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Troisième cas de guérison probable du sida : un nouvel espoir, mais des questions

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L’Institut Pasteur a annoncé, lundi 20 février 2023, la guérison probable d’un patient atteint du sida après une greffe de moelle osseuse. Une découverte porteuse d’espoir, mais qu’il convient toutefois de prendre avec prudence. Explications.

C’est une découverte qui ravive l’espoir d’un traitement pour les 40 millions de personnes vivant aujourd’hui avec le virus du sida dans le monde. Lundi 20 février 2023, l’Institut Pasteur a annoncé la guérison probable d’un malade surnommé le « patient de Düsseldorf ». Il s’agit du troisième cas de guérison recensé à ce jour après le « patient de Berlin » en 2009 et le « patient de Londres » en 2019. Comme ses deux prédécesseurs, le « patient de Düsseldorf » a lui aussi bénéficié d’une greffe de cellules souches de moelle osseuse, dont le but premier était de traiter une leucémie. Mais depuis ce traitement, son organisme ne présenterait plus aucune trace de virus, selon le consortium international IciStem à l’origine de cette étude.

Depuis ce traitement, le patient s’est stabilisé et les particules virales semblent avoir disparu de son organisme. De quoi pousser les équipes médicales à interrompre son traitement antirétroviral il y a 5 ans

Greffe de moelle osseuse

Tout commence en 2008 quand une équipe médicale de l’hôpital de Düsseldorf diagnostique une infection par le VIH chez un patient de 53 ans. Cet homme, dont l’histoire est relatée dans la prestigieuse revue scientifique Nature Medicine, entame alors un traitement antirétroviral, afin de contrôler sa maladie. Mais, peu de temps après, il contracte une leucémie, un cancer du sang particulièrement agressif qui touche les cellules de la moelle osseuse. Traité par chimiothérapie, il présente une première rémission avant d’être victime d’une rechute qui oblige alors les médecins à procéder à une greffe de cellules souches à partir d’un donneur compatible. « On sait que le virus du VIH a pour cible les cellules du système immunitaire. Lors d’une greffe de moelle osseuse, les cellules immunitaires du patient sont ainsi remplacées intégralement par celles du donneur, ce qui permet de faire disparaître l’immense majorité des cellules infectées », explique dans un communiqué Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, et co-principal auteur de l’étude. Depuis ce traitement, le patient s’est stabilisé et les particules virales semblent avoir disparu de son organisme. De quoi pousser les équipes médicales à interrompre son traitement antirétroviral il y a 5 ans. « Même si nous n’avons pas pu analyser tous les tissus du patient pour formellement écarter la présence du VIH dans l’organisme, ces résultats indiquent que le système immunitaire n’a pas détecté le virus après l’interruption du traitement », commente Asier Sáez-Cirión. Aujourd’hui, le patient de Düsseldorf est en bonne santé. Et les dernières données récoltées à son sujet portent à croire qu’il est probablement guéri de l’infection par le VIH. « Le processus de greffe a vidé le réservoir viral et le transfert de la résistance au VIH des cellules du donneur au patient empêche les virus qui pourraient être encore présents de se propager », précise le docteur Björn Jensenqui a mené l’étude à l’hôpital universitaire de Düsseldorf.

Sida
© Photo DR

« Même si nous n’avons pas pu analyser tous les tissus du patient pour formellement écarter la présence du VIH dans l’organisme, ces résultats indiquent que le système immunitaire n’a pas détecté le virus après l’interruption du traitement »

Asier Sáez-Cirión. Responsable de l’unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, et co-principal auteur de l’étude

Un traitement « pas applicable aux 40 millions de séropositifs »

