samedi 27 avril 2024
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Christophe Robino : « Le rapport au travail a changé »

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Difficultés de recrutement, réorganisation du travail, forum pour l’emploi… Les sujets de discussion, et de désaccord, entre le gouvernement et les partenaires sociaux ne manquent pas en principauté. Conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé, Christophe Robino fait le point pour Monaco Hebdo sur les dossiers chauds de cette rentrée sociale 2023.

Comment jugez-vous le climat social de cette rentrée 2023 ?

À Monaco, le climat social de cette rentrée est serein et constructif. J’aurais même tendance à dire qu’il est plutôt bon. Il est vrai qu’un certain nombre d’inquiétudes, tout à fait compréhensibles au regard du contexte géopolitique et économique actuel, sont exprimées par les partenaires sociaux. Mais nous pouvons difficilement comparer notre situation à celle des pays voisins. Nous sommes dans une dynamique plutôt positive, et je n’ai pas le sentiment qu’il y ait aujourd’hui des menaces de crise sociale particulièrement avérées.

Le dialogue social a-t-il été de bonne qualité en 2022 et sur les six premiers mois de l’année 2023 ?

Les revendications des syndicats sont globalement, depuis de nombreuses années, toujours les mêmes. Nous avons des échanges réguliers, avec des périodes plus intenses que d’autres. J’ai notamment beaucoup échangé avec les syndicats professionnels de la santé au sujet du Pasteur de la santé, qui est l’équivalent du Ségur en France. Il a permis de ramener un certain calme au niveau des relations et du climat social au centre hospitalier princesse Grace (CHPG). Nous avons aussi eu des échanges avec les représentants de l’hôtellerie-café-restauration pour aboutir à la signature d’un avenant historique à la convention hôtelière, puisqu’il n’y en avait pas eu depuis plus de vingt ans. Cet avenant doit déjà évoluer, mais des discussions sont en cours entre les représentants des salariés et ceux de l’association des industries hôtelières de Monaco (AIHM) pour parvenir à un accord, et s’inscrire dans une dynamique qui permette de faire évoluer les relations entre partenaires sociaux. Je conçois mon rôle comme celui d’un facilitateur, pour trouver la position médiane entre les demandes des uns et des autres, et aboutir à un accord très pragmatique.

« De nombreux salariés privilégient la qualité de vie au critère salarial »

Quel regard portez-vous sur la situation économique des entreprises monégasques et sur le marché de l’emploi ?

Une dynamique positive s’est rapidement installée au niveau des entreprises et de l’emploi à la sortie de la crise du Covid. Elle a permis de rattraper le creux lié à la pandémie. Nous atteignons aujourd’hui des chiffres records en termes d’emploi. Le nombre d’entreprises croît, les résultats économiques, et j’en veux pour preuve le PIB qui a été publié [plus de 7 milliards d’euros en 2021 — NDLR], montrent que tous les secteurs sont en progression, à des degrés divers. Globalement, la situation, à date, n’est pas si mauvaise [cette interview a été réalisée le 4 septembre 2023 — NDLR]. Toutefois, nous constatons un ralentissement des économies un peu partout en Europe, particulièrement en Chine, un peu moins aux États-Unis. Nous devons rester vigilants, parce que nous ne sommes pas à l’abri d’une récession qui pourrait avoir indirectement un impact sur la principauté. Mais nous avons des atouts pour lutter contre ce phénomène. Il faut noter qu’au niveau de l’Europe, les résultats de la France et de l’Espagne sont étonnamment meilleurs que ceux des autres pays européens. La France étant notre partenaire privilégié, nous pouvons donc espérer que la situation des entreprises monégasques continue à prospérer, même si elle se ralentit un peu.

Christophe Robino travail rentrée sociale
« Concernant la relation au travail, nous sommes en train de finaliser un projet de loi visant à encadrer l’intérim. Nous avons quasiment bouclé un projet de loi visant à encadrer les conditions de réalisation des stages professionnels. Nous avançons parallèlement sur la rupture conventionnelle. » Christophe Robino. Conseiller-ministre des affaires sociales et de la santé. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Combien de demandeurs d’emploi recensez-vous sur le territoire national ?

