Favorables à une synergie entre public et privé, Jacques Rit et Philippe Ballerio appellent à un large débat sur la politique de santé.
« Quand il y a du sable dans les engrenages, il faut y remédier. Nous souhaiterions une confrontation générale de tous les acteurs de la santé?: professionnels, gouvernement et caisses sociales. » Réunis dans la salle de réunion de l’Institut monégasque de médecine du sport (IM2S), Jacques Rit, chef de service orthopédie de l’hôpital et Philippe Ballerio, directeur général de l’IM2S, veulent avancer main dans la main pour proposer « un Grenelle de la Santé à Monaco ». Après avoir vécu « une cohabitation étanche », les deux chirurgiens monégasques, présentés pendant des années comme des “frères ennemis” car potentiellement concurrents, demandent une synergie voire un partenariat entre médecine publique et privée. Pourquoi?? « Monaco est un Etat singulier où il est possible de construire un modèle innovant. Nous devons raisonner dans l’intérêt collectif », insiste Jacques Rit qui reconnaît tout de même, pour sa part, avoir craint, au départ, de subir une concurrence frontale?: « Quand le projet IM2S a été lancé, j’étais inquiet de voir se développer une activité complémentaire et parallèle. Mais cette dualité s’est avérée au final très intéressante. »
Activité extra T2A
Ce qui a amené les deux hommes à se rapprocher récemment, c’est la mise en place imminente du système de tarification à l’activité (T2A). En vigueur depuis la naissance de l’IM2S, il y a quatre ans, pour sa clientèle “française” (dépendant des caisses françaises), la T2A sera mise en place progressivement entre 2014 et 2018 au centre hospitalier Princesse Grace (CHPG). A l’IM2S, cette nouvelle tarification a un impact financier direct. « Si l’institut fonctionnait sur la base d’un prix de journée, il pourrait arriver à l’équilibre consolidé rien que sur la partie monégasque de son activité, soit 30 % de la clientèle, indique Philippe Ballerio. Si l’on prend 30 % de notre chiffre d’affaires et qu’on le ramène à un prix de journée, celui-ci s’élève à 414 euros contre un prix de journée de 895 euros au CHPG. »
D’où l’intérêt, selon Jacques Rit, de trouver pour l’IM2S le moyen de développer une clientèle hors T2A qui représente actuellement à peine 1 % de la patientèle?: « Il y a des pays comme les Etats-Unis où, malgré tous les projets de couverture universelle, la prise en charge individuelle est quasi-totale. Donc pour un cadre moyen de l’Amérique profonde, le coût global d’une opération peut atteindre le double voire le quintuple des tarifs qui se pratiquent ici. Vu le différentiel, on peut imaginer un apport de capitaux d’une filière étrangère, qui viendrait à Monaco pour des interventions telles que la prothèse du genou ou de la hanche. » Un concept de « tourisme médical » à développer sur le long terme?: « La signature avec une grosse compagnie d’assurance anglaise a pris 2,5 ans. C’est long pour un établissement qui compte 4 ans de vie… », rappelle Philippe Ballerio.
« Aptitude à la rue »
Autre impact de la T2A redouté par Jacques Rit?: que l’on autorise, à terme, beaucoup plus rapidement les sorties des personnes âgées en raison d’une réduction des durées cibles d’hospitalisation. Ce que l’on appelle cliniquement aujourd’hui, dans le jargon, « l’aptitude à la rue ». « On ne peut pas transposer les logiques. En France, la T2A sert, en simplifiant à l’extrême, à maîtriser les dépenses de santé et à forcer la restructuration du système. Ce qui amène à fermer des services hospitaliers au nom d’une gestion plus comptable et réaliste. Ma grande crainte c’est que cela ne peut se passer sans restriction à l’offre et au confort de soin. De plus, ce système fonctionne en réseau d’hôpitaux. Or, à Monaco, l’hôpital est une entité à part. Et nous n’avons pas d’établissement de court et moyen séjour. » Pour les deux chirurgiens, l’offre du futur centre de gérontologie clinique serait insuffisante?: « Le centre Rainier III pourrait représenter une vingtaine de lits de soins de suite mais ce ne sera pas suffisant pour tous les établissements de Monaco. La seule solution est d’annexer à l’hôpital 10 à 15 lits de service avec une délimitation en court et moyen séjour », affirment Jacques Rit et Philippe Ballerio.
19 millions de chiffre d’affaires
Bref, autant de sujets qui rendent indispensable, selon les deux médecins, la réunion de l’ensemble des acteurs de santé autour d’une table. Y compris pour évoquer l’évolution d’établissements comme l’IM2S. « L’institut a 30 % d’activité ambulatoire. Nous pouvons la développer », indique Philippe Ballerio. D’ailleurs, le DG de l’IM2S se dit prêt à accueillir un pôle ophtalmologique (voir encadré). Une solution parmi d’autres pour redresser la trésorerie de l’établissement dont la situation financière difficile a été mise sur la place publique lors des derniers débats budgétaires. Le 11 octobre, en pleine séance publique, Michel Roger a en effet annoncé la potentielle prise de participation majoritaire de l’Etat dans l’IM2S et le trou dans la trésorerie. Ce qui a choqué tant le personnel de l’IM2S que son patron. « L’IM2S est composé de deux sociétés, une médicale et l’autre immobilière. Pour la partie médicale, le chiffre d’affaires devrait être cette année de 19 millions d’euros. Le problème c’est que nous devons rembourser le projet immobilier depuis 2006 et certains actionnaires se montrent très pressants », souligne Philippe Ballerio. Avant que Jacques Rit lance très sérieusement?: « Et si l’Etat rachetait l’IM2S sans la nationaliser mais en lui conservant un statut de clinique?? » Une solution à débattre. Toujours dans la logique d’une symbiose entre le public et le privé…