En dix ans, les actes médicaux à visée esthétique ont bondi de 223 %. Deux journalistes viennent de publier une enquête (1) pour éclairer les pièges et mieux comprendre les motivations de ceux et celles qui utilisent botox, peeling et autre acides hyaluroniques. Eclairages avec l’un des auteurs, Nadine Coll.
Monaco Hebdo?: Qu’est-ce qui vous a conduit à enquêter sur les motivations des utilisatrices de médecine esthétique??
Nadine Coll?: En tant que journalistes, nous avons fait de nombreux articles sur le sujet et nous nous sommes rendues compte que les techniques étaient largement médiatisées, mais que les motivations des femmes qui y ont recours restaient souvent de l’ordre du tabou. On ne l’avoue pas, on en parle peu. Or, ces techniques sont certes très efficaces, mais elles peuvent aussi entraîner des dégâts difficiles à surmonter si elles sont pratiquées pour de mauvaises raisons. D’où notre désir d’aller interroger des spécialistes, mais aussi des utilisatrices et des psychologues.
M.H.?: Vous commencez par lister quelques règles de précaution à adopter. Même s’il s’agit de médecine et pas de chirurgie, il peut y avoir des risques??
N.C.?: Bien sûr, et c’est d’autant plus important que l’on se conduit souvent de manière infantile face aux médecins. On se sent coupable et l’on oublie de poser les questions. A tort?: il est important de savoir ce que l’on vous injecte et tout médecin doit vous remettre un document avec le nom de la marque et le numéro de lot du produit. Exigez toujours de l’acide hyaluronique pur. De même, vous devez recevoir un devis écrit… Ce n’est pas toujours le cas.
M.H.?: Au-delà de ces précautions, vous soulignez le risque d’addiction à ces traitements. Il y a une vraie « spirale de soins » dans laquelle on peut se laisser entraîner??
N.C.?: Exactement, c’est souvent quand ça marche que les problèmes commencent… Les résultats peuvent être si bluffants que certaines se prennent au fantasme de faire machine arrière, de retourner à la fraîcheur de leurs 20 ans… Là où il faudrait se fixer des limites, c’est l’inverse qui se produit. Les médecins spécialistes recommandent un rythme idéal — certes théorique — d’une intervention tous les six mois à un an. Beaucoup sont bien au-delà?! Le risque est d’en faire une addiction, avec des patientes qui ne se rendent plus compte des déformations physiques de leur chasse aux rides. Bien sûr, la tentation d’y retourner encore et encore ne concerne pas toutes les utilisatrices, mais à partir du moment où l’on commence, la question se pose irrémédiablement…
M.H.?: Comment justement délimiter la frontière entre le soin qui fait du bien et la spirale du jeunisme forcené??
N.C.?: C’est toute la question et c’est pourquoi nous avons intégré dans le livre les interviews de psychologues comme Philippe Grimbert, Jean-Pierre Winter ou Anne Dufourmentelle. La réponse est différente pour chaque femme, parce qu’elle met en jeu un rapport au temps et à l’estime de soi qui est très personnel. Mais il est important de se poser les bonnes questions… « Toucher » à son visage n’est pas anodin… La psychanalyste Catherine Audibert dit notamment que « le point de bascule est peut-être le passage du désir de s’entretenir au besoin d’en faire toujours plus. » En sondant les motivations des femmes, notre enquête veut donner à chacun les moyens de s’interroger au bon moment.
M.H.?: Le médecin n’a-t-il pas une responsabilité aussi pour prévenir les utilisatrices d’éventuelles abus??
N.C.?: La responsabilité des praticiens est difficile à établir, car les femmes qui recourent à cette médecine sont libres d’agir ainsi… Et le discours d’un médecin risque de conduire les plus accro à… aller voir ailleurs?! Beaucoup de médecins réfléchissent à ces pratiques et leurs limites. Une spécialiste nous a d’ailleurs expliqué qu’elle imposait un délai d’attente d’un mois aux patientes. Une manière de leur imposer de réfléchir sur leurs motivations et de se mettre au clair sur leurs choix. Ce n’est pas la solution bien sûr, mais c’est le signe que l’on peut agir de manière préventive.