vendredi 26 avril 2024
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Entre tradition et modernité,
le cirque peut-il exister
sans animaux ?

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A l’occasion du 44ème festival international du cirque de Monte-Carlo, mettant cette année les animaux à l’honneur,

Monaco Hebdo fait le point sur l’évolution de cet art du spectacle, alors que la place des animaux dans celui-ci, est de plus en plus contestée par une partie de la société.

Le 44ème festival international du cirque de Monte-Carlo ouvre ses portes au chapiteau de Fontvieille du 16 au 26 janvier. Malgré un contexte international où la place des animaux dans le cirque est questionnée, la programmation de cette édition met les animaux à l’honneur. A l’affiche, les chevaux tout particulièrement, avec la cavalerie du cirque Knie. Mais aussi, les tigres blancs, avec Sergey Nistorov. « Le titre, c’est plutôt la beauté du cheval et son élégance. L’intention de la princesse était de continuer à lutter pour maintenir les animaux au cirque, à condition qu’ils soient bien tenus », précise Urs Pilz, directeur artistique du festival du cirque de Monte-Carlo. « Il y a une continuité avec la volonté du prince Rainier. Comme il disait dans le temps, le cirque traditionnel se base sur trois colonnes : l’acrobatie, la comédie, les animaux », détaille-t-il. Et si l’un des piliers venait à manquer, comme les animaux, serait-ce toujours du cirque ? « C’est un autre style de cirque. Comme le cirque du Soleil, qui est un autre choix de politique. Pour avoir une vie plus facile, car s’occuper des animaux est une tâche quotidienne. De moins en moins de gens se donnent la peine de vouloir le faire. »

« Conditions de vie »

En somme, aucun problème à la vie en captivité si l’animal est bien traité selon Urs Pilz. « Le soi-disant dressage et la présentation s’ils sont bien faits, donnent une valeur à l’animal dans sa vie. C’est une situation qui, en principe, est positive pour l’animal. Et c’est ça que nous soutenons. » D’après lui, la désertion des animaux dans le cirque est un problème surtout d’ordre financier. « C’est vrai qu’il y a de moins en moins de personnes qui s’occupent des animaux. Mais c’est une question financière, car cela implique d’avoir des équipes professionnelles, et des vétérinaires. » Il suffit alors de séparer le bon grain de l’ivraie. « Les bons cirques savent quels sont les animaux qui peuvent bien tenir selon les lois et la bienfaisance des animaux. Et d’autres ne doivent pas être dans les cirques. Dans chaque profession, il y a des bons et des mauvais exemples. » En vérité, la plupart des associations de défense des animaux placent le débat sur un plan différent que celui du simple bien-être animal. C’est son exploitation, et le retrait de son instinct sauvage par le dressage qui est mis en cause. « Chaque animal peut être tenu dans un cirque si les conditions de vie sont bonnes. Mais il y a des animaux qui ne s’y prêtent pas », poursuit Urs Pilz.

Des marionnettes pour remplacer les animaux

Depuis 2002, avec le cirque Phénix, Alain Pacherie propose des spectacles sans animaux. Son cirque est désigné comme le plus grand du monde, par la taille de son chapiteau et ses 6 000 places assises. Pour autant, sa volonté, à l’époque, puisait surtout sa source dans l’envie de se démarquer, plus que par conscience animaliste : « Je me suis dit qu’il fallait que je trouve ma propre identité, ma propre voie, pour ne pas faire comme tout le monde. » Un choix à contre-courant de l’époque, mais qu’il se garde bien d’inscrire dans ce débat sur la place des animaux dans le cirque. « Je n’ai de leçons à donner à personne. Chacun fait ce qu’il veut dans son entreprise. Je sais que les dresseurs ne sont pas des bourreaux, ils aiment leurs bêtes. Ce n’est pas ce qui m’a motivé à arrêter les animaux, vraiment. » Néanmoins, Alain Pacherie revendique évidemment la dénomination de cirque quant aux spectacles proposés : « On ne peut pas dire tel cirque n’est pas du cirque, car il n’a pas d’animaux. Il est vrai que le cirque contemporain est plus théâtralisé, car il raconte une histoire. Mais on fait tous du cirque ! D’une autre façon, différemment. J’ai un numéro qui a fait le festival de Monte-Carlo. Quand il est à Monte-Carlo, c’est du cirque, et au Phénix, ce n’est plus du cirque ? J’ai du mal à comprendre cette démarche. » Pas d’animaux réels dans le cirque d’Alain Pacherie, mais des marionnettes, en revanche, pour imiter les animaux. Dans le dernier spectacle du cirque Phénix, Nomade, en hommage à la Mongolie, des reproductions d’animaux remplaceront les volatiles et animaux mongols. Une possibilité comme une autre d’intégrer de la faune au récit.

