ce n’est pas l’objet de mon texte. Ce sont des procès d’intention de gens qui ont la volonté de nuire et qui décrédibilisent l’action du prince à l’international.

M.H.?: Vous aviez en projet de proposer un texte sur le concubinage??

J.C.G.?: Actuellement le concubinage n’est pas défini en droit monégasque, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel. C’est une hypocrisie dans le sens où l’administration tient compte des revenus des personnes habitant dans le même foyer pour déterminer les allocations logement. Mais elle se refuse à donner un statut juridique à cette situation. La majorité avait défini dans la proposition de loi sur les violences domestiques le concubinage comme la cohabitation de personnes de sexes différents ou de même sexe. Ce qui avait été attaqué violemment par l’ancien ministre d’Etat Jean-Paul Proust dans des propos qui n’étaient pas à l’honneur de la principauté. La question demeure posée. Le gouvernement a fait une pirouette dans le texte sur les violences domestiques qui protégera finalement toutes les personnes habitant sous le même toit sans distinction de sexe.

BUDGET

M.H.?: Lors des débats budgétaires, vous avez demandé si on était au conseil communal ou national. Vous confirmez??

J.C.G.?: J’ai trouvé que le débat prenait un tour très limité car on a consacré énormément de temps aux arrêts d’autobus, escaliers, ascenseurs… Je pense que ces sujets ne sont pas dénués d’intérêt pour la population locale mais il serait plus opportun de consacrer plus de temps au logement, à l’emploi des jeunes Monégasques dans les sociétés à monopole, à l’accès des étudiants monégasques au programme Erasmus.

M.H.?: Vous évoquez les monopoles. Le ministre a annoncé qu’il y aurait une étude sur l’évolution des concessions et la baisse des redevances. Un point positif??

J.C.G.?: Qui vivra verra. Je demande à voir. La contribution de ces entreprises au budget ne fait que baisser. Il y a des questions à se poser dans la façon dont les entreprises sont gérées, dont les services sont rendus.

MONACO TELECOM

M.H.?: L’année dernière, à propos de Monaco Telecom et de son actionnaire principal Cable & Wireless, vous aviez parlé de sabotage. Ce à quoi Martin Perronet avait répliqué?: « Qui veut saboter quoi?? ». Votre position aujourd’hui??

J.C.G.?: L’année passée, nous avions rencontré les délégués du personnel et les syndicats de Monaco Telecom qui nous avaient parlé de graves difficultés et de détérioration du climat social. Je n’ai pas de nouveaux éléments me permettant de dire aujourd’hui si cette situation a évolué positivement ou s’est dégradée. Je tiens à dire que les délégués du personnel et délégués syndicaux n’ont pas été manipulés. Le directeur de Monaco Telecom a cherché à faire de la communication pour sauver les meubles.

M.H.?: Quant à la répartition des bénéfices aux actionnaires, vous la contestez toujours??

J.C.G.?: Monaco Telecom est une pompe à argent qui pompe l’argent à Monaco pour l’envoyer en Angleterre. Je maintiens que vendre Monaco Telecom à Cable & Wireless n’a rien apporté. On a perdu la culture de l’entreprise et on a une gestion financière qui fait peu cas du facteur humain.

POLITIQUE

M.H.?: Pour l’opposition vous êtes républicain??

J.C.G.?: Monsieur Nouvion est de mauvaise foi et fait preuve de fantaisie dans ses affirmations. Je ne suis pas républicain et je ne veux pas déstabiliser les institutions monégasques. Je suis attaché à la monarchie constitutionnelle. Je pense en revanche que l’opposition ne fait que projeter des opinions qu’elle a du mal à assumer, il n’y a qu’à relire l’intervention de Christophe Steiner lors de la séance de vote du budget rectificatif pour s’en convaincre et ses multiples références à Benjamin Constant célèbre républicain engagé en faveur du régime parlementaire.

M.H.?: Comment se porte selon-vous la majorité actuelle?? Elle souffre??

J.C.G.?: Les personnes qui composent la majorité aujourd’hui sont dans une situation plus sereine et solidaire autour du président du conseil national. Le climat s’est apaisé. Les conflits sont en phase de terminaison. D’ailleurs la séance publique du vendredi 15 octobre sur le vote du budget rectificatif 2010 a démontré la solidarité d’une majorité qui parlait à l’unisson et à laquelle se sont même joints certains de ses anciens membres. C’est un bon signe?!

M.H.?: Un rapprochement avec l’UNAM est-il encore possible?? De fait, on voit mal comment ils pourraient voter contre le programme UPM sur lequel ils ont été élus??

J.C.G.?: Rien n’est exclu. La majorité n’a pas d’idéologie. Il n’y a donc pas de barrage et les portes n’ont jamais été fermées. Il faut dépasser les querelles de personnes. Toutes les personnes concernées ont suffisamment d’intelligence pour se concentrer sur la réalisation du programme.

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