samedi 20 avril 2024
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Christophe Réville : « Démystifier toutes les peurs autour du vol »

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Après la catastrophe aérienne de la Germanwings, comment surmonter sa peur en avion ? A Nice, des stages anti-stress sont organisés par Aviasim, une entreprise spécialisée. Décryptage de cette angoisse avec le fondateur du site niçois, Christopher Réville.

 

Quatre personnes sur dix sont anxieuses lorsqu’elles prennent l’avion. Et une personne sur dix a une peur phobique qui l’empêche de décoller. « C’est une peur qui n’est pas rationnelle », estime Christopher Réville, fondateur d’AviaSim Nice. « Le fait de ne plus être sur la terre ferme, mais en l’air, à 10 km de haut et à 900 km/h, avec entre 100 et 550 autres passagers, ça démultiplie l’imaginaire… » Pour gérer sa peur et voyager plus sereinement, AviaSim, leader de la simulation aéronautique en France, organise depuis maintenant deux ans des stages anti-stress dans cinq villes françaises.

 

Catastrophe

Après le drame de la compagnie Germanwings, mardi 24 mars dans la région de Barcelonette (Alpes-de-Haute-Provence), qui a fait 150 morts, « nous avons eu pas mal de questions », reconnaît le directeur du centre. Cette catastrophe aérienne, dont l’origine n’est ni une erreur humaine ni un problème technique, « n’a pourtant pas eu d’impact sur la peur en avion de nos clients. Nous avons eu une hausse des réservations, mais qui est liée à la préparation des vacances d’été », assure Christopher Réville, qui accueille ce mois-ci son dixième stagiaire angoissé depuis l’ouverture de l’antenne niçoise en octobre dernier.

Le stage se décompose en trois séances de deux heures, de préférence sur trois jours différents, « pour rendre cela le plus efficace possible. Nos stages sont individuels et sur mesure », raconte le chef d’escale. Le stagiaire se retrouve en tête-à-tête avec un pilote de ligne qualifié. Les deux premières heures permettent de trouver et de comprendre l’origine de la peur. Avec une partie théorique : « Pourquoi un avion de 70 tonnes arrive à décoller au bout de 2 km de piste ? On explique la portance, les conditions météo… Le but premier est de démystifier toutes les peurs autour du vol », indique Christopher Réville.

 

Turbulences

En trio de tête : « la peur des turbulences, la peur de l’orage et de la foudre, puis la peur de la panne », confirme Xavier Tytelman, spécialiste en sécurité aérienne et responsable de stages au Centre de traitement de la peur de l’avion. « La peur des turbulences est la plus récurrente et la plus répandue, car très désagréable au niveau du ressenti physique, décrypte le fondateur d’AviaSim Nice. Il y a des gens qui vont s’imaginer plein de choses dès qu’ils entendent un bruit ou voient quelque chose, alors que ce n’est pas un problème. Tout ça parce qu’on n’a jamais répondu à leurs questions. Chacun a une expérience différente de l’avion. Et chacun a des peurs différentes. »

Et face aux angoisses liées au terrorisme ? « Elles sont plus rares, mais on n’a pas beaucoup de ressort sur ça », reconnaît Christopher Réville. « L’attentat est dans le bas de la liste, car il peut arriver dans n’importe quel environnement », relativise Xavier Tytelman. La peur d’une erreur humaine ? C’est la raison pour laquelle il y a deux pilotes : l’un fait quelque chose, l’autre contrôle. Il y a des garde-fous, que ce soit dans les systèmes automatisés de l’avion comme dans les procédures, avec des check-list pour les pilotes. « L’erreur humaine est rarissime », maintient le fondateur d’AviaSim Nice.

