jeudi 25 avril 2024
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« 60 % des mers et des océans ne sont assujettis à aucune règle »

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Du 24 au 30 mars 2019, s’est déroulée la 3ème édition de la Monaco Ocean Week. Ce rendez-vous international a permis à des experts de débattre notamment de la pollution plastique ou de l’économie durable des océans. Premier bilan avec Bernard Fautrier, vice-président de la fondation Prince Albert II de Monaco.

Peut-on enfin parler d’une prise de cons-cience face à la problématique des océans ?

Nous avons eu une très bonne édition, avec beaucoup de succès et participation. Une quarantaine d’événements de tous ordres se sont tenus. Les résultats ont été supérieurs aux éditions précédentes en termes de fréquentation et de qualité des débats. Par exemple, pour la 10ème édition de la Monaco Blue Initiative (MBI), nous avons totalisé plus de 140 intervenants. Sur les éditions antérieures, nous nous situions davantage entre 80 et 100 participants.

Qu’est-ce qui a le plus attiré le public ?

Tous les événements pour le grand public ont eu un énorme succès. Je fais référence par exemple à la projection du premier film d’Ocean X [Ocean : Our Blue Planet — N.D.L.R.]. De plus, il ne faut pas oublier l’événement sur le biomimétisme [qui consiste à s’inspirer de la nature pour innover — N.D.L.R.]. Je dois reconnaître que la semaine a été éreintante pour tout le personnel impliqué dans l’organisation. Je tiens à les féliciter car le succès a été au rendez-vous. Pour preuve, je rappellerais le lancement de l’aire marine éducative de Monaco. La salle du musée océanographique était pleine. Ajoutons également, La Belle Classe Explorer Awards. Cet événement s’est produit au Yacht Club et a intéressé tout le milieu du yachting. La semaine des océans a manifesté l’engagement de tous à Monaco sur ces problématiques marines.

Quelle a été l’affluence pendant cette semaine, notamment durant la Monaco Blue Initiative ?

Il y a eu entre 140 et 150 experts internationaux pendant la Monaco Blue Initiative. Ce 10ème sommet international dédié à la mer a mis l’accent sur l’aire marine protégée, avec des experts venus d’horizons différents : États-Unis, Asie, etc. Je rappelle qu’en septembre 2018 notre délégation accompagnant le prince Albert II avait rencontré le ministre de l’écologie et de l’environnement chinois. Lors de ces échanges, nous avions parlé de la Monaco Blue Initiative à venir. Ainsi, les autorités chinoises ont envoyé Chuanlin Huo, le directeur général adjoint du département de l’écologie et de l’environnement marin à la Monaco Blue Initiative. C’était passionnant, car ce dernier a appris énormément et nous aussi, ipso facto. Nous nous sommes instruits sur la politique chinoise en matière de préservation des espaces marins et développement des aires marines protégées.

Que pouvez-vous nous dire sur la future conférence des parties en Chine, en 2020 ?

Effectivement, c’est en Chine que se déroulera la conférence des parties sur la convention pour la biodiversité. Ce sera une date clé pour les problèmes liées à la biodiversité. Il devrait y avoir des mesures suite aux objectifs d’Aichi. Au nombre de 20, ils constituaient le plan stratégique pour la diversité biologique de 2011 à 2020. Cependant, ces derniers n’ont que très partiellement étaient atteints et respectés. La communauté internationale s’accorde sur le constat d’un changement de braquet, afin d’éviter des catastrophes en matière de biodiversité. Certains experts scientifiques alertent sur une possible sixième extinction d’espèces. Aussi, la prochaine conférence des parties apparaît comme un rendez-vous décisif. Par conséquent, nous sommes déjà à la tâche et nous l’avons évoquée à la Monaco Blue Initiative concernant les aires marines protégées. Il faut expliciter qu’il existe de vifs débats sur ces problématiques. L’objectif d’Aichi numéro 11 sur les AMP prévoyait 10 % d’aires marines protégées en 2020, mais sans dire quelle zone serait recouverte.

Quel constat peut-on dresser ?

Premier constat : l’objectif de 10 % d’aires marines protégées ne sera pas atteint, dans l’immédiat, en 2020. Car, aujourd’hui, il n’y a que 7,59 % d’aires marines protégées. Il est important d’avoir des zones protégées dans les espaces océaniques avec un plan de gestion. De même, il est impératif de pouvoir s’assurer qu’il s’agit bien de zones d’exclusion. À cela s’ajoutent des moyens nécessaires pour respecter le plan de gestion. Ainsi, il y a un travail considérable à entreprendre. Même si certains lancent d’ores et déjà le chiffre de 30 % comme objectif à l’issue de la prochaine conférence en Chine. Néanmoins, l’important ne réside pas dans un pourcentage à atteindre, mais plutôt dans un statut réel pour les aires marines protégées et l’existence d’un plan de gestion. Parallèlement, il y a la possibilité de ne pas exclure qu’au-delà de zones fermées à la pêche, il puisse exister des zones avec une pêche artisanale. Notamment dans les pays en voie de développement, où l’implication des autorités locales est nécessaire. Ainsi, il y aura une prise de conscience de l’impératif d’avoir des zones marines protégées.