Au 31 août 2023, nous avions 588 demandeurs d’emploi, ce qui est un chiffre assez stable. De ce point de vue, la situation n’est pas du tout préoccupante.

Malgré tout, certaines entreprises peinent désormais à recruter : la principauté a-t-elle perdu en attractivité ?

En liminaire, il faut faire le constat que le rapport au travail a changé. De nombreux salariés privilégient la qualité de vie au critère salarial et certains secteurs sont plus affectés que d’autres. À l’occasion de la crise Covid, la santé, l’hôtellerie et la restauration ont vu apparaître une baisse d’intérêt de certains salariés, liée vraisemblablement aux spécificités et à la pénibilité de ces secteurs. Avec les partenaires sociaux, nous avons réfléchi à comment faire évoluer ces profils d’emploi. Par ailleurs, le marché de l’emploi est de plus en plus concurrentiel. Il est certain que le différentiel brut de salaire a été un peu comblé par la France. Néanmoins, ce qui compte ce n’est pas le brut, mais le net. Et quand on regarde ce que les salariés doivent en termes de charges sociales, en réalité, ils sont favorisés [à Monaco — NDLR]. Il ne faut pas, non plus, oublier que nous avons un régime de retraite extrêmement favorable par rapport à la France. Toutes les personnes qui ont une certaine expérience du travail à Monaco reconnaissent que ces perspectives de retraite sont un critère d’attractivité. Qui plus est, la création de la caisse monégasque de retraite complémentaire sera, certainement, un facteur d’attractivité supplémentaire.

« Il faut aussi renvoyer les employeurs à leurs responsabilités. Monaco a intérêt à ce que l’emploi se porte bien, mais les employeurs aussi. Et je veux saluer à ce titre l’initiative de la Société des Bains de Mer (SBM), qui construit des logements pour s’assurer de pouvoir recruter des saisonniers pour la période estivale. Des initiatives privées existent, et je pense que nous devons les encourager »

Les difficultés d’accès à la principauté semblent de plus en plus pénalisantes pour les entreprises locales : quelles sont les pistes étudiées par le gouvernement pour les améliorer ?

Il est vrai que l’accessibilité est un des critères pénalisants pour recruter à Monaco. C’est une question qui ne se posait pas il y a 10-15 ans et qui, aujourd’hui, fait partie des interrogations des personnes qui « candidatent » à un emploi. Le gouvernement est évidemment conscient de cette problématique qui fait l’objet d’échanges avec la France. Le ministre d’État a rencontré le ministre des transports français [Clément Beaune — NDLR]. Des solutions existent, mais elles ne sont pas instantanées. Un certain nombre d’évolutions porteront notamment sur les transports ferroviaires. La région voisine a annoncé la mise en place d’un RER d’ici 2025, avec une fréquence de rames et une capacité de transport bien supérieures à ce que nous avons actuellement [à ce sujet, lire l’interview du vice-président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en charge des transports, et maire de La Roque d’Anthéron, Jean-Pierre Serrus : « L’ouverture à la concurrence devrait répondre à beaucoup de préoccupations »]. Monaco est, bien évidemment, très favorable à ce genre de mesures et, à ce titre, nous participons d’ailleurs au financement de la modernisation du système de guidage des rames, qui permettra d’en améliorer le cadencement et la régularité.

Christophe Robino travail rentrée sociale
« La référence en droit du travail à Monaco, c’est une quotité d’heures par semaine. Il n’est écrit nulle part que celle-ci doit être ventilée sur cinq jours. En termes d’attractivité et de facilitation au transport, la semaine de quatre jours peut être une solution à étudier. » Christophe Robino. Conseiller-ministre des affaires sociales et de la santé. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Quoi d’autres ?

Vous avez sans doute entendu parler de solutions plus complexes, comme le métro ou les navettes maritimes [à ce sujet, lire notre dossier spécial Mobilité : face à l’asphyxie, quelles solutions ?]. Les discussions se poursuivent à ce sujet. La construction de parkings permettra d’offrir un stationnement en périphérie de Monaco ou en entrée de ville, cette question étant déterminante dans le choix des salariés à venir travailler en principauté. Ma collègue de l’équipement [Céline Caron-Dagioni — NDLR] travaille également sur un nouveau schéma de circulation interne des transports en commun qui devrait permettre d’améliorer les déplacements intra-muros. Enfin, la question du transport ne pourra être améliorée que par un ensemble de solutions. Nous avions, par exemple, évoqué la flexibilité des horaires et notamment l’élargissement des plages de travail pour étaler la période de déplacement des pendulaires. Cette solution ne réclame pas de mesures particulières, parce que c’est une question d’organisation du travail.

