samedi 27 avril 2024
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Surveillance électronique :
une commission comme garde-fou

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Le dispositif permettant l’interception des communications électroniques est entré en vigueur lundi 26 septembre. L’occasion pour le gouvernement et les services judiciaires d’en rappeler les modalités et de présenter la commission chargée de veiller au respect des règles de sa mise en place.

 

«Le moment est venu », a commencé Philippe Narmino, président du conseil d’État et directeur des services judiciaires. « Le système mis en place par la loi n° 1430 du 13 juillet 2016 sur la préservation de la sécurité nationale est aujourd’hui opérationnel. » Un système qui permet à la police administrative de prévoir des mesures de contrôle et de surveillance dans un cadre strictement défini. « Ce n’est pas une loi de circonstances, même si elles se sont tragiquement invitées », explique-t-il en référence à l’attentat de Nice du 14 juillet, lendemain du vote de la loi. Grâce à deux ordonnances souveraines des 15 et 16 septembre, parues au Journal de Monaco vendredi 23 septembre, les actions étendues de la police administrative peuvent commencer. L’une d’elle a défini les membres de la commission chargés de « veiller au respect des règles relatives aux interceptions des correspondances émises par voie électronique et autres mesures de détection mises en œuvre par l’autorité administrative », qui ont été présentés lundi 26 septembre. Elle est composée de trois membres : un nommé par le conseil d’État, un par le Conseil national, et le juge des libertés. « Le conseil d’État a donné un signal fort en nommant » un avocat défenseur honoraire, Frédéric Sangiorgio, qui préside cette commission. Son suppléant est le conseiller d’État, Jean-Charles Sacotte. « Il appartient à nous, commission, de répondre aux attentes de l’équilibre nécessaire entre l’intérêt supérieur de l’État et la liberté », a noté ce dernier. Preuve de sa confiance en cette commission, le Conseil national a choisi de nommer comme membre son président, Christophe Steiner, et comme suppléant son vice-président, Marc Burini. Le troisième membre, le juge des libertés, est un magistrat du siège quant à lui désigné à tour de rôle par la présidente du tribunal de première instance, Martine Coulet-Castoldi.

« Régalienne »

C’est « sans précédent que l’autorité judiciaire veille à une action régalienne de l’État. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’autres exemples », note Serge Telle. « [Dans les autres pays], la commission de contrôle désigne généralement des fonctionnaires, rarement des magistrats. C’est un équilibre subtil et habile », se targue le ministre d’État. L’autorité juridictionnelle a donc une « position d’arbitre dans le débat éternel et toujours actuel entre la préservation des intérêts de l’État et la sécurité des citoyens et les espaces de libertés de ces mêmes citoyens », estime Philippe Narmino. « Un équilibre qu’on a essayé de bâtir au mieux. » Et pour cause : « C’est une loi exceptionnelle à Monaco, qui ne connaissait pas de mesures de police administrative comme on l’entend dans d’autres pays », note le directeur des services judiciaires. Tout en prenant soin de finir d’éteindre les quelques braises toujours incandescentes depuis les débats de la séance publique du vote de la loi. « Le Conseil national a montré pendant ses discussions combien il était soucieux de garantir [aux Monégasques] l’espace de liberté qu’il est naturel de leur offrir. » Pour lui, le débat est enfin tranché : « Ce texte est mis en place dans les meilleures garanties possibles et est le plus protecteur en Europe. » En effet, dans ses articles, la loi « affirme que les interceptions de communication électroniques sont interdites. Le ministre d’État n’a pas le droit de mettre en place de système intrusif, sauf à titre exceptionnel, et selon certaines modalités. » Une mise en place à titre exceptionnel dont la procédure a été détaillée. Elle démarre par une demande de la Sûreté publique au ministre d’État, selon les conditions de l’article 9 : être à la recherche de renseignements dans le cadre de la prévention du terrorisme, de la défense des intérêts stratégiques de la politique extérieure de la Principauté et de la sauvegarde de ses intérêts fondamentaux tels que le maintien de son indépendance et de ses institutions, de son intégrité territoriale et de la protection de sa population.

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Philippe Narmino © Photo Monaco Hebdo.