La tradition comme leitmotiv

Le cirque peut-il évoluer sans animaux ? Contrairement à la corrida, dans une situation quelque peu analogue, le cirque développe une palette très large de propositions artistiques au public. De plus, le caractère traditionnel de la présence d’animaux sur la piste apparaît irrecevable lorsque l’on se penche sur la genèse du cirque moderne en 1768. « Non, les animaux n’ont pas toujours été là depuis le début. Dans ce qu’on a appelé le cirque moderne il y a 251 ans, et qu’on appelle aujourd’hui le cirque tradition, il n’y avait que des chevaux. C’est à la fin du XIXème siècle que les autres animaux sont arrivés dans les cirques », raconte Alain Pacherie. La querelle des anciens contre les modernes agite les milieux artistiques depuis l’époque baroque. Ce qui relevait à l’époque d’une certaine majesté, s’agissant du domptage de la bête sauvage par l’Homme, apparaît aujourd’hui, pour une part de la société, comme une pratique désuète. Urs Pilz condamne « tous ces mouvements [qui] sont faits par des gens qui trouvent ça moderne d’être contre les animaux, qui sont végans et autres ». Et si le directeur suisse du festival international du cirque de Monte-Carlo reconnaît l’existence de ce mouvement de fond dans la société, il le déplore : « Oui, c’est vrai il y a une certaine tendance. Mais les gens qui vont au cirque veulent voir des animaux. C’est très clair. Cette tendance, malheureusement, existe. Mais c’est surtout politique. » Mais que penser des cirques historiques, comme Pinder ou Bouglione, qui renoncent aujourd’hui à présenter des animaux sur la piste ? « Si Pinder et Bouglione ne se donnent plus la peine de tenir les animaux, de leur offrir la place qu’il faut, les soins qu’il faut, alors ils prennent le chemin le plus simple. Chez Pinder, ça a pris un très mauvais tour. Dès qu’ils n’ont plus eu d’animaux, ça n’a plus marché », estime le directeur du festival international du cirque de Monte-Carlo. Malgré tout, il semble que ce soit la désaffection du public qui soit à l’origine du changement de braquet, suite à sa mise en liquidation judiciaire concernant le cirque Pinder. Quant à l’écocirque d’André-Joseph Bouglione, peu de chances de le voir prochainement au festival de Monte-Carlo. « Ce monsieur que vous citez, si vous demandez au reste de la famille Bouglione, ils vous diront ce qu’ils en pensent… Ce monsieur, on ne l’aura certainement pas ici, autour de notre festival. Mais nous avons déjà eu le cirque du Soleil. Si certains présentent des numéros de valeur que nous jugeons assez forts en performances, et pas seulement en idée, la porte est ouverte pour ce genre de cirque contemporain », assure Urs Pilz.

Le droit s’invite dans le débat

Au plan européen, dix-huit Etats ont proscrit totalement les animaux sauvages dans les cirques. Quant à la France, la législation au plan national fait, pour l’instant, défaut. Dès lors, ce sont les maires qui, ces dernières années, via des arrêtés municipaux, ou plus récemment à l’occasion des vœux au conseil municipal, ont affiché leur désapprobation. Pour seul fondement juridique encadrant la pratique, il existe côté français un arrêté ministériel de 2011. Ce texte liste l’autorisation des animaux sauvages suivants et encadre leurs conditions de présentation au public, sans toutefois les interdire : les singes, tigres, lions, pumas, panthères, léopards, otaries, éléphants, zèbres, girafes et hippopotames, ainsi que certains reptiles et oiseaux. L’absence de loi explicite explique que plusieurs arrêtés municipaux en France aient été déboutés par les tribunaux administratifs. « Quand le cirque va contre les villes qui interdisent, le cirque gagne. Mais ça coûte entre 5 000 et 10 000 euros d’aller en justice. Et le temps du verdict, le cirque a déjà perdu l’envie d’aller dans cette ville », ajoute Urs Pilz, également président de l’association européenne de cirque, basée aux Pays-Bas et militant, entre autres, pour le maintien des animaux dans le cirque et l’inscription du cirque comme objet culturel. Dernière maire en date à avoir pris position : Anne Hidalgo, maire de Paris, qui dès cette année, ne délivrera plus d’autorisation pour les cirques avec animaux. Elle a promis de verser des subventions pour aider les cirques traditionnels à la reconversion. « Regardez à Paris, tout le monde disait, il n’y aura plus de fauves. Ce n’est pas vrai, le président de la République, disait : « Non, on ne va pas changer cette loi » », martèle Urs Pilz. Effectivement, si l’on s’en tient aux déclarations du ministre français de la transition écologique et solidaire et du président français, ces derniers semblent pencher pour une amélioration des conditions de détention de l’animal, plutôt que de pencher en faveur d’une interdiction totale de celui-ci dans les cirques. Comme chaque année, le festival international du cirque de Monte-Carlo s’attend à faire le plein, en attirant 45 000 spectateurs. Si le public est au rendez-vous, difficile de remettre en cause le succès de cette manifestation.

Retrouvez la suite de notre article avec l’interview de André-Joseph Bouglione gestionnaire d’un écocirque.

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