Que va-t-il se passer d’ici 2025, et est-ce que les pendulaires doivent s’attendre à deux années de galère ?

Il n’y a pas de solution miracle que nous pourrions mettre en place rapidement. Pour apporter un début de réponse à court terme, le gouvernement table sur l’ouverture prochaine du parking d’entrée de ville, l’amélioration des conditions de circulation à Monaco, ou encore le covoiturage qui connaît un certain succès et qui permet de contenir le nombre de véhicules légers qui arrivent en principauté [à ce sujet, lire notre dossier spécial Covoiturage à Monaco : « On est au début de l’histoire »]. Je le répète, ma collègue de l’équipement travaille activement à trouver des solutions. Petit à petit, nous allons voir cette situation s’améliorer, mais ça ne se fera pas du jour au lendemain.

La principauté va-t-elle investir dans l’achat de nouvelles rames de TER ?

C’est quelque chose d’envisageable. Lorsque les modalités de circulation sur les voies ferroviaires auront été améliorées, notamment par l’automatisation et la modernisation du système de pilotage, la question de nouvelles rames de TER se posera. Mais aujourd’hui, ce besoin n’a pas été exprimé.

Parmi les pistes étudiées, il a aussi été question, un temps, de rapprocher les salariés de leur lieu de travail : où en est la réflexion du gouvernement à ce sujet ?

Il faut rappeler que cette idée est venue des employeurs, en réponse à une demande des salariés. Certains seraient favorables à ce que l’on construise des logements pour accueillir les salariés de la principauté. Je rappelle que le gouvernement a déjà construit des immeubles aux alentours de Monaco, que ce soit à Beausoleil, à Cap d’Ail, ou plus loin, pour y loger des employés de l’hôpital, des fonctionnaires et des agents de l’Etat qui en auraient besoin. La caisse autonome de retraite des salariés (CAR) propose également, en France et à Monaco, des logements destinés aux salariés de la principauté : l’une des conditions d’entrée est d’être affilié à la CAR. Aujourd’hui, la problématique qui se pose, c’est l’évolution de la législation et de la réglementation française dans ce domaine. Des contacts ont été pris avec les pouvoirs publics français pour voir comment on pourrait aménager ces dispositions. J’espère que nous aurons très prochainement des réponses à ces questions. Toutefois, je pense qu’il faut aussi renvoyer les employeurs à leurs responsabilités. Monaco a intérêt à ce que l’emploi se porte bien, mais les employeurs aussi. Et je veux saluer à ce titre l’initiative de la Société des Bains de Mer (SBM), qui construit des logements pour s’assurer de pouvoir recruter des saisonniers pour la période estivale. Des initiatives privées existent, et je pense que nous devons les encourager.

« De mois en mois, nous voyons le nombre de télétravailleurs augmenter, d’abord, parce qu’il s’agit d’une demande forte des salariés. Beaucoup se présentent maintenant à leur entretien d’embauche en demandant s’ils auront droit à un jour de télétravail par semaine. Les employeurs sont donc obligés de revoir leur position, par la force des choses, pour pouvoir attirer des salariés »

Le télétravail est-il suffisamment appliqué à Monaco ?

Le télétravail a été mis en place à Monaco en 2016. Il est donc relativement nouveau. En France, il a été instauré en 2005, à la suite d’un accord national interprofessionnel, soit plus de 10 ans avant notre pays. Avant la crise du Covid, 3 % des salariés français étaient concernés par le télétravail : aujourd’hui ils sont près de 30 %. Courant août 2023, nous avions à Monaco plus de 5 000 télétravailleurs [du secteur privé – NDLR], avec une tendance qui s’est installée pendant la crise sanitaire et qui perdure. Cela représente presque 9 % des salariés du secteur privé. S’il y a eu quelques réticences au départ, il faut savoir aussi qu’à Monaco le télétravail a nécessité la mise en place d’un avenant à la convention franco-monégasque de sécurité sociale, pour permettre aux salariés télétravaillant depuis leur domicile en France de rester affiliés à la caisse de compensation des services sociaux (CCSS). Cette étape était indispensable, car il s’agissait de s’assurer que le dispositif était juridiquement solide et permettait sans risque de télétravailler.