Disponibilité

C’est au ministre d’État d’apprécier le fondement de cette demande. S’il valide son intérêt, il prend « une décision motivée » et les mesures sont mises en place. Dans le même temps, la fameuse commission à trois têtes est saisie dans un délai maximum de 24 heures. « Elle peut être saisie 365 jours par an et doit donc être d’une disponibilité totale », rappelle Philippe Narmino. C’est la raison pour laquelle des suppléants ont été désignés. Après s’être réunie, la commission — totalement indépendante — doit émettre ses recommandations sous 48 heures : si elle valide la décision du ministre, les mesures de contrôle et de surveillance continuent. Si elle demande la suspension de la mesure, « et c’est là l’originalité » de la loi monégasque, cela a pour effet de stopper net la mesure de contrôle. « C’est un mécanisme extrêmement protecteur », martèle Philippe Narmino. La suite est plus complexe. Soit le ministre d’État s’incline devant la décision de la commission de veille, et alors tous les enregistrements sont effacés (lire ci-contre). Soit il juge que le dispositif mis en place est justifié par une menace tangible sur la Principauté : dans ce cas, il formule une requête auprès du président du tribunal suprême, qui apprécie si les éléments sont suffisants pour valider le dispositif ou rejeter la requête. Là encore, si refus, toutes les images et sons recueillis lors des surveillances sont détruits immédiatement.

« Engagement »

Surtout, le dispositif devra passer son contrôle technique — et éthique — annuel. « Ce qui est important, mais n’est pas inscrit dans la loi, c’est l’engagement public du gouvernement », affirme Philippe Narmino. Lors de la séance du vote de la loi au Conseil national, le ministre d’État, Serge Telle, a décidé de revenir devant la haute assemblée chaque année pour évaluer l’efficacité de la loi. « Corriger d’éventuels glissements néfastes ou pérenniser le dispositif », confirme Philippe Narmino, pour qui il est important d’avoir la perspective de ces échanges annuels. En revanche, rien ne peut indiquer le nombre de cas potentiels que le ministre et la commission auront à traiter. « Comme nous intervenons en amont, en termes de prévention, c’est impossible à évaluer », glisse Richard Marangoni, nouveau directeur de la Sûreté publique. Surtout que dans le cadre de la coopération internationale, un des volets de cette loi sur la sécurité nationale, le dispositif « que nous allons mettre en place pourra l’être à la demande d’autorités extérieures », décrit le directeur des services judiciaires. « Le territoire est exigu et, a priori, nous n’avons pas de menace sur ce territoire », estime Philippe Narmino. « Ça ne commencera pas forcément à Monaco », confirme Serge Telle. Le ministre d’État estime que le début de l’enquête peut être la saisie d’information par la France, par exemple, sur un résident présent sur le territoire national monégasque. « Nous avons mis en place ces formes de coopération pour prévenir [les menaces] », ajoute-t-il. « Nous avons des rapports suivis de coopération et de confiance avec un certain nombre de services extérieurs », conclut le ministre d’État.

 

Immunité pour les journalistes et les avocats

Si la mise en place des mesures de surveillance électronique est « exceptionnelle », tout le monde est potentiellement concerné. Enfin, presque… « Il existe certaines immunités », explique Philippe Narmino. Les communications de certaines professions ne pourront pas être interceptées. Et le directeur des services juridiques de citer : « Les locaux d’entreprises ou d’agences de presse et de communication audiovisuelle, ainsi que les véhicules professionnels et le domicile des journalistes. » Même chose pour les avocats, qui ne peuvent être la cible du dispositif. En revanche, si les conseillers nationaux échappent aussi à toute interception de leurs communications, les membres du gouvernement pourraient se retrouver sous surveillance.

 

Écoute annulée, fichiers effacés, mais…

En cas d’annulation, « dans les cas les plus extrêmes, il y a trois jours sur lesquels une personne a pu être surveillée », note Philippe Narmino, le directeur des services judiciaires. Si la commission suspend la mesure mise en place par le ministre d’État, les enregistrements faits sont détruits. « Ne sont retranscrites que les parties pertinentes des informations enregistrées », c’est-à-dire les éléments qui ont trait au motif pour lequel la procédure a été mise en place, à savoir la préservation du territoire et de la population et la lutte contre le terrorisme. « L’intérêt de la police administrative, c’est la prévention », confirme Philippe Narmino. « C’est une mesure coercitive mise en place par l’administration : ce qui doit être détruit est détruit. » Pour autant, même si l’écoute est annulée, « on ne peut pas interdire aux services de signaler [des infractions] à l’autorité judiciaire ». Libre après au parquet général de donner suite. « La documentation réunie lors du système d’écoute administrative [peut être] une voie d’entrée de la poursuite des infractions », résume Philippe Narmino. « Les affaires à Monaco, notamment de stupéfiant, débutent souvent sur des dénonciations qui servent de base aux procès verbaux », confirme le directeur des services judiciaires. Concrètement, si une personne est écoutée pour être suspectée de fomenter un attentat terroriste, elle pourra être poursuivie pour trafic de stupéfiant ou trafic d’armes — ou toute autre infraction relevée lors de la surveillance — même une fois l’écoute annulée. En revanche, les preuves récoltées lors de cette dite surveillance ne pourront pas être utilisées lors de la procédure judiciaire : l’enquête doit débuter de zéro.