A l’initiative du département des affaires sociales et de la santé, les représentants des employeurs de la principauté viennent de signer une charte pour l’égalité des femmes et des hommes au travail. Pas convaincue, la majorité du Conseil national réclame « des actes, plutôt que des artifices de marketing ». Quant aux syndicats, jugeant cet outil trop peu contraignant, ils réclament une loi.

Ils sont 7 à l’avoir signée. Le ministre d’Etat, Serge Telle, le maire de Monaco, Georges Marsan, la président de l’association des industries hôtelières de Monaco, Alberte Escande, le président de la fédération des entreprises monégasques (Fedem), Philippe Ortelli, le président du conseil d’administration du centre hospitalier princesse Grace (CHPG), André Garino, le président de la chambre patronale du bâtiment, Fabien Deplanche et enfin, le président de l’association monégasque des activités financières (Amaf), Etienne Franzi. « Cette charte concrétise l’engagement des employeurs pour la promotion de l’égalité de la femme et de l’homme au travail. L’adhésion des signataires est le signe de leur volonté d’agir concrètement et de faire converger durablement leurs actions », assure un communiqué de presse du gouvernement. Résumée par le hashtag #Monégalité, cette démarche a appelé une série de réactions de la part des signataires. « Promouvoir les droits des femmes, c’est lutter pour les valeurs les plus fondamentales qui nous unissent et nous définissent. Promouvoir les droits des femmes, c’est œuvrer pour la justice, la liberté et l’universalité », a estimé Serge Telle. Le maire, Georges Marsan, a assuré pour sa part que « si l’égalité femme homme est plus que respectée à la mairie de Monaco, ce n’est malheureusement pas le cas partout, et nous nous devons en tant qu’institution de montrer l’exemple et de rester vigilant sur ce qui se passe autour de nous. Très sensible à cette question, la mairie soutient depuis plusieurs années les actions d’associations qui se mobilisent et s’engagent au service des femmes ». Alberte Escande a rappelé que « dans une entreprise, une femme ambitieuse sur son lieu de travail, est parfois malmenée, jugée. L’égalité entre hommes et femmes est qu’au-delà des sexes on voit d’abord les valeurs de l’être humain. » Du côté de la Fedem, Philippe Ortelli a indiqué qu’il croyait « en la richesse humaine, quel que soit le sexe, parce que dans nos entreprises nous sommes obligés de valoriser la compétence », tout en soulignant que « le talent n’est pas défini par le sexe ». Pour le CHPG, André Garino s’est « réjouit » d’être associé à cette signature « en tant qu’employeur majeur de la principauté » pour qui « cet engagement symbolique constitue un message fort pour les professionnels de santé de l’hôpital, où certaines professions sont encore très largement prisées par les femmes ». Pour Fabien Deplanche et la chambre patronale du bâtiment, « la mixité de notre secteur d’activité ne peut être qu’un atout, une richesse, pour nos entreprises qui en tendant à généraliser cette situation nous permettra de confirmer l’attractivité de notre profession. » Enfin, le président de l’Amaf, Etienne Franzi, a lancé le fameux « à travail égal, salaire égal ». Avant d’assurer qu’« il y a bien longtemps que ce principe est en vigueur dans les banques. Il découle du mode de rémunération prévu par la convention collective. S’agissant du fameux “plafond de verre” empêchant les femmes d’accéder à certains niveaux de responsabilités, les choses ont évolué plus lentement, mais il commence à s’ébrécher. » Au rythme actuel, il faudra encore 202 ans pour que la parité au travail soit une réalité, affirmait le Forum économique mondial en décembre 2018, dans l’un de ses rapports qui portait sur 149 pays. Cette étude montrait que l’écart entre les salaires était encore de près de 51 %. Les femmes occupant des postes de direction n’étaient que 34 % dans le monde. Selon les zones géographiques, les réalités divergent. Si les pays d’Europe de l’Ouest pourraient venir à bout de l’écart hommes-femmes d’ici 61 ans, il faudra 153 ans au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord estimait ce rapport. Pour trouver davantage de parité, il faut en aller dans les pays nordiques, en Finlande, en Suède ou en Norvège. A l’inverse, c’est en Syrie, en Irak, au Pakistan et au Yémen que l’on retrouve le plus haut niveau d’inégalités entre hommes et femmes. A Monaco, si, bien évidemment, personne n’est allé contre la direction prise par cette charte, beaucoup l’ont jugée insuffisamment contraignante, à commencer par les conseillers nationaux.