Qu’en est-il pour les salariés italiens de la principauté ?

Dans les mois qui viennent, le télétravail va pouvoir se mettre en place avec l’Italie. Les textes ont été ratifiés. Et le télétravail concernera potentiellement les quelque 5 000 résidents italiens qui travaillent à Monaco. D’ici la fin de l’année 2023, tout devrait être prêt pour que nous puissions débuter.

Que faire pour que la principauté rattrape son retard en matière de télétravail ?

En réalité, de mois en mois, nous voyons le nombre de télétravailleurs augmenter, d’abord, parce qu’il s’agit d’une demande forte des salariés. Beaucoup se présentent maintenant à leur entretien d’embauche en demandant s’ils auront droit à un jour de télétravail par semaine. Les employeurs sont donc obligés de revoir leur position, par la force des choses, pour pouvoir attirer des salariés. Cette pratique a donc tendance à s’installer. Monaco n’a pas de retard en la matière.

Pour faire face aux difficultés d’accès et de recrutement, la réorganisation du travail semble devenue inéluctable en principauté ?

Il y a une problématique structurelle et une problématique organisationnelle. Effectivement, l’aménagement du temps de travail est une réponse possible qu’il faut travailler dans une optique d’attractivité. Deux modalités, ne réclamant pas d’action particulière du gouvernement, pourraient être envisagées : l’élargissement des plages de travail et la « fameuse semaine » de quatre jours. Rien ne s’y oppose. C’est d’ailleurs déjà le cas dans certaines branches d’activité, puisque la référence en droit du travail à Monaco, c’est une quotité d’heures par semaine. Il n’est écrit nulle part que celle-ci doit être ventilée sur cinq jours. En termes d’attractivité et de facilitation au transport, la semaine de quatre jours peut être une solution à étudier.

Cette semaine de quatre jours va-t-elle être expérimentée dans la fonction publique ?

Cela n’a pas été évoqué jusqu’à présent. En revanche, le télétravail a été institué pendant la période Covid dans la fonction publique. Conformément au statut, les fonctionnaires continuent à y avoir recours de façon régulière.

Le 15 septembre 2023 va s’ouvrir le premier forum de l’emploi au Grimaldi Forum : pourquoi le gouvernement a-t-il souhaité sa mise en place ?

Même si certains lui reprochent parfois son manque de réactivité, le gouvernement est bien conscient des réalités de terrain. C’est pourquoi il met constamment en place les politiques publiques visant à améliorer les conditions de vie, de travail, d’éducation, de sécurité et de santé à Monaco. J’ai fait avec le gouvernement le constat qu’il nous manquait quelque chose. À l’exemple d’autres pays ou d’autres villes, nous n’avions pas, à part des événements sectoriels, un forum global qui concerne l’ensemble des branches d’activité de la principauté. Lors d’une réunion avec les employeurs que nous avons organisée en juin [2023 — NDLR] au Novotel, je me suis rendu compte que nous avions besoin d’un tel rendez-vous afin de valoriser l’emploi à Monaco, et de permettre aux potentiels salariés et aux employeurs de se rencontrer. La deuxième proposition que j’ai faite, qui sera mise en place dès le début de l’année prochaine, c’est l’organisation de tables rondes réunissant des représentants du gouvernement et les employeurs de la principauté pour discuter avec eux des meilleures solutions à mettre en place pour préserver cette attractivité.

« Courant août 2023, nous avions à Monaco plus de 5 000 télétravailleurs [du secteur privé – NDLR], avec une tendance qui s’est installée pendant la crise sanitaire et qui perdure. Cela représente presque 9 % des salariés du secteur privé »

Quel public visez-vous ?

