mardi 23 avril 2024
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Vaccination des femmes enceintes « Le rapport bénéfice-risque est extrêmement élevé »

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À quel stade de la grossesse se faire vacciner ? Est-il risqué de se faire vacciner pendant l’allaitement ? Le vaccin contre le Covid-19 a-t-il un impact sur la fertilité ? Protège-t-il du variant Omicron ? Ou encore, faut-il faire sa dose de rappel durant sa grossesse ? Le professeur Bruno Carbonne, chef de service gynécologie-obstétrique du centre hospitalier princesse Grace (CHPG), fait le point sur la vaccination des femmes enceintes.

Quelles sont les recommandations actuelles concernant la vaccination des femmes enceintes ?

Les recommandations à Monaco, comme en France, sont de vacciner les femmes enceintes. Elles sont même prioritaires par rapport au reste de la population parce qu’elles ont un petit peu plus de risques d’avoir des formes graves du coronavirus.

À quel stade de la grossesse doivent-elles se faire vacciner ?

Aujourd’hui, en France par exemple, on dit qu’on peut vacciner les femmes enceintes à tout moment de la grossesse, du premier au troisième trimestre. À Monaco, nous préférons éviter le premier trimestre.

Pourquoi ?

Ce n’est pas que le vaccin soit dangereux à ce moment-là. Mais le premier trimestre de la grossesse correspond à la période où il y a le plus de complications. On sait par exemple que les fausses couches précoces sont très fréquentes indépendamment de tout vaccin. Environ 10 à 15 % des grossesses vont évoluer vers une fausse couche et aujourd’hui, il y a une telle défiance vis-à-vis du vaccin de la part de beaucoup de personnes que si jamais, il y avait la moindre complication après avoir fait le vaccin, de manière presque certaine les gens vont l’imputer à la vaccination. Or, ces complications sont extrêmement fréquentes de manière spontanée. Nous préférons donc éviter le premier trimestre, pour éviter d’avoir une association dans la tête des gens entre le vaccin et les complications. En revanche, il est recommandé de se faire vacciner au début du deuxième trimestre, à partir de 15-16 semaines d’aménorrhée. Et si jamais, les femmes ont des projets de grossesse, très clairement il vaut mieux se faire vacciner avant d’être enceinte.

Faut-il une prescription médicale pour se faire vacciner ?

À Monaco, nous demandons un certificat du médecin attestant que la patiente peut bien être vaccinée. Dès que la patiente dispose de ladite attestation, elle devient prioritaire pour avoir accès au vaccin dans les centres de vaccination en principauté.

Pendant longtemps, les recommandations sont restées floues pour les femmes enceintes : comment expliquez-vous cette indécision ?

Il y a d’une part les données scientifiques, à savoir les données de tolérance des vaccins qui sont très rassurantes et solides, et d’autre part la défiance d’une partie de la population vis-à-vis du vaccin. Nous sommes donc un peu obligés de naviguer entre les deux. Par exemple, au début de la vaccination, plusieurs vaccins étaient sur le marché. Il y a certains dont on a pu dire qu’ils augmentaient le risque de complications thromboemboliques. Or, la femme enceinte est plus à risque de complications thromboemboliques. Cela pouvait donc créer une certaine inquiétude vis-à-vis du vaccin. À Monaco, nous avons toujours utilisé le vaccin Pfizer, qui est le sérum pour lequel nous avons de très loin le plus de recul et le plus de données rassurantes en termes de sécurité, en dehors et pendant la grossesse. Résultat, les inquiétudes que les médecins pouvaient avoir au départ sont aujourd’hui levées. Nous sommes beaucoup moins préoccupés et c’est la raison pour laquelle la vaccination a été élargie. D’autant que nous avons montré dans le même temps que les femmes enceintes étaient plus à risque de complications. Aujourd’hui, les choses concordent pour aller vers la vaccination.

« Les recommandations à Monaco, comme en France, sont de vacciner les femmes enceintes. Elles sont même prioritaires par rapport au reste de la population, parce qu’elles ont un petit peu plus de risques d’avoir des formes graves du coronavirus »

Reste-t-il encore des inconnues autour de cette vaccination ?

Comme pour toute vaccination, on peut toujours se dire que des choses pourraient apparaître sur le long terme. Mais aujourd’hui, par rapport à tous les autres vaccins qui existent, le vaccin contre le coronavirus fait partie de ceux qui ont le profil de sécurité le plus rassurant. D’autre part, le Covid est le virus le plus scruté au monde. Je n’ai jamais vu une telle préoccupation de validation sur le plan de la sécurité d’un vaccin, que pour celui contre le Covid. Toutes les données sont colligées [rassemblées et synthétisées — NDLR] et les données de sécurité sont très rassurantes. Autant qu’elles peuvent l’être avec deux ans de recul. Je n’ai pas de préoccupation particulière.

Ce vaccin est-il sûr à 100 % pour les femmes enceintes ?