C’est important ?

Cela permettra aux habitants de continuer à vivre des ressources de la mer avec une exploitation durable et raisonnée. Avouons que la problématique est complexe. Il y a les tenants du maximalisme qui prônent les 30 %. Je serais tenté de dire : « Mais 30 % de quoi ? ». En revanche, les personnes raisonnables précisent qu’au-delà des chiffres, il est avant tout urgent de viser à des définitions précises et une qualification des aires marines protégées. À la Monaco Blue Initiative, scientifiques, politiques et organisations environnementales ont débattu autour de cet objectif de 30 % et à sa clarification. Ajoutons que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a une échelle de 0 à 7 pour classifier le niveau d’une aire marine protégée. De plus, rappelons qu’il y aura en juin 2020 le congrès mondial de l’UICN à Marseille. À ce moment-là, une forte délégation monégasque sera présente. Nous aurons une réunion de pilotage dans les prochains jours, avec l’ensemble des entités monégasques concernées en dialogue avec l’UICN.

Quelle est la position de la Chine ?

La récente visite officielle à Monaco du président chinois Xi Jinping a marqué la volonté politique des autorités chinoises. Elles s’investissent en faveur d’une ère nouvelle pour la préservation de la biodiversité. La Chine pourrait prendre le leadership dans le domaine de la conservation de la nature. Cela serait en cohérence avec le développement de leur pays. C’est aussi une affirmation de son rang au niveau international.

La Chine est devenue leader sur les énergies renouvelables ?

Les énergies renouvelables sont un volet supplémentaire sur lequel nous travaillons à la fondation Prince Albert II. Remarquons que la Chine demeure une grosse émettrice de gaz à effet de serre, c’est difficile de le nier. Cependant, face à la gravité du problème, les autorités chinoises se sont engagées clairement dans l’accord de Paris en 2015. La traduction est manifeste en termes industriels dans le développement des énergies renouvelables. Économiquement, la Chine est leader mondial pour les panneaux photovoltaïques et l’énergie éolienne. Autrefois fondée sur une extraction ardue des ressources charbonnières, l’économie chinoise s’est tournée vers les énergies propres, durables et nucléaires. La Chine a entrepris sa reconversion énergétique. Par la suite, elle essayera de se positionner en leader en termes de préservation de la nature et de conservation de la biodiversité.

Quelle sera la place de la Chine dans l’économie bleue ?

Ce concept se fonde sur les principes de l’économie circulaire s’inscrivant dans le cadre du développement durable. Donc, les théoriciens de l’économie bleue considèrent les déchets comme dotés de valeur. Pour la Chine, il est nécessaire de prendre en compte le chemin parcouru. Ce pays a souvent été cloué au pilori, notamment concernant le commerce de l’ivoire. Dès lors, les autorités chinoises ont pris des mesures drastiques pour interdire ce commerce. Par ailleurs, on ne peut pas nier qu’auparavant la Chine avait pris une part non négligeable dans la chasse aux requins. Cependant, force est de constater que depuis trois ans les autorités chinoises ont adopté une série de mesures draconiennes sur la mutilation des requins. Et le commerce des ailerons de requins est désormais prohibé en Chine.

La fondation Prince Albert II a versé 1 million d’euros au fonds environnemental : pourquoi et quels sont les objectifs ?

Le gouvernement avait déjà joué un rôle important dans la capitalisation initiale du fonds à hauteur de 500 000 euros à l’instar de la fondation Prince Albert II. Ce fonds doit atteindre une masse critique permettant de générer des revenus pour soutenir les actions à mener en Méditerranée. Ainsi, la décision a été prise d’affecter en 2019 une partie des profits engendrés par le Monte-Carlo Gala des Océans 2018. Par cette action, la fondation Prince Albert II souhaite conforter son soutien au fonds environnemental, en octroyant 1 million d’euros. Pendant les cinq années à venir, l’action du fonds sera renforcée à travers le soutien à une vingtaine d’aires marines protégées en Méditerranée. À ce jour, on dénombre quatre aires marines protégées bénéficiant d’aides. Par ailleurs, nous avons convaincu les bailleurs multilatéraux notamment le Global Environment Facility (GEF) ou le fonds pour l’environnement mondial (FEM). L’ensemble des bailleurs apporteront un soutien global avoisinant les 5 millions d’euros. Ainsi, d’ici 2020 le capital devrait osciller autour de 9 millions d’euros pour le développement des aires marines protégées en Méditerranée.

Le fonds est un mécanisme de soutien aux pays méditerranéens ?