Tous les publics possibles. Nous avons communiqué très largement, que ce soit au niveau des Alpes-Maritimes ou de la France, mais également en Italie, particulièrement en Ligurie. Nous espérons qu’un maximum de personnes intéressées par un emploi à Monaco se présente le 15 septembre 2023, pour rencontrer les employeurs et valoriser leur candidature. À ce titre, nous avons mis en place une adresse e-mail sur laquelle les potentiels candidats peuvent adresser un dossier de candidature, sans pour autant s’inscrire au service de l’emploi. A date, plus de 200 curriculum vitæ (CV) ont été reçus et pourront être orientés vers les employeurs qui pourraient être intéressés. L’année 2024 verra la mise en place d’un « portail pour l’emploi » qui permettra, sans remettre en cause les règles d’embauchage, de toucher un public plus large, et de recevoir toutes les candidatures, y compris celles de ceux qui ne peuvent aujourd’hui pas s’inscrire au service de l’emploi.

Constatez-vous un engouement pour ce premier rendez-vous ?

Lors de cette réunion au Novotel, plus de 80 représentants d’entreprises monégasques étaient présents. La très grande majorité ont confirmé leur présence à « Monaco pour l’emploi ». Du fait du périmètre de cette première version, nous sommes même obligés de refuser un certain nombre de demandes, en leur expliquant que la prochaine édition, qui devrait normalement se dérouler en mars 2024, dans des locaux plus grands, permettra d’accueillir tout le monde. Ce « Monaco pour l’emploi » répond donc à une réelle demande et préoccupation.

Ce « Monaco pour l’emploi » va-t-il devenir récurrent ?

Nous ne doutons pas que le succès de la manifestation permettra de le réaliser chaque année. L’objectif étant de maintenir ce moment de rencontres et d’échanges entre des candidats potentiels et les employeurs. Nous l’organiserons à nouveau dès le mois de mars 2024, parce que cela correspond à la période qui précède le recrutement des saisonniers, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration, en vue de la saison estivale.

Christophe Robino travail rentrée sociale
© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Instaurer les 35 heures à Monaco, c’est une piste envisagée pour soutenir l’emploi en principauté ?

Cette question nous a été posée, au ministre d’État et à moi-même, lors de la conférence de presse qui annonçait le forum pour l’emploi. Comme nous l’avons indiqué à l’époque, cette question n’est pas d’actualité à Monaco. Ces 39 heures correspondent au temps inscrit dans le droit du travail monégasque. Mais une entreprise peut très bien instaurer des contrats de travail à 36 heures. Il y a une certaine liberté de l’employeur, qui est d’ailleurs garantie par la Constitution, sur l’organisation des entreprises à Monaco.

Pourquoi n’y êtes-vous pas favorable ?

Je n’y suis personnellement pas favorable, parce que l’exemple français n’a, selon moi, pas été concluant. L’un des objectifs des 35 heures était de créer de l’emploi. Or, je n’ai pas le sentiment que cela ait été couronné de succès. Au contraire, pour l’avoir vécu à l’époque étant en poste dans les hôpitaux de l’assistance publique de Paris (AP-HP), le passage aux 35 heures a plutôt induit une dégradation des conditions de travail. Il a fallu adapter les modalités de travail aux 35 heures, sans forcément recruter davantage de personnel.

« L’aménagement du temps de travail est une réponse possible qu’il faut travailler dans une optique d’attractivité. Deux modalités, ne réclamant pas d’action particulière du gouvernement, pourraient être envisagées : l’élargissement des plages de travail et la « fameuse semaine » de quatre jours. Rien ne s’y oppose »

Toujours dans un souci d’attractivité, vous aviez annoncé en novembre 2022 vouloir mettre à jour les dispositifs de formation professionnelle : avez-vous pu avancer sur ce dossier ?

J’ai eu la chance et le plaisir de rencontrer Olivier Dussopt [ministre français du travail — NDLR] à Paris, début juillet 2023. J’ai trouvé quelqu’un de très ouvert, très au courant des dossiers. Il connaissait très bien la situation de Monaco. Nous avons pu évoquer ensemble un certain nombre de sujets, dont celui de la formation professionnelle. Il a notamment été question d’une convention concernant le chômage et les modalités de financement de la formation des demandeurs d’emploi. Aujourd’hui, employeurs et salariés cotisent auprès de l’assurance française. Les salariés qui résident en France voient leur formation prise en charge par Pôle Emploi, lorsqu’ils sont au chômage. Cette convention devrait régler les difficultés rencontrées par les chômeurs résidant en principauté.