 

Contrôle

Deuxième étape : deux heures en simulateur. Le stagiaire, avec le pilote, va choisir une destination, paramétrer l’avion, préparer le plan de vol, regarder les conditions météo. C’est lui qui pilote, « de manière à ce que les gens qui ont peur parce qu’ils n’ont pas les commandes se rendent compte qu’ils peuvent y arriver. Donc, a fortiori, un pilote de ligne qui a été formé pour ça y arrive encore mieux. » Un cas de manque de confiance qui arrive souvent. « Comme ceux qui n’aiment pas qu’on conduise leur voiture », compare Réville. Selon le Centre de traitement de la peur de l’avion, plus de 80 % des personnes qui ont peur de l’avion ont besoin de garder le contrôle. On leur apprend alors à lâcher prise lors de ce vol prévu pour bien se passer.

La dernière session est similaire à la précédente. « Sauf que cette fois, ça va être un vol à problème. » Le pilote se met dans les conditions de ce qui angoisse le stagiaire. « Par exemple, avec des turbulences, la vitesse fluctue, l’avion se met à trembler, les moteurs ajustent la puissance… Les stagiaires voient comment l’avion réagit, comment le pilote réagit. Et comment on s’en sort très bien… » D’autres ont peur d’une panne moteur : en la déclenchant sur le simulateur, le pilote montre que l’avion peut voler sur un seul moteur, qu’il est possible de le ramener à un aéroport.

 

Diagnostic

Sur les 300 personnes qui ont effectué des stages anti-stress AviaSim, « le taux de réussite est de l’ordre de 97 %, estime Christopher Réville. Quand les gens viennent s’inscrire, on vérifie avec eux que la peur qu’ils ont est bien une peur de l’avion. Et pas d’autres peurs, comme la claustrophobie ou la peur du vide. » Ceux-là sont orientés vers d’autres prises en charge. Autre raison avancée par le chef d’escale : l’individualisation des stages. « Ils sont suivis sur les trois séances par le même pilote. Ce qui permet de nouer une relation de confiance et évite de rajouter une autre appréhension. »

À l’issue du stage, il est vivement conseillé de prendre un vrai vol cette fois, dans le mois. « Même un tout petit trajet, comme un Nice-Genève à 40 euros. On leur demande de nous envoyer une carte postale une fois là-bas ! », raconte Christopher Réville. « Un vol le mois suivant permet de diminuer de deux fois l’anxiété ressentie avant le stage », certifie Xavier Tytelman. Elle passe de 9,2 sur 10 à 3,9. « C’est la mise en pratique qui est importante. Les techniques de gestion de l’anxiété sont présentes une fois qu’on s’est entraîné. L’effet du simulateur de vol est fort, mais s’atténue avec le temps », prévient le spécialiste en sécurité aérienne.

Christopher Réville distingue trois types de clients. Ceux qui n’ont jamais pris l’avion et qui veulent voyager ; ceux qui prenaient l’avion et, à la suite d’un vol qui ne s’est pas très bien passé, ont eu un blocage. Enfin, « des hommes d’affaires obligés de voyager qui prennent l’avion à reculons, voire qui ont trop peur pour voler et voient alors leur carrière freinée. ». Les entreprises ont d’ailleurs tout intérêt à solliciter ce genre de stages anti-stress pour leurs salariés. Dans une étude révélée par Le Figaro, « par simple peur de l’avion, près de dix millions de voyages professionnels sont annulés chaque année. » Ce qui représenterait, à l’échelle des entreprises françaises, « un manque à gagner de cinq milliards d’euros. »

 

« 85 % des gens veulent tester Nice »

