samedi 27 avril 2024
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Ramoge, l’âge de raison

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Il veille à la protection du littoral provençal, monégasque et ligure depuis maintenant 40 ans. L’occasion pour les membres de cette accord international de dresser le bilan de leur gestion intégrée des zones côtières.

 

Comme un écho à la fragilité des océans, l’exposition Taba Naba, qui met à l’honneur l’art aborigène et océanien des peuples de la mer, sert d’écrin à la célébration des 40 ans de l’accord international Ramoge. Mardi 20 septembre, dans cette salle du musée océanographique, la secrétaire exécutive Anne Vissio est revenue sur la gestion intégrée des zones côtières, l’une des missions de Ramoge — les 40 ans du volet opérationnel avaient été célébrés fin avril, avec un exercice grandeur nature de lutte contre la pollution en mer au large de Monaco [1]. En se basant sur la directive-cadre stratégique du milieu marin, qui pose les enjeux et objectifs à atteindre, la commission de Ramoge définit un programme de travail sous la forme d’un plan biennal. Un programme à mener dans la zone pilote de l’accord international — initialement entre Saint-Raphaël et Gênes en passant par Monaco, mais étendue en 1981 à toute la région Paca pour la France et Ligurie pour l’Italie, sans omettre la Principauté —, par exemple autour de la biodiversité, avec la préservation de l’habitat et des espèces. « On a lancé une campagne de recensement de certaines espèces emblématiques », comme le corb (sciaena umbra), la patelle ferrugineuse (patella ferruginea) ou la grande nacre (pinna nobilis), explique Anne Vissio. Pour ce faire, Ramoge sollicite les plongeurs de la zone pour recueillir les observations sur l’état de conservation de ces espèces. « C’est de la science participative », se félicite la secrétaire exécutive. Les scientifiques du groupe de travail de l’accord ont réalisé des fiches descriptives qui ont été distribuées dans les clubs de plongée. « Nous n’avons personne », concède Anne Vissio. « Alors nous allons à la rencontre des clubs pour montrer ce que l’on attend lors de leurs sorties en mer, comment on note les observations. C’est perfectible », reconnaît la secrétaire exécutive. « Il faut l’améliorer et le développer. » Néanmoins, ces précieuses informations recueillies permettront d’enrichir une base de données scientifiques sur ces espèces.

Zones profondes

Autre volet géré par Ramoge, les zones d’intérêt écologique. Elles sont définies d’après les critères de la convention sur la diversité biologique. « On en a trouvé 35 en Italie, 25 en France et 6 à Monaco », se félicite Anne Vissio. À Monaco, les six zones d’intérêt décelées se trouvent une au large de Fontvieille, une au large du Larvotto et quatre au large du port Hercule. Ramoge a lancé une campagne d’exploration des zones profondes, spécifiques et proches de la côte, à partir de 80-100 mètres. « Il y a du potentiel écologique dans les canyons », explique-t-elle. Quant à la profondeur, « la limite va être celle de nos outils : le Rov [robot autoguidé sous-marin, N.D.L.R.] va au maximum à 350-400 mètres, des fois près de 500, mais jamais au-delà ». Ramoge a choisi deux zones par pays à explorer : des zones « pas connues » et auxquelles « peu de gens s’intéressent », de l’aveu de la secrétaire. « On a vu des choses passionnantes, comme des coraux noirs », s’enthousiasme Anne Vissio. L’objectif est surtout « d’identifier les pressions qui s’exercent sur ce milieu ». Au large du Dramont, dans le Var, ce sont les restes des filets de pêche ; à Monaco, les restes des mouillages des bateaux de grande plaisance. Une fois ces pressions déterminées, le groupe de travail détermine les enjeux et émet des recommandations. En plus de son rôle sur l’inventaire d’espèces et les recommandations de protection de ces zones, mis en place depuis 2000 et conforme à ce qui se fait à l’international, Ramoge s’occupe aussi en partie de la surveillance de la qualité des eaux. Il y a quinze ans, c’est l’apparition préoccupante de l’algue ostreopsis ovata que les membres de l’accord transfrontalier ont constaté. Une algue subtropicale, désormais présente partout en Méditerranée. « Cela peut-être toxique au niveau de la santé humaine, un peu irritant, mais pas grave. Si les oursins les mangent, on en sait moins, surtout en fonction de la haute concentration de cette algue », prévient Anne Vissio. Ramoge est ainsi chargé de modéliser cette efflorescence. L’Agence ligure pour la protection de l’environnement (Arpal) doit émettre des prévisions, pour pouvoir prévenir la commune s’il y a un risque sur la gestion de la baignade. Un projet européen autour de l’ostreopsis a même vu le jour. « Les États font de la surveillance, on échange entre nous sur les tendances, le dépassement des seuils. Chacun a un protocole d’échantillonage qu’il faut homogénéiser », explique-t-elle.