Quels autres sujets avez-vous pu aborder avec votre homologue français ?

Nous avons aussi échangé sur la possibilité de mettre en place un financement de la formation professionnelle chez les actifs. C’est un sujet que nous devons regarder ensemble, parce que les implications budgétaires ne sont pas neutres. Par ailleurs, le gouvernement subventionne déjà la formation professionnelle, puisque des crédits sont alloués à ce titre à la fédération des entreprises monégasques (Fedem). En 2024, nous allons passer une convention avec la chambre patronale du bâtiment pour soutenir la création de la caisse de formation du bâtiment. Le gouvernement soutiendra, par une subvention, les actions de formation qui seront menées par cette dernière.

« Avec Olivier Dussopt, nous avons aussi échangé sur la possibilité de mettre en place un financement de la formation professionnelle chez les actifs »

La formation professionnelle, c’est votre cheval de bataille ?

Je suis très attaché à ce dispositif de formation, car j’estime que c’est aussi une façon d’améliorer l’attractivité et de soutenir l’évolution professionnelle et l’évolution de carrière. En France, la formation professionnelle est financée via le compte personnel formation (CPF), qui est essentiellement alimenté par les employeurs. Aujourd’hui, nous n’avons pas l’équivalent à Monaco. Les pistes que nous explorons par exemple avec la chambre patronale du bâtiment sont intéressantes, en ce qu’elles prévoient un co-financement par l’État et par cette dernière. Il faut encore voir les possibilités existantes, et choisir la meilleure option pour Monaco. Mais la question de la formation est très importante pour l’emploi en principauté.

Un projet de loi autorisant la rupture conventionnelle du contrat de travail est à l’étude : quand pourrait-il voir le jour ?

J’espère que nous pourrons rapidement aboutir à la formalisation d’un projet de loi. Dès ma prise de fonction, j’ai annoncé que j’étais très favorable à ce mode de séparation entre l’employeur et le salarié, puisque, finalement, cela se fait d’un commun accord et que cela limite le risque de contentieux ultérieur. Cette rupture conventionnelle existe en France et dans beaucoup de pays, et elle fonctionne bien. Je sais que mon ancien collègue, Thomas Brezzo [président de la commission législation du Conseil national — NDLR], travaille également sur ce sujet. Ils [les élus du Conseil national — NDLR] ont déposé une proposition de loi. En parallèle, le gouvernement continue de travailler sur un projet de loi. Compte tenu de nos liens avec Pôle Emploi, il est important que les dispositions projetées soient acceptables pour l’organisme français, afin de permettre l’ouverture du droit au chômage aux salariés de la principauté qui auraient eu recours à ce mode de séparation. J’espère que ce projet de loi sera finalisé avant la fin de l’année 2023.

Votre version du texte pourrait s’opposer à celle du Conseil national : comment comptez-vous procéder avec la Haute assemblée ?

Je devrais alors avoir une discussion avec mes anciens collègues et amis du Conseil national pour décider ensemble, en termes d’efficacité, s’ils veulent faire prospérer leur proposition de loi ou, si nous sommes en phase sur les dispositions, que nous passions directement à l’étude du projet de loi.

« L’année 2024 verra la mise en place d’un « portail pour l’emploi » qui permettra, sans remettre en cause les règles d’embauchage, de toucher un public plus large, et de recevoir toutes les candidatures, y compris celles de ceux qui ne peuvent aujourd’hui pas s’inscrire au service de l’emploi »

Autre projet de loi dans les cartons, celui sur le travail de nuit déposé au Conseil national en 2018 : où en est-on aujourd’hui ?