Il faut spécifier que ce mécanisme s’adresse pour l’instant aux pays de la rive sud et pas à ceux de l’Union européenne (UE). Les conclusions du récent conseil d’administration de la fondation ont explicité la nécessité de ne pas être exclusif. Car certains pays de l’UE, c’est-à-dire les pays de l’Adriatique et de la Grèce, demeurent dans des situations précaires en matière d’aires marines protégées. Ils pourraient donc bénéficier du mécanisme de soutien du fonds fiduciaire.

Pouvez-vous nous parler du programme BeMed 2019 ?

Ce programme a été lancé en 2015. Il promeut les micro-initiatives réalisées contre la pollution plastique. La Méditerranée n’est pas exsangue de ce phénomène polluant par les macro-déchets. Les scientifiques de l’Accord sur la Conservation des Cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente (ACCOBAMS) ont pu le constater lors de leur mission de recensement des mammifères marins en Méditerranée orientale. Il y a le problème des déchets plastiques visibles, mais il s’ajoute aussi celui des micro-plastiques qui s’infiltrent partout. Ils s’intègrent dans la chaîne alimentaire et ils peuvent potentiellement terminer dans l’assiette des consommateurs. De même, l’action BeMed vise à une prise de conscience et à une mobilisation des Méditerranéens pour éviter de jeter les matières plastiques à la mer. Des opérations de sensibilisation sont menées avec le nettoyage de bancs de plastiques à la dérive. Par ailleurs, il est important de trouver des solutions pour remplacer les matières plastiques. Les collectivités locales, les associations environnementales et les universités sont sur le pont d’où un fort courant de sensibilisation. Par conséquent, chaque année nous lançons un concours, afin de primer une quinzaine de projets dans le cadre de la Monaco Ocean Week. Les lauréats venaient de tous les horizons : Maroc, Tunisie, Algérie, Monténégro, Albanie, Chypre, etc. Ils ont pu échanger entre eux.

Les jeunes s’impliquent ?

Dans le cadre de la Monaco Ocean Week, une aire marine éducative a été lancée à Monaco. L’initiative est à mettre au profit de l’association monégasque pour la protection de la nature et les enfants de l’école des Révoires. Il existe une diversité d’actions possibles, afin de sensibiliser les jeunes. C’est un constat d’espoir pour les générations futures.

Le prince Albert II souhaite faire acter à l’ONU l’objectif de développement durable sur les mers et océans : c’est possible ?

En 2014, le débat aux Nations unies sur les 17 objectifs de développement durable n’incluait pas les océans. Pourtant, parmi les objectifs de développement durable figure un objectif sur la biodiversité. Cependant, la spécificité de la préservation des océans n’est pas clairement formulée. Mais, les océans et mers couvrent 70 % de la surface terrestre, d’où l’émoi des défenseurs de la cause marine. L’émotion a été vive, et le prince Albert II est monté au créneau à l’ONU, soutenu par diverses organisations non-gouvernementales (ONG), pour inscrire l’objectif de la préservation des océans à l’agenda 2030. Ainsi, l’objectif de développement durable 14 sera consacré à la conservation et protection des océans. La communauté internationale a pris conscience de cette priorité environnementale.

Vraiment ?

Lors de la COP21, il y a eu une journée consacrée aux océans. Par ailleurs, l’ONU a décliné un bilan triennal sur les océans. Donc, une première conférence a eu lieu en 2017. S’en suivra une deuxième en 2020, au Portugal. Et le secrétaire général de l’ONU a désigné un représentant spécial, qui est l’ambassadeur Peter Thomson. Il a été président de l’assemblée générale des Nations unies de septembre 2016 à septembre 2017. Il est désormais délégué du secrétaire général pour les océans. C’est une véritable nouveauté, à laquelle s’ajoutent les conférences annuelles « Our Oceans » de l’ex-secrétaire d’État américain John Kerry, qui est un passionné des mers et des océans.

Les actions de sensibilisation semblent porter leur fruit ?

Il existe maintenant un mouvement planétaire grandissant en faveur de la préservation des océans. Par conséquent, 60 % des actions de la fondation Prince Albert II sont tournées vers les questions océaniques et maritimes. Nous souhaitons aussi soulever les questions juridiques liées au droit sur la haute mer. La surface globale des eaux internationales représente 60 % de l’espace marin, d’où l’importance de légiférer. Il y a un objectif optimiste, prônant un accord d’ici 2020. Mais l’urgence est le dialogue et la sensibilisation, car il y a une situation paradoxale. Enfin, je souhaiterais rappeler qu’à ce jour 60 % des mers et des océans ne sont assujettis à aucune règle. À noter que le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) réalise un rapport spécial de l’impact des changements climatiques sur les océans et la cryosphère. Ce dernier sera rendu lors d’une conférence en septembre 2019, à Monaco.