jeudi 25 avril 2024
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Adamov?: un procès
au parfum de guerre froide

Publié le

Place-rouge à Moscou
L'homme de 72 ans est un ingénieur réputé dans la sécurité nucléaire et un ex-ministre de l'énergie atomique russe de 1998 à 2001, sous la présidence de Boris Eltsine. © Photo D.R.

Evgueni Adamov, ancien ministre de l’énergie atomique russe, a comparu, le 6 juin, par visio-conférence, devant le tribunal correctionnel. Il était soupçonné d’avoir blanchi dans des banques de Monaco des fonds destinés à renforcer la sécurité des centrales nucléaires de Russie après Tchernobyl.

Une intrigue nucléaire internationale sur fond de guerre froide. Tel était le scénario, non pas de la dernière production hollywoodienne, mais de la comparution devant le tribunal correctionnel, ou plutôt à l’écran, d’Evgueni Adamov. L’homme de 72 ans est un ingénieur réputé dans la sécurité nucléaire et un ex-ministre de l’énergie atomique russe de 1998 à 2001, sous la présidence de Boris Eltsine. Il lui était reproché ainsi qu’à trois autres personnes, son associé américain Mark Kaushanski et deux femmes de nationalité russe, d’avoir blanchi des fonds en principauté entre 1999 et 2002. Cet argent, alloué par des pays occidentaux dont les Etats-Unis, était destiné à renforcer la sécurité des infrastructures nucléaires russes, après l’accident de Tchernobyl en 1986.
Le principal intéressé, aux faux airs de l’ex-président russe Khrouchtchev, comparaissait par visio-conférence dans la chambre du conseil, seul lieu rendant possible l’opération et offrant un quasi huis clos. L’ancien ministre étant poursuivi pour la même affaire par un tribunal de Pennsylvanie aux Etats-Unis, le gouvernement russe n’avait « pas reçu la garantie » que les services secrets américains ne puissent pas « enlever » l’ex-ministre en principauté. La justice américaine lui reproche d’avoir détourné 9 millions de dollars. Détenant des secrets d’Etat, Adamov était donc resté à domicile. La petite salle du palais de justice s’était ainsi replongée dans l’atmosphère pesante de la guerre des blocs. Le temps n’était guère à la détente.
L’affaire prend racine au milieu des années 80. Mikhaïl Gorbatchev, président de l’Union soviétique, déclare la perestroïka, une série de réformes économiques et sociales pour le pays. Evgueni Adamov, directeur d’un institut russe à la pointe de la recherche sur les réacteurs nucléaires, veut « découvrir l’économie de marché ». Il commence à faire des affaires avec des pays de l’ex-URSS comme la Pologne et la Hongrie. Au début des années 1990, plusieurs pays occidentaux dont les Etats-Unis veulent aider la Russie à éviter un nouveau Tchernobyl. Des fonds sont débloqués pour améliorer la recherche sur la sécurité des infrastructures nucléaires russes. Le gouvernement américain donne 9 millions de dollars. Entre 1998 et 2001, Adamov, alors ministre, est soupçonné d’avoir créé deux sociétés baptisées Energopol ayant servi au détournement de tout ou partie de ces fonds. Mais l’ex-ministre russe nie, il indique avoir voulu « protéger cet argent ». « Le système bancaire en Russie après la crise financière de 1998 était une catastrophe. La monnaie était sans cesse dévaluée, l’inflation pouvait atteindre 200 % par jour », a-t-il rappelé au tribunal monégasque. Adamov affirme que les fonds ont bien été reversés aux scientifiques russes travaillant à la sûreté des installations nucléaires. En 2001, un rapport de la Douma (chambre du parlement russe) l’accuse de corruption et le contraint à démissionner de son poste de ministre de l’énergie atomique.

Blanchiment dans trois banques monégasques??

Un autre rapport, émanant du Siccfin, est établi en 2001, soupçonnant Adamov de blanchir les fonds pour la sécurité nucléaire russe dans trois banques de la principauté?: la Compagnie monégasque de banque, la banque Pasquier et ABC Monaco. C’est dans ces dernières qu’Adamov et ses « complices » ont ouvert les comptes de deux autres sociétés Aglosky International, basée aux Bahamas, et Omeka Ltd, dont le siège est situé en Pennsylvanie. Des transferts d’argent sont constatés entre les comptes monégasques des deux entreprises, l’une étant censée fournir des services à la seconde. « Comment pouvait-il y avoir une fourniture de services si aucune des deux entreprises n’avait de personnel?? », a questionné le président du tribunal, Marcel Tastevin. « C’était comme les deux poches d’un pantalon », a expliqué Adamov. Ce à quoi le magistrat a répondu?: « Pas du même pantalon alors?! ». Et l’ancien ministre russe de répliquer?: « C’était le même corps ». Selon lui, le but de ces sociétés était d’« accumuler l’argent des investisseurs pour développer les projets de l’institut » et « sauver les emplois des scientifiques ».
Le dernier rebondissement date de mai 2005, quand Evgueni Adamov est arrêté à Berne en Suisse alors qu’il rendait visite à sa fille. Les Etats-Unis en profitent pour demander son extradition. Celle-ci est accordée. La Russie contre-attaque. Ne souhaitant pas voir un fonctionnaire détenant des informations capitales sur son programme nucléaire tomber entre les mains des Américains, elle demande aussi son extradition. Motif de l’inculpation?: escroquerie. Les Etats-Unis se verront finalement déboutés de leur demande, au profit de la Russie. En 2008, Adamov est condamné par le tribunal de Moscou à cinq ans et demi de prison. Il passe quelques mois sous les verrous avant d’être libéré. Un ultime coup de théâtre est intervenu durant son procès monégasque. L’ex-ministre a assuré que sa peine avait été annulée par le tribunal moscovite en 2010. Ni les magistrats, ni les avocats d’Adamov n’étaient au courant de cette décision. Magie de la visio-conférence, elle a été faxée et traduite durant l’audience.

30 mois de prison ferme requis

Le premier substitut du procureur, Gérard Dubès, a estimé qu’il y avait « suffisamment d’éléments pour retenir le délit de blanchiment, les circonstances ayant été établies par l’instruction judiciaire menée à Monaco ». « Les décisions américaine et russe démontrent un comportement délictueux de M. Adamov et le comportement de ses complices tombe aussi sous le coup de la loi monégasque en matière de blanchiment », a précisé le ministère public, qui a requis 30 mois de prison ferme à l’encontre d’Evgueni Adamov et de son principal associé Mark Kaushanski et 18 mois avec sursis pour les deux femmes. « Dans le métier, on dit qu’il y a des dossiers maudits. Depuis 2001, on ne comprend pas ce qui peut être reproché à Evgueny Adamov et à ses complices. Il n’a rien détourné. La preuve, il n’y a aucune partie civile. Où sont les pays qui réclament leur argent?? », a plaidé Me Henri Charles, qui a demandé la relaxe pour les quatre prévenus. Me Michel Babled, autre défenseur d’Adamov et ses complices, a soutenu qu’« aucune activité répréhensible n’avait été commise ». « Les fonds versés à la Russie étaient dévalorisés alors M. Adamov a préféré régler depuis l’étranger. Il n’y a pas eu de détournement, ni d’écrémage. Ni les Etats-Unis, ni la Russie n’ont demandé le remboursement d’une somme », a-t-il affirmé. Et Evgueni Adamov, à l’écran, d’avoir le dernier mot?: « Je n’ai jamais volé ni un kopek ni un dollar ». Décision le 27 septembre.

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