jeudi 25 avril 2024
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Wikileaks : ce que les Etats-Unis voulaient savoir sur Monaco

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Le site Wikileaks, fondé par Julian Assange, a publié, lundi 8 avril, 1,7 million de nouveaux câbles diplomatiques américains datés de 1973 à 1976. La Principauté a fait l’objet de notes.

1973: la Guerre froide connaît une période de détente. Dans la même année, un conflit s’achève entre les Etats-Unis et le Vietnam, un autre oppose Israël à une partie du monde arabe, dont l’Egypte et la Syrie. A l’issue de cet affrontement survient le premier choc pétrolier. C’est aussi en 1973 que le conseiller à la sécurité nationale Henry Kissinger, auréolé d’un prix Nobel de la paix pour son implication dans la fin de la guerre du Vietnam, est nommé secrétaire d’Etat des Etats-Unis. Près d’1,7 million de câbles diplomatiques américains datés de 1973 à 1976, surnommés « câbles Kissinger », ont ainsi été révélés par le site Wikileaks, fondé par Julian Assange. La Principauté était scrutée, comme la quasi-totalité de la planète, par le département d’Etat. Monaco est référencé dans 520 fichiers. Une statistique à manier avec prudence puisque le terme correspond souvent à la simple évocation de la Principauté noyée dans une liste de pays invités à prendre part aux grandes conférences internationales. La majorité des télégrammes se réfèrent aux apports d’équipements américains au laboratoire de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) basé en principauté. Moins d’une trentaine de câbles présentent un réel intérêt.
Parmi les plus curieux, on note celui-ci datant du 31 juillet 1973 émanant de la représentation diplomatique américaine basée à Paris adressée au poste consulaire de Nice. Son thème : une invitation du maire d’Albany, la capitale de l’Etat de New York, faite à Rainier III pour venir prendre la pose dans le cadre du 350ème anniversaire de la ville. « L’agence consulaire de Nice a été chargée de mener une enquête discrète pour obtenir des informations » telles que « le nombre de résidents d’Albany originaires de Monaco » (« une quarantaine » selon un autre câble) ou encore « les liens s’il y en a entre Monaco et l’histoire d’Albany ». Aussi l’ex-conseiller national et ambassadeur de Monaco en Italie, Joseph Fissore, a-t-il fait l’objet d’une courte biographie à la demande expresse du diplomate américain en place à Rome, dans un télex du 18 novembre 1974. Le lendemain, mission est confiée au consulat US de Marseille de lister les périodes de vacances de la Principauté.

Ecologie politique
Les questions environnementales reviennent de manière récurrente dans les câbles qui concernent Monaco. Ceux-ci montrent comment les Etats-Unis se sont impliqués pour protéger leurs intérêts dans le domaine maritime. Une série de télex met notamment en exergue les pré-négociations de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. L’enjeu : une révision complète des textes en vigueur dans le domaine maritime international. Certains points posent problème aux Américains. L’ambassade US du Royaume-Uni, basée à Londres, suggère dès octobre 1973 de prendre contact auprès d’une quarantaine de nations dont Monaco. La Principauté est consultée en mai 1974 sur le thème de la recherche scientifique marine. Les Etats-Unis souhaitent obtenir le soutien de Monaco pour leurs propositions. Un télégramme du 18 mai rapporte une rencontre entre le ministre d’Etat de l’époque André Saint Mleux, le représentant monégasque à la conférence Jean Raimbert et un trio d’officiels américains. Ce dernier « insiste sur l’importance de la recherche scientifique dans la résolution des problèmes environnementaux et suggère que Monaco pourrait bien jouer un rôle majeur pour faire avancer la question de la science, au regard de l’illustre histoire de Monaco en matière d’océanographie », selon le câble. « Saint Mleux a reconnu un héritage de Monaco dans le domaine de la science marine mais est resté évasif à propos du rôle de Monaco dans le droit de la mer », poursuit-il. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer est finalement signée en décembre 1982 et entre en vigueur en novembre 1994. Les Etats-Unis ne l’ont ni signée ni ratifiée.
L’institut et le musée océanographique de Monaco ont également suscité la curiosité du département d’Etat. Dans un télégramme du 26 juillet 1974, il demande des renseignements détaillés sur l’institution : « Qui dirige les institutions? Qui gère au quotidien l’administratif? D’où proviennent les fonds de ces institutions? Quels liens ont-elles entre elles, en incluant les laboratoires de Paris? Quel est brièvement le but de chacune de ces institutions? Quel est le lien entre ces deux institutions et la Commission internationale pour l’exploration scientifique de la mer Méditerranée (CIESM)? » Le 1er août, Kissinger lui-même a relancé le consulat à Marseille pour obtenir des informations de fond sur Monaco. La réponse, étayée sur trois pages, lui est parvenue le 7 août.

