jeudi 28 mars 2024
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Bernard Thibaut : « Depuis
des siècles, on réalise
des constructions en bois »

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À Monaco, un prototype de bâtiment en bois sera inauguré en 2022. Quels sont les avantages et les inconvénients de ce type de construction ? Bernard Thibaut, directeur de recherche émérite au CNRS à Montpellier, a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

Une partie de la Côte d’Azur et Monaco sont en zone sismique (1) : c’est dangereux de construire un immeuble en bois ?

Non. En zone sismique, c’est plutôt un avantage de construire en bois. De tous les matériaux de construction, le bois est le plus léger. Et le poids, c’est important. À résistance mécanique équivalente, c’est préférable de l’utiliser. Mieux vaut construire les superstructures d’un immeuble entièrement en bois. Il a un coefficient d’amortissement supérieur au béton.

Aucun risque alors ?

Attention, il faut avoir de bonnes règles de construction. Sinon, il peut y avoir des risques.

Et le littoral ?

Il n’y a pas de risque de corrosion du bois avec le littoral marin. Il y a d’ailleurs beaucoup de constructions en bord de mer réalisées en bois. L’aspect température n’est pas non plus impactant. Le bois se comporte bien entre -50 °C et +150 °C. En revanche, il commence à souffrir à partir de 200 °C. De tout temps, on a construit avec du bois. Dans les pays chauds, on mélange toujours le bois avec de la terre ou de l’argile pour donner de la masse. C’est intéressant de marier les deux. En zone méditerranéenne, on manque de ressource en bois. C’est là que réside le problème, et non dans la construction.

Qu’est-ce que le bois lamellé-croisé ?

Les produits industriels en bois lamellé-croisé sont récents. On peut les comparer à du contreplaqué. Les panneaux sont faits avec des sapins, des pins, etc. Ce sont des produits intéressants pour la construction. Mais les vendeurs l’ont bien compris. Du coup, désormais, l’unique frein c’est le prix élevé de telles constructions.

Avec quoi peut-on fabriquer du bois lamellé-croisé ?

Le bois lamellé-croisé ne peut pas être fait en chêne. Car il n’existe aucune recherche là-dessus. C’est uniquement possible avec des résineux.

En Europe, pourquoi les constructions en bois lamellé-croisé se développent ?

Ce bois lamellé-croisé se répand à grande vitesse au-delà de l’Europe. Même s’il est cher, c’est un produit compétitif. Les pièces de bois, extraites de l’arbre, sont des pièces élancées. Elles sont faites pour réaliser des poutres et des membrures. Mais elles ne servent pas à faire des parois. Du coup, avant, on utilisait du contreplaqué. Mais ça n’est pas très épais. Alors que le bois lamellé-croisé permet de faire des murs épais. C’est bien pour les grosses constructions ou les bâtiments en hauteur. Le bois lamellé-croisé remplace un mur de briques ou de béton.

C’est vraiment éco-responsable de construire en bois lamellé-croisé ?

Oui. Ce système a une faible empreinte carbone. Parfois elle est même positive. Aujourd’hui, on émet plus de CO2 qu’on n’en récupère. Ce sont les végétaux qui récupèrent le CO2 dans l’atmosphère. Or, on a intérêt à diminuer les émissions de CO2 et à limiter les produits fossiles que l’on va transformer en énergie. Le bois est déjà fabriqué par l’énergie solaire. Il demande moins d’énergie de transformation. Donc, fabriquer une planche, ou une poutre en bois lamellé-collé, ne nécessite pas beaucoup d’énergie. Par ailleurs, une tonne de bois stocke 500 kilogrammes de carbone. Cela permet de re-stocker une à deux tonnes de CO2 venant de l’atmosphère.

En quoi cela est positif ?

L’empreinte carbone du bois est favorable pour deux raisons. Premièrement, il consomme très peu d’énergie fossile. Deuxièmement, il peut servir de puits de carbone. C’est son double avantage environnemental. De plus, la production de bois en forêt n’est pas très polluante.

Mais il y a aussi le problème de la gestion des ressources forestières ?

En France, depuis 50 ans, le domaine forestier a augmenté en surface de 20 à 30 %. Il a doublé en volume de bois sur pied. Aujourd’hui on ne prélève que 50 % à 60 % des besoins et la récolte de bois est supérieure à la production d’acier, de polymère, voire de béton. Bien sûr, il faut préserver ce capital. Même si le bâtiment a besoin d’une quantité de bois importante, les forêts peuvent y subvenir.

Il n’y a donc aucun problème ?

L’unique problème viendrait de l’utilisation d’une seule espèce de bois. Et dans le secteur du bâtiment, les professionnels utilisent beaucoup l’épicéa. Cela ne représente qu’un tiers des ressources forestières françaises.

Quelle est l’importance du secteur du bâtiment pour la filière bois ?

Pour la filière bois, le secteur du bâtiment représente le plus gros volume et tonnage. Il y a donc un lien privilégié entre les deux. En général, on dit que c’est le bâtiment qui tient la filière bois.

Pourquoi ne pas miser sur des constructions 100 % en bois ?

Depuis des siècles, on réalise des constructions en bois. On le mélange avec de la pierre, de l’argile, voire du métal. Mais du 100 % bois n’a pas un grand avantage. En revanche, l’intérêt du bois dans la construction réside dans les pièces de structures. Je pense aux éléments de charpentes. Naturellement, le bois est l’un des matériaux les plus performants. Il existe dans la nature depuis 400 000 millions d’années. C’est toujours le même matériel qui sert à faire des pièces de flexion. Et il reste très abondant.

Construire 100 % en bois nécessite plus de temps ?

Quand on parle du 100 % bois, on parle surtout de l’ossature, même si, aujourd’hui, on réalise aussi les murs en bois. La construction en bois est très rapide. Le gain de temps provient de la réduction des interventions. Résultat, actuellement, les Américains construisent beaucoup en bois.

Quel est le grand point faible du bois ?

Au Moyen Âge, on construisait déjà en bois. Au fil des siècles, on est arrivé à un certain perfectionnement. Mais l’inconvénient majeur c’est sa sensibilité au feu. Les événements à la cathédrale Notre-Dame de Paris nous l’ont récemment prouvé.

1) Monaco et le département des Alpes Maritimes sont situés sur une zone de sismicité moyenne, de niveau II.