C’est un projet de loi sur lequel j’ai beaucoup travaillé en tant que président de la commission des intérêts sociaux et des affaires diverses [du Conseil national — NDLR]. Le point d’achoppement a toujours été la compensation du travail de nuit. À l’époque, avec le président Stéphane Valeri, nous avions étudié plusieurs dispositifs, qui ne recevaient finalement pas l’agrément plein et entier des salariés ou des employeurs. Pour autant, il s’agit d’un sujet extrêmement important, puisque le travail de nuit est l’un des aspects pénibles du travail, et cette pénibilité doit être reconnue et compensée. D’ailleurs, en tant que médecin, je la compenserais plutôt en temps qu’en argent, parce que la santé ne s’achète pas, mais le repos la préserve. J’ai proposé à l’actuelle présidente du Conseil national de revenir vers les élus, avec des propositions rédactionnelles un peu différentes, qui permettront, je l’espère, de faire avancer le sujet. C’est une préoccupation partagée par les employeurs et les salariés. Il s’agit d’un critère d’attractivité : si la pénibilité du travail de nuit n’est pas reconnue ni prise en compte, les salariés se tourneront vers la concurrence.

Vous êtes-vous fixé un échéancier pour ce dossier ?

Je pense adresser des propositions d’ici la fin de l’année 2023 au Conseil national. Ce sera ensuite à eux de maîtriser l’agenda.

« En 2024, nous allons passer une convention avec la chambre patronale du bâtiment pour soutenir la création de la caisse de formation du bâtiment. Le gouvernement soutiendra, par une subvention, les actions de formation qui seront menées par cette dernière »

Quels sont vos dossiers prioritaires pour la fin d’année 2023 et pour 2024 ?

Plusieurs sujets me tiennent à cœur. Je souhaite maintenir et développer les relations avec la France et l’Italie, pour obtenir des arbitrages politiques et avancer rapidement sur des sujets communs. Concernant la relation au travail, nous sommes en train de finaliser un projet de loi visant à encadrer l’intérim. Nous avons quasiment bouclé un projet de loi visant à encadrer les conditions de réalisation des stages professionnels. Nous avançons parallèlement sur la rupture conventionnelle. Par ailleurs, nous finalisons les accords financiers nous permettant de sortir de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) – Association des régimes de retraite complémentaire des salariés (Arrco), pour rendre la Caisse Monégasque de Retraite Complémentaire (CMRC) effective dès le 1er janvier 2024.

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« Il s’agit d’un critère d’attractivité : si la pénibilité du travail de nuit n’est pas reconnue ni prise en compte, les salariés se tourneront vers la concurrence. » Christophe Robino. Conseiller-ministre des affaires sociales et de la santé. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Quelle est la nature de l’accord financier avec l’Agirc-Arrco ?

J’avais avancé des chiffres. Aujourd’hui, pour des raisons contractuelles, nous sommes tenus à une certaine confidentialité sur les montants et sur les dispositions. Ce que je peux dire, c’est que nous restons dans les prévisions. Nous sommes d’accord sur les chiffres. Ce remboursement se fera sur 13 ans. Il fera l’objet de clauses de revoyure, c’est-à-dire qu’en fonction de l’évolution de la solidité financière de la caisse, il pourra faire l’objet de renégociations en fonction de l’état notamment des réserves de la CMRC. Mais je n’ai aucune inquiétude sur le dispositif. Toutes les situations avaient été envisagées par le cabinet d’actuaires qui a planché sur la création de cette caisse. Elle est solide, et elle restera solide. Et les obligations financières de la CMRC seront remplies vis-à-vis de l’Agirc-Arrco. Étant entendu qu’en cas de défaillance, le gouvernement princier est garant du remboursement de la soulte.

« Le travail de nuit est l’un des aspects pénibles du travail, et cette pénibilité doit être reconnue et compensée. D’ailleurs, en tant que médecin, je la compenserais plutôt en temps qu’en argent, parce que la santé ne s’achète pas, mais le repos la préserve »

Vous avez d’autres projets ?

J’entends également moderniser et renforcer la direction du travail, en particulier le service de l’emploi, avec la mise en place du Portail pour l’emploi, qui sera extrêmement efficace, puisqu’il permettra d’avoir un accès public aux offres d’emploi et de « candidater » directement. J’envisage, enfin, de renforcer l’équipe du service de l’emploi, et de procéder à une réorganisation interne, pour avoir des services plus spécifiquement dédiés aux entreprises.