Monaco, la France et la Navy
Dans une poignée de câbles, les Etats-Unis jaugent de l’influence de la France sur Monaco. Comme en témoigne un télégramme datant du 29 septembre 1976. Il relate le désir de la Navy, la marine américaine, de voir le Nimitz, un de ses porte-avions à propulsion nucléaire, effectuer une visite de routine du port de Monaco. La date est déjà choisie, ce sera au début du mois de décembre 1976. Ce qui constituerait une première selon le document. Le projet fait l’objet de discussions depuis 1973. Le télex pointe que « la politique française peut avoir une incidence sur la façon dont ce sujet pourrait être traité par Monaco, la France assurant la défense de la Principauté depuis le traité de 1918 ». « Nous ne souhaitons pas créer de controverse entre les autorités françaises et monégasques ou compliquer l’obtention d’accès aux ports français en soumettant une requête pour une visite à Monaco », ajoute le câble. L’ambassade de Paris est chargée d’étudier la question. Elle fait connaître sa position le lendemain et répond que ce sujet ne peut être dissocié de la question générale sur les visites des porte-avions américains dans les ports de France.
L’ambassade explique que « malgré l’enthousiasme du prince Rainier à l’idée de recevoir des visites de porte-avions de la Navy en principauté, la décision finale revient au gouvernement français ». « Nous croyons qu’il serait désastreux d’essayer d’outrepasser le gouvernement français et de négocier directement avec le prince sur ce sujet. Cela provoquerait une sérieuse réaction du camp français et pourrait très bien mettre fin à toute possibilité de visites des porte-avions américains en France et à Monaco pour les années à venir », poursuit le télex. L’ambassade propose de tâter le terrain auprès du gouvernement français pour voir s’il donnerait son accord pour une visite du Nimitz à Monaco. Et cela avant que le sujet des visites des porte-avions américains en France soit résolu. « Nous essaierons de baser notre position sur une subtilité légale qui permet de séparer clairement les eaux territoriales monégasques du sujet de la responsabilité française pour la défense et les relations extérieures de Monaco. Nous ne croyons pas que le gouvernement français accepterait cela. Nous craignons par la suite qu’il interprète une telle approche comme une tentative d’arranger une visite d’un porte-avions destinée à devancer la résolution finale des gouvernements américain et français au sujet des visites de nos porte-avions en France », conclut le diplomate américain basé à Paris.

La nouvelle ère
L’ingérence de la France dans les affaires monégasques prend fin en 2005, ce qui semble réjouir les Etats-Unis. Dans les premiers câbles révélés par Wikileaks en 2011, on retrouve une longue note du 30 novembre 2005. Le consulat américain de Marseille s’interroge sur une nouvelle ère pour Monaco avec l’accession au trône d’Albert II, « un prince résolument moderne ». Le câble comprend une référence à la convention franco-monégasque visant à renforcer la coopération administrative, signée le 8 novembre 2005. Le rédacteur insiste : « Ce traité historique permettra à Monaco de recouvrer sa pleine souveraineté » et de « réaffirmer son indépendance vis à vis de la France ».