Protocole

Dans son objectif de lutte contre les déchets marins, avec la surveillance de déchets sur les plages, c’est une directive européenne qui a été transposée. « Elle définit le protocole pour évaluer la quantité de déchets. C’est très cadré », estime Anne Vissio. Pour ce test grandeur nature, deux plages ont été choisies en France, une à Monaco et plus d’une dizaine en Italie. Avec l’Association monégasque de protection de la nature et des bénévoles, « on définit un périmètre, par exemple 100 mètres, on ramasse [les déchets] et on les compte un à un, en les décrivant très précisément ». C’est là qu’ils se sont aperçus, par exemple de la présence pléthorique de coton-tiges. La première réaction a été de se rendre à la station d’épuration et de réaliser que les gens les jetaient dans les WC et que quelques-uns franchissaient les grilles de filtration pour se retrouver dans le sable. À Monaco, ça a débouché sur la diffusion d’un film dans les écoles, incitant chacun à améliorer son comportement pour réduire ses déchets ; le gouvernement français a aussi lancé une campagne de prévention. « On ne fait pas de la surveillance continue, on fait un bilan pour dire où est le problème et comment on peut faire pour réduire la quantité de déchet », résume Anne Vissio. Et essayer, à son échelle, de sensibiliser. La secrétaire exécutive mentionne une « expérience sympathique » menée avec le club d’aviron de Monaco. « Au début de l’année, les scolaires mettent des déchets dans une nasse pour voir comment ils se dégradent. Bien sûr, à la fin, il ne reste que le plastique. Au club nautique, quand ils voient des déchets en mer, ils les ramènent et les trient. » Ce qui a initié la campagne de sensibilisation Je navigue, je trie développée sur Monaco et en Italie. En 2017, toujours fort de ce volet de prévention, Ramoge prépare un colloque pour sensibiliser les communes en amont où les déchets du bassin versant descendent vers la mer, et les incite à nettoyer leurs espaces naturels. Et loue les initiatives locales, comme un projet pilote en Ligurie, où les citoyens peuvent prendre une photo des déchets en les géolocalisant, ce qui permet aux services techniques d’aller les ramasser.

Harmonisation

Pour avoir une meilleure coopération et plus d’efficacité, il faut un seuil commun des mesures, donc une harmonisation des protocoles : c’est l’une des missions de Ramoge. C’est exactement ce dont traite le volet opérationnel. L’exercice en mer du mois d’avril dernier se déroulait dans le cadre de RamogePol, un plan d’intervention pour la lutte contre les pollutions marines accidentelles en Méditerranée rédigé en 1993. De la mise en place de moyens d’intervention réactifs à l’usage de dispersant, il faut homologuer et harmoniser les procédures pour que les pays se rejoignent, voir ce qui peut être optimisé en fonction des retours d’expérience des uns et des autres. Sur le volet prévention comme sur les actions à mener a posteriori. « À la suite d’accidents de pollution, ça nous intéresse de poursuivre [en justice]. Il y a une procédure réglementaire. Côté français, nous avons un magistrat dédié à la pollution ; en Italie, ils en ont quatorze », note par exemple Anne Vissio. Recouper les méthodes de fonctionnement est indispensable pour plus d’efficacité, tout en s’adaptant aux réglementations internationales. « Ramoge est un modèle de gestion et de coopération exemplaire. Le Rempec (Centre régional méditerranéen pour l’intervention d’urgence contre la pollution marine accidentelle) nous cite en exemple pour mettre en place un plan comme ça », se targue-t-elle. Et si des fois, Anne Vissio se demande « comment on est arrivé à tenir le coup depuis 40 ans », les missions ne sont pas prêtes de s’arrêter.

(1) Lire Monaco Hebdo n° 769.

 

Un secrétariat monégasque « petit mais costaud »

Cela a commencé par un cri d’alarme sur la Méditerranée dans les années 70. Le Prince, clairvoyant, déclare alors : « Il faut qu’on s’unisse entre pays riverains. » Un échange pour dresser un état des lieux a été mis en place. Protéger de la pollution, préserver le milieu, réunir des experts avec une approche régionale était alors une première. Une « volonté de coopération » que loue Anne Vissio. « Toute décision est prise à l’unanimité. On est tous contraints de trouver quelque chose en commun. » C’est à Monaco que s’est installé le secrétariat de cet accord international, avec seulement deux employés. « On est petit, mais costaud », souffle Anne Vissio. La preuve en chiffre : s’il compte des contributions de trois pays, la France, l’Italie et Monaco, Ramoge fonctionne avec 80 000 euros par an. Une broutille au regard de l’importance des missions.