Nous n’avons aucun décès, ni aucune complication grave ou mortelle liée au vaccin. Le rapport bénéfice-risque est extrêmement élevé. Nous ne pourrons jamais dire qu’il y a zéro risque avec un vaccin. Nous savons qu’il y a des effets secondaires. Ils sont peu fréquents, ils sont assez bien identifiés, et, pour l’immense majorité des cas, ils sont peu graves. Chez les femmes enceintes, c’est exactement la même chose.

Existe-t-il des contre-indications à cette vaccination ?

Il y a très très peu de contre-indications. Ce sont d’ailleurs les mêmes qu’en dehors de la grossesse. À savoir des pathologies immunitaires ou éventuellement, certaines situations allergiques.

Le bébé est-il lui aussi protégé après la vaccination ?

Le vaccin permet à la patiente de développer des anticorps contre le Covid. Ces anticorps vont être transmis au bébé pendant la grossesse et l’allaitement. Cela lui confère donc certainement une protection vis-à-vis du Covid. Alors que les femmes non vaccinées, qui n’ont pas d’anticorps, ne transmettent pas cette protection à leur enfant.

Quels sont les effets indésirables potentiels décrits chez la femme enceinte ?

Ils ne sont absolument pas spécifiques de la femme enceinte. Les effets secondaires les plus fréquents sont une douleur au point d’injection, une rougeur. Ça peut être un peu de fièvre, des douleurs musculaires et articulaires. Ces effets peuvent durer 24-48 heures et nous préconisons aux femmes enceintes de prendre du paracétamol, qui n’est pas du tout contre-indiqué pendant la grossesse, si elles ont les moindres signes de ce genre. Après, il peut aussi y avoir quelques ganglions du côté de l’injection et des complications de type thrombose. Cela a été décrit mais ça reste très exceptionnel. Nous n’en avons pas rencontré chez les femmes enceintes vaccinées à Monaco. L’incidence de cette vaccination n’est pas différente de celle de la population des femmes non enceintes. Il n’y a pas plus de risque d’avoir enceinte ce genre de complications.

Les femmes enceintes doivent-elles faire l’objet d’un suivi particulier après la vaccination ?

Non, nous leur préconisons juste du paracétamol. Et si jamais elles ont une fièvre qui persiste, ou qui ne cède pas avec le paracétamol, elles doivent consulter.

Le vaccin contre le Covid peut-il avoir un impact sur la fertilité ?

Aujourd’hui, il n’existe aucune donnée d’aucune sorte qui puisse faire penser qu’il y a une influence sur la fertilité. Nous entendons plein de choses concernant la fertilité et les troubles des règles. C’est exactement le même problème que pour les fausses couches du premier trimestre. On va attribuer la fausse couche au vaccin alors que la fausse couche est l’un des motifs de consultation aux urgences gynécologiques les plus fréquents. Les problèmes de règles sont l’un des problèmes numéro 1 des consultations en gynécologie. On va attribuer ces maux au vaccin mais si on regarde dans la population générale, des personnes qui ne sont pas vaccinées consultent aussi dans la même période pour des problèmes de règles. Et l’infertilité représente également 20 à 30 % des motifs de consultation en gynécologie, c’est un phénomène qui existe, qui a toujours existé et qui n’existe pas plus depuis que l’on fait le vaccin. Il y a une association et une interprétation des faits comme un lien de causalité parce qu’on a fait le vaccin juste avant, mais ces associations d’idées sont parfois juste des interprétations alors que les phénomènes sont complètement fortuits. Aujourd’hui, clairement, les études ne montrent aucun lien d’aucune sorte entre le vaccin et les problèmes d’infertilité. Idem pour les problèmes de règles. La relation avec le vaccin n’est absolument pas établie.

Est-il risqué de se faire vacciner pendant l’allaitement ?

Les données ne sont pas du tout en défaveur. Il n’y a aucune donnée qui montre un problème à se faire vacciner contre le Covid pendant l’allaitement. D’ailleurs, on vaccine aussi contre beaucoup d’autres maladies pendant l’allaitement. On le fait depuis des années et jamais personne ne s’est posé la question. Il y a un focus beaucoup plus fort et une défiance beaucoup plus importante sur le Covid mais très clairement, il n’y a aucune contre-indication à faire le vaccin pendant l’allaitement.

« Ces anticorps vont être transmis au bébé pendant la grossesse et l’allaitement. Cela lui confère donc certainement une protection vis-à-vis du Covid. Alors que les femmes non vaccinées, qui n’ont pas d’anticorps, ne transmettent pas cette protection à leur enfant »

Faut-il faire sa dose de rappel pendant la grossesse ?

Il vaut mieux faire sa dose de rappel pendant la grossesse, pour les mêmes raisons que la population générale. L’immunité s’estompe avec le temps et si on attend trop, on est moins protégé. La troisième dose ne pose pas plus de problème que la première ou la deuxième donc il faut aussi la faire, en évitant si possible le premier trimestre.

Les femmes enceintes ayant contracté le Covid doivent-elles aussi se faire vacciner ?

Oui de la même manière, nous avons vu des cas de femmes qui avaient déjà eu le Covid avant la grossesse et qui l’ont eu à nouveau quelque temps plus tard alors qu’elles étaient enceintes. Si on a été infectée par le Covid, il est recommandé de faire la vaccination après un certain délai.