Sanction

En effet, la présidente de la commission des droits de la femme et de la famille, Nathalie Amoratti-Blanc a jugé « positive » toutes les mesures qui permettent de réduire l’écart de traitement entre les femmes et les hommes du point de vue du salaire. Cette élue a aussi estimé qu’il faudrait s’intéresser à l’écart de responsabilités données aux femmes dans le monde du travail, « notamment dans les conseils d’administration des grandes sociétés, où à Monaco comme ailleurs, y compris dans les entreprises concessionnaires de services publics, les femmes sont largement sous-représentées ». Mais Nathalie Amoratti-Blanc ne voit dans cette charte qu’un « listing de bonnes intentions » car « il n’est prévu aucun mécanisme de contrôle de ces engagements. Pour nous, il s’agit d’un « affichage » de communication publique, alors qu’il faudrait au contraire des mesures permettant aussi de sanctionner. Contrôler et pouvoir sanctionner les inégalités le cas échéant : ce serait le seul moyen de les réduire dans les faits. Il est regrettable que les actions ne soient pas coordonnées, et menées en solitaire de la part du gouvernement sur un sujet sur lequel le Conseil national est en pointe. » Dans un communiqué, cette conseillère nationale de la majorité Priorité Monaco (Primo !) a rappelé que dès l’élection de février 2018, le Conseil national avait proposé la mise en place d’une commission de contrôle et de réclamation concernant les inégalités salariales. Dotée d’un pouvoir de sanction, cette commission pourrait être saisie par n’importe quelle femme qui se sentirait traitée de façon injuste. « Mais le gouvernement nous a répondu non, car, selon lui, il faudrait d’abord faire des statistiques via l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE), étude forcément très longue à réaliser. Comme si on devait connaître des chiffres concernant des violations évidentes d’une loi, avant de sanctionner les employeurs qui ne la respecteraient pas ! Si le gouvernement est sincère dans sa démarche, alors qu’il instaure cette commission », demande Nathalie Amoratti-Blanc dans son communiqué. Avant de conclure : « Nous préférons avancer vers l’égalité femme-homme de manière concrète, par des actes, plutôt que de trouver des artifices de marketing. On ne règlera pas l’injustice de la différence salariale avec un nouveau hashtag. »

Les syndicats réclament une loi

Ils ont apprécié le geste, mais ils en veulent davantage. Interrogé par Monaco Hebdo, le président de la fédération des syndicats de salariés de Monaco (F2SM), Cédrick Lanari, estime que cette charte est un « juste retour, la complémentarité homme femme fait notre force et nos valeurs humaines. Non seulement la F2SM souhaiterait signer cette charte mais également que celle-ci soit suivie de garde-fou ou de lois encadrants toutes ces bonnes intentions. » En attendant, Cédrick Lanari assure que son syndicat « veille et veillera que l’égalité entre les hommes et les femmes soit toujours un fil conducteur au sein des entreprises notamment lors des recrutements, du déroulement des carrières, des promotions internes ou du salaire. » Alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro, le 12 novembre 2019, l’Union des syndicats de Monaco (USM) n’avait pas répondu à nos questions. Mais dans les colonnes de nos confrères de Monaco-Matin, ils indiquaient par l’intermédiaire de leur secrétaire général adjoint, Olivier Cardot, le 8 novembre, que eux aussi auraient préféré une loi. Echaudé par ce qu’ils estiment être un précédent, la charte sur le travail intérimaire (« On se demande à quoi elle sert… »), Olivier Cardot cite des situations concrètes : « Il y a l’exemple de la salariée qui rentre de son congé maternité et qui se voit imposer un licenciement sans motif, avec l’article 6. Ou celui d’une autre jeune femme qui explique que le regard de son employeur sur elle a changé dès qu’elle a annoncé sa grossesse. Il y a également les cas de harcèlement. » Pour toutes ces raisons, l’USM attend « des mesures législatives, parce que la charte, ce ne sont que des promesses ».