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© Photo AviaSIM

C’est à Cagnes-sur-Mer, près de l’hippodrome, que l’antenne azuréenne du groupe AviaSim s’est installée il y a six mois. Ce cinquième centre, lancé en octobre par Christopher Réville, a déjà accueilli près de 500 clients. Cinq pilotes de ligne qualifiés tournent en fonction de leur planning de vol. Le groupe AviaSim a déjà fait planer plus de 4 000 personnes depuis sa création en 2010. La plupart du temps, ce n’est pas pour braver leur peur de l’avion, mais pour leur plaisir que les personnes veulent s’installer, durant une à trois heures, aux commandes d’un Airbus A320. « Le rêve prend le dessus », explique Christopher Réville. « Vous voulez aller à Sydney ? On vous met à Sydney… C’est vous qui faîtes tout de A à Z, accompagné par un pilote professionnel. » Le simulateur, réplique exacte et entièrement fonctionnelle d’un cockpit d’A320, peut reproduire des vols de jour comme de nuit. Il permet aussi d’intégrer les conditions météorologiques de son choix ou de faire des approches aux instruments… « On garde un côté ludique et passion de l’aérien, avec une infinité de scénarios possibles. On est en immersion totale. Les lieux sont restitués à la perfection. » New York, Rio, Singapour, Dubaï sont parmi les 24 000 destinations proposées. « 85 % des gens veulent tester Nice. On a des fanas d’exotisme qui demandent d’aller à Ushuaïa. Mais on a aussi des passionnés du Sud qui veulent faire Nice-Bastia. » Ce n’est pas pour rien que l’aéroport de la capitale azuréenne a été élu plus belle approche à l’atterrissage on monde. « Souvent, on fait des vols courts. On décolle de Nice vers Saint-Jean-Cap-Ferrat, puis demi-tour, cap sur les îles de Lérins et on se repose à Nice. On a alors fait un petit tour de la région. Les gens sont très locaux », s’amuse le chef d’escale. Aucune connaissance en pilotage n’est nécessaire. Seul prérequis : avoir plus de 12 ans. « Le choix de l’A320, un avion européen, n’est pas anodin. Il est très sophistiqué et complexe. Mais de prime abord, il est un petit peu plus facile à piloter que d’autres modèles. » Ce qui s’explique aussi par le fait que l’une des activités d’AviaSim est la préparation des pilotes aux sélections des compagnies aériennes.

 

L’avion, toujours aussi sûr ?

 

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© Photo Aéroports de la Côte d’Azur

Trois semaines après le crash de l’A320 de la Germanwings, la question est sur toutes les lèvres : l’avion est-il encore le moyen de transport le plus sûr ? La réponse est oui. Et sans conteste. Les chiffres avancés par le journaliste Arnaud Comte sur France 2 sont significatifs. Le train a 1,5 fois et le bus 4 fois plus d’accidents que l’avion. On a 44 fois plus de possibilité d’avoir un accident de voiture… et 520 fois plus à deux-roues. Le fondateur d’AviaSim Nice, Christopher Réville, remet les risques en perspective : « Quand vous prenez l’avion, là où vous avez le plus de chance d’avoir un accident, statistiquement, c’est en allant à l’aéroport… En France, il y a plus de 3 500 morts par an sur les routes, soit près de dix par jour. Et on en parle jamais ! » C’est aussi l’une des causes du stress aérien : « Dès qu’il y a un problème d’avion, on en fait des dizaines d’articles.

Alors qu’un accident de voiture, c’est “banal”. » Une fascination étroitement liée à la peur irrationnelle de l’avion. « Le rôle des médias est primordial, avec une focalisation démesurée sur les accidents aéronautiques. C’est mystifié, car on sait que plus d’un tiers de la population a peur en avion », confirme le spécialiste en sécurité aérienne, Xavier Tytelman. L’exemple qu’il donne est éloquent : le 6 juillet 2013, un avion rate son atterrissage à San Francisco. Deux morts sont à déplorer, l’accident fait la « une » de tous les médias. Quelques heures plus tard, un train déraille au Canada. Bilan : 47 morts. Pourtant, ce sujet est beaucoup moins relayé. « Dans une étude, un docteur en marketing estime que les accidents d’avion font 150 à 200 fois plus de bruit médiatique pour un même nombre de victimes », affirme Tytelman. Pourtant, si l’on compare les décès en avion par rapport au trafic aérien, ils sont extrêmement faibles, alors que les passagers sont dix fois plus nombreux. En 1970, 310 millions de personnes empruntaient l’avion, pour 2 250 victimes. En 2014, il y a eu 3,1 milliards passagers, pour 1 328 victimes. Soit une possibilité sur plus de 2,3 millions de mourir dans un crash aérien. Ce qui équivaut à la chance d’avoir cinq numéros au Loto ou à l’Euromillions.