vendredi 26 avril 2024
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Union européenne : « Nous avons fait connaître nos lignes rouges »

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Invité par le Monaco Press Club le 22 novembre, le ministre d’Etat Serge Telle a détaillé les négociations actuellement menées entre la Principauté et l’Union européenne.

D’un côté, il y a 500 millions de personnes sur 5 millions de km2. De l’autre, un micro-état de 2 km2 avec ses 38 000 résidents… L’Union européenne (UE) versus Monaco, c’est un peu le combat entre « David et Goliath », reconnaît le ministre d’Etat, Serge Telle. Mais pas question de se laisser broyer par le mastodonte européen. A Bruxelles, toutes les 7 semaines environ, l’équipe de Gilles Tonelli — le « négociateur en chef » selon l’appellation de Serge Telle — défend les intérêts de la Principauté : « Nous avons fait connaître nos lignes rouges : à savoir le respect de la priorité nationale. Comment voulez-vous que dans un pays de 9 100 Monégasques, on ne puisse pas avoir un mécanisme de priorité nationale ? Bien que nous soyons fondamentalement un pays européen, par notre histoire et notre géographie, il faut en même temps, que ce que nous sommes perdure dans 20, 30 ou 50 ans, a insisté Serge Telle. L’avantage dans ces négociations, c’est que nous savons exactement là où nous voulons aller. Et tant que l’on n’est pas d’accord sur tout, on n’est d’accord sur rien ! ». À en croire le chef de gouvernement monégasque, pas de panique à bord donc au sein de la haute administration. Les négociations — qui n’aboutiront pas avant « deux ou trois ans » — avancent « sereinement » et sans aucune pression : « Contrairement à Saint-Marin qui a besoin de fonds structurels pour équilibrer son budget, nous ne sommes pas pressés, car nous sommes dans une situation assez sereine en termes de finances publiques. Nous n’avons pas besoin de l’argent communautaire pour équilibrer nos budgets ».

130 accords

Pas pressés, certes, mais les entreprises monégasques, qui ont bien du mal à exporter leurs produits au sein du marché intérieur européen, attendent de pied ferme que le dossier avance. Et pour cause : « Nous avions 130 accords avec la France qui protégeaient Monaco, rappelle Serge Telle. Mais le pays voisin qui a choisi l’intégration européenne, a vu sa souveraineté diminuer. Désormais, la France ne négocie plus directement dans un certain nombre de secteurs. Notamment en matière de politique commerciale. » Une situation qui a donc durement et directement impacté les entreprises monégasques qui ne peuvent plus compter sur l’appui de la France : « Asepta par exemple qui est une grande réussite industrielle, doit posséder une SARL à Beausoleil pour pouvoir exporter ses produits sur le marché intérieur. Si vous êtes Monégasque aujourd’hui, vous n’avez pas droit au programme Erasmus. De même, si vous voulez vous installer pour travailler dans l’UE, vous ne pouvez pas le faire ».

Horde

Tout l’enjeu des négociations sera donc de trouver un accord sur la libre circulation des marchandises et sur la liberté d’installation — deux piliers du marché intérieur européen — sans pénaliser les spécificités monégasques. En effet, comment obtenir que les nationaux puissent s’installer quasiment partout en Europe et qu’il n’y ait pas une contrepartie sur le territoire monégasque ? : « Cette liberté d’établissement concernera peut-être quelques dizaines de nationaux. On ne va pas voir des hordes de Monégasques s’installer au sein de l’UE. La base démographique n’est pas la même !,  a répondu le ministre d’Etat. A l’inverse, nous ne pouvons pas avoir 700 médecins espagnols ou 300 avocats danois qui s’installent à Monaco… Ce n’est pas possible. Le problème est donc soluble par ce déséquilibre manifeste ! » Est-ce donc une politique de quotas, de ratios et de critères de nationalité qui pourrait s’instaurer ? « Oui. En tout cas, on doit pouvoir conserver l’autorisation préalable avant installation [en Principauté, N.D.L.R.]. Et gérer cela en fonction des capacités d’absorption et des besoins de la Principauté », répond Serge Telle.

« Un Everest »

Autre chantier de taille qui attend les services administratifs monégasques : la transposition du droit européen à Monaco : « C’est une montagne. Un Everest à gravir, reconnaît Serge Telle. Il faut reprendre l’acquis communautaire, même si l’on a déjà avancé dans ce domaine, ainsi que l’acquis dynamique. Car Bruxelles produit sans cesse des textes. C’est une immense machine à créer des règlements et des directives. » Et si au final, l’accord n’était pas satisfaisant pour Monaco, est-il envisagé de dire non à l’Europe ? « On ne dira pas non. On ne peut pas prendre le risque de s’opposer à l’UE et d’avoir des mesures de rétorsion contre la Principauté, répond le ministre d’Etat. Mais on fera de la “procédure” comme on dit chez les diplomates… ». A savoir repousser les négociations au maximum, sans jamais les abandonner, jusqu’à ce qu’un beau jour, un consensus se dégage…

Le gouvernement s’intéresse « de très près » à Radio Monaco

Dès sa prise de fonction en février 2016, le ministre d’Etat, Serge Telle, avait bousculé les habitudes et exprimé illico ses premières volontés. Parmi elles : séparer information et communication, et créer une sorte d’audiovisuel public avec des journalistes indépendants. « Avant, il y avait un centre de presse qui assurait à la fois l’information et la communication », a rappelé Serge Telle, lors du Monaco Press Club (MPC) le 22 novembre. Une « anomalie », selon le ministre d’Etat, qui souhaite donc à présent que soit créée une agence autonome de production d’information, totalement séparée de la communication gouvernementale. C’est François Chantrait, l’ancien patron du centre de presse, qui est chargé d’imaginer ce pôle audiovisuel et numérique de demain. « Il faudra être présent sur tous les supports : radio, télévision et web, a insisté Serge Telle. D’où l’idée d’un partenariat avec TV5 qui réunit les grandes chaînes publiques francophones, de manière à avoir nos propres diffuseurs, être reconnus comme un espace de production de contenus, et pouvoir le diffuser sur un énorme réseau. » Sans donner de détail, Serge Telle a également précisé que le gouvernement se penchait sur le cas de Radio Monaco : « Ce qui se passe au sein de cette radio est observé de très près par le gouvernement. Pour voir, notamment, s’il serait possible de récupérer la fréquence ou le nom. Radio Monaco avait son public. Le gouvernement et le Conseil national ont donc peut-être un intérêt à faire quelque chose avec ce média. C’est pourquoi, j’ai demandé à Geneviève Berti (directrice de la direction de la communication, NLDR) de faire un rapport sur les évolutions possibles ». Pas question en revanche d’intervenir sur le plan social en cours. Rappelons que huit salariés seront licenciés au 31 décembre prochain, dont six journalistes : « Le gouvernement ne peut pas intervenir dans le dialogue social entre le propriétaire et les employés de cette radio qui est strictement privée. L’actionnaire majoritaire est évidemment libre de ses choix », a conclu Serge Telle. S.B.