Cette résistance obtenue par la greffe est en fait due à une mutation appelée CCR5 delta-32, dont est porteur le donneur. Cette caractéristique génétique est en effet connue des spécialistes pour « protéger naturellement du VIH » mais elle demeure extrêmement rare, puisque moins de 1 % de la population générale en serait détentrice. Une particularité qui rend donc la généralisation de ce traitement à l’ensemble des malades du sida impossible comme l’explique le docteur Bruno Taillan, chef du département de médecine interne au centre hospitalier princesse Grace (CHPG). « Intellectuellement, c’est la première fois où l’on voit une guérison possible du virus, alors que, jusqu’à présent, le sida est considéré comme une maladie mortelle ou chronique. Mais ce traitement n’est pas applicable aux 40 millions de séropositifs. Un, pour des raisons d’accès au traitement, deux pour des raisons de coût [une greffe de moelle osseuse coûte plusieurs centaines de milliers d’euros — NDLR] et trois pour des raisons de dangerosité, car ces thérapeutiques sont potentiellement létales ». La greffe de moelle osseuse reste en effet une opération très lourde et risquée, qui ne peut être envisagée que dans des situations exceptionnelles (VIH + cancer). « Comme elle est réalisée à partir d’un donneur, il y a toujours un risque d’incompatibilité immunitaire minime qui fait que ça peut entraîner un rejet. Soit un rejet de la moelle qu’on greffe, soit la moelle va attaquer le patient. Cela peut alors créer des effets secondaires, des complications au niveau hépatique, digestif ou autres, dont certaines sont mortelles ».

« Ce traitement n’est pas applicable aux 40 millions de séropositifs. Un, pour des raisons d’accès au traitement, deux pour des raisons de coût [une greffe de moelle osseuse coûte plusieurs centaines de milliers d’euros – NDLR] et trois pour des raisons de dangerosité, car ces thérapeutiques sont potentiellement létales »

L’espoir de la thérapie génique

Autant de critères qui, selon ce médecin du CHPG, doivent nous amener à tempérer ces résultats. « Ce n’est pas un message d’espoir pour les séropositifs. Nous sommes contents, car ce patient est guéri, tant mieux. Mais, la plupart du temps, il se complique quelques années après de la maladie hématologique, donc du lymphome ou de la leucémie. En aucune façon, ce traitement n’est applicable à la population des séropositifs », insiste le docteur Taillan qui estime cependant que cette nouvelle guérison ouvre des pistes de recherche intéressantes pour un futur traitement curatif. Le spécialiste monégasque fait notamment allusion à la thérapie génique déjà appliquée dans un certain nombre de maladies. L’idée consisterait à introduire cette fameuse mutation CCR5-Delta-32 chez des personnes vivant avec le VIH, sans avoir à passer par une greffe de moelle osseuse. « On commence de plus en plus à injecter des gènes, qui permettent d’avoir des mutations au niveau cellulaire. Cela est intéressant, mais ce n’est pas encore pour demain ». En attendant de disposer enfin d’une arme suffisamment fiable contre le VIH, le chef du département de médecine interne invite donc à ne pas relâcher la vigilance insistant sur la nécessité de poursuivre les efforts de prévention alors que chaque année, environ 5 000 personnes découvrent leur séropositivité en France. « En faisant passer le message « on a guéri cinq personnes du sida » de façon trop abrupte, sans compréhension, on peut craindre un relâchement dans la protection et dans le dépistage. Mais ce serait une erreur. Sur les 40 millions [de séropositifs — NDLR], il n’y en a que cinq qui sont guéris (1) ». Si on n’a probablement « jamais été aussi proche de jouir d’un monde sans sida » comme l’a rappelé le Sidaction lors de sa dernière campagne en mars 2023, la recherche vers un vaccin ou un traitement permettant de contrôler définitivement l’infection doit donc, plus que jamais, se poursuivre.

1) Début 2022, une femme surnommée « patiente New York » a été déclarée en rémission après avoir reçu une greffe de cellules souches de cordon ombilical pour le traitement de sa leucémie. La même année, un autre patient « City of Hope », en référence au centre où il a été soigné à Los Angeles, est également entré en rémission après une greffe de moelle osseuse.

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