Le vaccin est-il le même pour les femmes enceintes ?

Chez la femme enceinte, il faut très clairement privilégier les vaccins à ADN parce que les autres vaccins, notamment celui d’AstraZeneca, ont montré une augmentation du risque thromboembolique. Il faut donc éviter les vaccins pour lesquels il y a eu une augmentation plus importante des risques thromboemboliques. À Monaco, nous n’utilisons que le vaccin Pfizer.

Ce vaccin est-il efficace contre Omicron ?

Il est efficace pour les formes graves. Les personnes vaccinées ont beaucoup moins de risque de décéder, y compris avec le variant Omicron, que les non-vaccinées. En revanche, on constate qu’il ne protège pas de manière forte contre l’infection. Le vaccin devra évoluer au fur et à mesure de l’apparition de variants d’une certaine sévérité, ou qui seraient moins sensibles au vaccin. Aujourd’hui, il garde une efficacité pour les formes graves, cela est très clairement prouvé.

Le conjoint, ainsi que l’entourage de la femme enceinte, doivent-ils également se faire vacciner ?

Il est très important que l’entourage se fasse vacciner. Malheureusement, si dans un foyer une personne n’est pas vaccinée ou est contre la vaccination, généralement elle n’est pas seule. C’est au sein du foyer que les décisions se prennent de manière globale. Mais une femme enceinte qui ne serait pas vaccinée aurait tout intérêt à ce que les gens qui sont autour d’elle soient vaccinés.

« Nous ne pourrons jamais dire qu’il y a zéro risque avec un vaccin. Nous savons qu’il y a des effets secondaires. Ils sont peu fréquents, ils sont assez bien identifiés, et, pour l’immense majorité des cas, ils sont peu graves »

Parfois, les femmes enceintes doivent aussi être vaccinées contre d’autres maladies avant la naissance de leur enfant (coqueluche, grippe) : quelle précaution prendre ?

Normalement, il n’y a aucune contre-indication à faire les vaccins en même temps. Même si en général, on préfère les espacer un peu. Par exemple, pour la coqueluche, il n’y a aucune urgence. On peut le faire en toute fin de grossesse ou même, juste après l’accouchement. Pour la grippe, il faut se faire vacciner dès que l’épidémie se déclare. Et pour le Covid, il est recommandé de faire le vaccin le plus tôt possible au deuxième trimestre de la grossesse. Il n’y a pas de recommandation scientifique parce qu’à un moment, on a même préconisé pour les personnes âgées de faire le Covid et la grippe en même temps. C’est tout à fait possible, aussi pour les femmes enceintes. Mais en général, on préfère les décaler un petit peu de quelques semaines.

Une unité Covid a été créée pour les femmes enceintes et les nourrissons à l’hôpital Lenval de Nice : qu’en est-il à Monaco et leur envoyez-vous des patientes ?

Non. S’il y avait une forme grave à un terme précoce, c’est-à-dire un terme qui nécessiterait une naissance prématurée, nous devrons dans ce cas envoyer la patiente à Nice. Cela fait partie de notre fonctionnement en réseau périnatal parce que les naissances avant 32-33 semaines ne peuvent pas être prises en charge au CHPG. Donc dans les situations qui, sur le plan maternel et/ou fœtal, nécessiteraient une extraction c’est-à-dire de faire naître le bébé prématurément, on transfèrerait les patientes à Nice.

Est-il obligatoire de se faire vacciner ou d’avoir un passe sanitaire pour accoucher au CHPG ?

Pas du tout. Nous ne sommes pas habilités à demander le passe sanitaire. Nous faisons de toute façon, systématiquement, un test PCR à l’entrée. Le laboratoire de l’hôpital est très bien organisé. Nous obtenons un résultat, dont nous sommes sûrs de la fiabilité, en moins d’une heure.

Comment les femmes enceintes atteintes du Covid sont-elles prises en charge au CHPG ?

Quand une femme enceinte vient pour accoucher, vaccinée ou pas, nous faisons systématiquement une PCR pour elle et son accompagnant. Et si jamais il y a une positivité au Covid, nous prenons des mesures de protection avec des masques FFP2, des blouses et des gants pour le personnel qui s’occupe d’elle. Nous faisons tout pour qu’elle soit dans une chambre seule. Sauf en cas de pic d’activité. Si tel est le cas, nous pouvons être amenés à mettre deux femmes positives au Covid dans une même chambre car nous voulons éviter à tout prix qu’une femme positive se retrouve avec une femme négative. Il y a aussi des précautions à prendre vis-à-vis du bébé. Il n’y a pas de contre-indication à l’allaitement maternel quand on est positive au coronavirus mais nous préconisons de porter un masque pour éviter de contaminer le bébé. Malgré toutes ces précautions, il y a eu récemment une augmentation des cas chez les enfants, mais aussi chez les nourrissons. Parfois, des nouveau-nés de quelques semaines sont infectés par le coronavirus. Nous avons eu récemment l’hospitalisation d’un bébé d’une patiente qui avait accouché à Monaco.