mardi 23 avril 2024
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Thomas Brezzo : « L’indépendance
de la justice est garantie par notre Constitution de 1962 »

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Le président de la commission de législation du Conseil national, l’élu de la majorité Thomas Brezzo revient pour Monaco Hebdo sur le vote du projet de loi sur la magistrature, le 30 juin 2020. Interview.

Le projet de loi sur la magistrature a été présenté comme une « pierre importante » contre la corruption : pourquoi ?

Deux projets de loi ont en réalité été votés le 30 juin 2020. Le projet de loi n° 1005 modifiant la loi n° 1364 portant statut de la magistrature qui a été rapporté par José Badia, et le projet de loi n° 1016 qui modifie l’article 27 de la loi 1 398 relative à l’administration et à l’organisation judiciaire, ainsi que l’article 34 du code de procédure pénale. Ces deux textes sont destinés à mettre en œuvre un certain nombre de recommandations formulées par le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco) dans le cadre de son rapport, suite au 4ème cycle d’évaluation. La principauté dispose par ailleurs d’un délai, jusqu’au 31 décembre 2020, pour mettre en œuvre ces recommandations.

Globalement, que change ce texte ?

Le projet de loi n° 1005 tend à renforcer l’indépendance des magistrats de la principauté. Il inscrit dans la loi le rôle du Haut conseil pour la garantie de l’indépendance de la magistrature, il étend le processus d’évaluation des magistrats au président du tribunal de première instance et au procureur général adjoint, et enfin, il offre la possibilité au Haut conseil de la magistrature d’initier une procédure disciplinaire à l’encontre d’un magistrat.

Et le projet de loi n° 1016 ?

S’agissant du projet de loi n° 1016, ce dernier tend à préciser les prérogatives du directeur des services judiciaires en matière d’instructions transmises au procureur général. Il confirme, comme le faisait déjà l’article 34 du code de procédure pénale, que ces instructions – qui doivent en outre être écrites, motivées et versées au dossier de la procédure – ne peuvent tendre qu’à la poursuite des infractions, et non au classement sans suite des procédures.

De quelle façon l’indépendance opérationnelle du Haut conseil de la magistrature est-elle renforcée ?

Le projet de loi prévoit la possibilité pour le Haut conseil de la magistrature de s’auto-saisir afin de statuer en matière disciplinaire à l’encontre d’un magistrat. Cette prérogative était jusqu’à présent réservée au seul directeur des services judiciaires. Le projet de loi prévoit également que le Haut conseil de la magistrature sera composé différemment lorsqu’il devra siéger en formation disciplinaire sur son auto-saisine. En effet, sa composition doit nécessairement être distincte de celle à l’origine de la procédure, notamment afin de renforcer le caractère équitable de ladite procédure.

En quoi le cycle d’évaluation du Greco a motivé le vote de ces textes ?

Le quatrième cycle d’évaluation du Greco avait pour objet d’examiner les règles applicables aux parlementaires, aux juges et aux procureurs, notamment en matière d’éthique, de déontologie, mais aussi pour ce qui concerne les conflits d’intérêts, les interdictions ou les limitations de certaines activités, les déclarations de patrimoine, de revenus et d’intérêts, et enfin la sensibilisation des acteurs concernés aux problématiques de corruption. A l’issue de cet examen, le Greco a établi un rapport qui formule seize recommandations, dont dix qui concernent la corruption des juges et procureurs. Les deux textes votés le 30 juin 2020, permettent à la direction des services judiciaires de mettre en œuvre 4 de ces recommandations. D’autres mesures n’ont pas nécessité de modification législative. A titre d’exemple, on pourrait citer celles relatives à l’action disciplinaire, mises en œuvre à travers l’adoption, le 26 novembre 2019, par un arrêté du directeur des services judiciaires, du recueil de principes éthiques et déontologiques, qui sert désormais de guide de référence pour ce qui relève des devoirs et obligations des magistrats.

Même sans l’intervention du Greco, les élus auraient-ils poussé pour que ce type de texte voit le jour ?

Pas nécessairement, et je m’en explique. Ces deux textes viennent renforcer l’indépendance de la justice, mais elle est d’ores et déjà garantie et consacrée en droit monégasque, notamment par la Constitution qui date de 1962 et qui a été révisée en 2002. Malgré l’absence des deux textes que l’on vient de voter, l’indépendance des juges n’a jamais été remise en cause. Ces deux textes permettent de répondre aux exigences du Conseil de l’Europe. Il va de soi que nous devions répondre favorablement aux recommandations formulées. Nous le ferons dès lors que ces recommandations sont bénéfiques pour la principauté et qu’elles ne se heurtent à aucun des principes fondamentaux de notre droit et nos spécificités.

En février 2020, le Greco a émis une série de critiques qui concernaient notamment le Conseil national : ce texte met-il un terme à cela ?

Du côté du Conseil national, 6 recommandations ont été formulées par le Greco. Elle doivent être mises en œuvre avant le 31 décembre 2020, et l’étude du rapport définitif du Greco devrait avoir lieu dans le courant du premier trimestre 2021. Ces recommandations concernent notamment la mise en place d’un code de déontologie, une formation en matière de lutte contre la corruption, la demande de mise en place d’un système d’information sur les revenus, le patrimoine ou d’éventuels conflits d’intérêts, visant à une plus grande transparence dans le processus législatif. La mise en œuvre de ces recommandations nécessite une refonte du règlement intérieur du Conseil national. A cette fin, une commission spéciale chargée de la modification du règlement intérieur, que je préside, a été créée le 6 avril 2020, sur proposition du président du Conseil national, Stéphane Valeri. Le travail effectué jusqu’à présent sera prochainement soumis au vote des élus, et sera ensuite transmis au tribunal suprême pour validation, comme c’est l’usage. A noter également que le 23 janvier 2020, les élus ont suivi une formation sur la prévention de la corruption, dispensée par Jean-Baptiste Perrier, professeur de droit pénal à l’université d’Aix-en-Provence. Ces initiatives seront renouvelées régulièrement.

Monaco communique-t-il suffisamment autour des efforts réalisés pour garantir l’indépendance de sa justice ?

Je le répète, l’indépendance de la justice est garantie par notre Constitution de 1962. Toutes les lois qui ont été votées depuis cette date par le Conseil national l’ont toujours été dans le sens d’une plus grande indépendance des magistrats et de la justice en général. L’assemblée communique à chaque fois sur les textes qu’elle adopte, comme c’est le cas pour chacun des sujets traités. Nous avons également communiqué au moment de la publication du rapport du Greco en février 2020, en expliquant notre point de vue sur ces recommandations. A titre personnel, j’estime qu’il n’y a pas lieu de revenir davantage sur un sujet qui ne pose pas de difficulté dans son fonctionnement, même si l’Etat peut toujours améliorer sa communication.

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