samedi 27 avril 2024
AccueilPolitiqueLaurent Nouvion : « De l’acharnement contre Monaco »

Laurent Nouvion : « De l’acharnement contre Monaco »

Publié le

En poste depuis février, le président du conseil national fait un rapport d’étape sur ce début de mandat. Avant les débats budgétaires, Laurent Nouvion demande au gouvernement de jouer pleinement son rôle sur les dossiers Société des bains de mer et logement. Alors que la commission de Venise appelle Monaco à réformer ses institutions, il dénonce un « acharnement » contre la principauté. Interview relue.

DEBUT DE MANDAT
Monaco Hebdo : C’est une nouvelle équipe qui a démarré son mandat. Quels ont été les temps forts de ces premiers mois ?
Laurent Nouvion : La mise en place a été éprouvante de février à mai. Comme je suis exigeant avec moi et les autres, j’ai souhaité mettre en place le nouveau conseil national élu sur le plan administratif et politique. Les permanents ont été conservés en totalité, ce qui est une première, sauf trois ou quatre qui sont partis de leur propre chef car ils étaient dans l’entourage direct de l’ancien président. Aujourd’hui, tout le monde travaille dans une bonne ambiance.

M.H. : Vous aviez pourtant dit lors d’un point-presse que l’équipe de permanents fonctionnait à 20 % de ses capacités ? Que vouliez-vous dire ?
L.N. : Avant de vouloir donner son impulsion, il faut faire une photographie de la situation. Or, le premier constat était que la maison conseil national était inerte et endormie. Il y avait un manque d’esprit d’équipe. Le plus important est d’insuffler un tel état d’esprit. C’est ce que je souhaite faire avec l’ensemble de mes collaborateurs et avec les élus. Désormais, il n’y a plus de différences entre les fonctionnaires, entre secrétariat général et cabinet du président du conseil national. J’ai d’ailleurs décidé qu’il n’y aurait pas de cabinet. Je ne veux pas de différences entre permanents. Tout le monde travaille pour le conseil national et la nouvelle équipe élue.

M.H. : Pourquoi cette suppression du cabinet ? Vous ne voulez pas qu’une partie du personnel soit davantage « politisée » ? Pourtant vous avez recruté des gens qui ont mené campagne pour Horizon Monaco ?
L.N. : Il faut arrêter d’être hypocrite. Je souhaite avoir autour de moi, qu’il s’agisse de ma collaboratrice quotidienne directe ou du secrétaire général, des gens en qui j’ai entière confiance ; il est normal que j’ai des atomes crochus avec ceux qui donnent l’impulsion de la haute assemblée. Pour autant, je reçois l’ensemble des permanents, avec qui je déjeune tous les premiers lundis du mois, pour leur demander comment ils ont vécu ces premiers mois et ce qu’on peut améliorer. Un audit en ressources humaines est également en cours. Ce qui est normal dans toute institution qui prend un nouveau départ.

M.H. : Vous avez demandé au ministre d’Etat le recrutement de fonctionnaires supplémentaires. Quelle enveloppe budgétaire cela représente pour le budget 2014 ?
L.N. : J’ai demandé au Ministre d’Etat qu’il y ait 3 ou 4 postes supplémentaires parce que l’organigramme tel que nous l’avons trouvé ne donnait aucune flexibilité. Je regrette que mes prédécesseurs n’aient pas anticipé la gestion plus importante de ce bâtiment de 3 850 m2. La logistique, c’est important. Mais en termes d’enveloppe budgétaire, on a décidé de rester très raisonnables et d’optimiser la gestion en fonction de la dotation que nous percevons. Il y aura une présentation budgétaire aux élus courant juillet. Le budget actuel du Conseil national représente 3,7 à 3,8 millions d’euros.

M.H. : Vous comptez recruter des attachés parlementaires en anticipant la future loi d’organisation ?
L.N. : On ne peut pas se lancer dans une telle démarche tant que la loi d’organisation n’est pas votée. Ce texte, demandé par le conseil de l’Europe, fait partie de nos priorités. Jacques Rit l’a expliqué aux élus en commission. On va, dès septembre, commencer à l’examiner et l’amender article par article. Je peux juste vous indiquer que nous ne reprendrons pas les propositions de Guy Carcassonne (le constitutionnaliste décédé cette année avait été mandaté par l’ancienne majorité, N.D.L.R.). J’espère qu’en juin 2014, cette loi sera dans les starting-blocks.

M.H. : L’un des premiers textes votés par le nouveau conseil national, la réforme de la garde à vue, fera l’objet d’un recours devant le tribunal suprême pour inconstitutionnalité, dès la promulgation du texte. Le bâtonnier Me Licari, qui porte ce recours, a d’ailleurs déclaré que « devant le premier texte important, le conseil national s’est couché devant le gouvernement. Ce qui augure de la suite de la législature. » Votre réaction ?
L.N. : Le conseil national nouvellement élu assume totalement la loi sur les conditions pénales de la garde à vue. C’est une loi qui a été mûrement réfléchie, travaillée. Nous avons voté ce texte. Je n’ai pas à faire de commentaires sur les déclarations de Me Licari. Je ne sais d’ailleurs pas si ce sont des déclarations de Me Licari, l’ancien homme politique ou du bâtonnier. Si c’est l’ancien homme politique qui parle, c’est son droit. Si c’est le bâtonnier, j’attends qu’il m’envoie un courrier à cet effet. Quant à son intention de déposer un recours, au même titre que les décisions de justice en cours, je ne le commente pas. Le tribunal suprême fera ce qu’il a à faire.

M.H. : Le régime général de la garde à vue est désormais applicable aux mineurs de 13 ans. Vous avez beaucoup réfléchi à cette mesure sensible votée sur le siège ?
L.N. : Nous avons réfléchi à cette mesure qui nous a été proposée non pas sur le siège mais trois semaines avant le vote. Nous avons écouté et tranché. Nous nous sommes adaptés à une délinquance de plus en plus répandue des mineurs en dessous de 18 ans et même de 13 ans. Ce phénomène n’est pas simple. Nous avons voté ce texte en pleine connaissance de cause car pour nous, la sécurité est un élément constitutif de la stabilité institutionnelle et de la stabilité tout court. On l’avait dit pendant la campagne, on l’a fait 3 mois après notre élection. Ce texte, comme la loi sur l’organisation judiciaire, ont fait couler beaucoup d’encre et ont été bloqués pendant de nombreux mois par l’ancienne majorité. Philosophiquement, nous avons une approche différente et nous avons pris nos responsabilités.

BUDGET
M.H. : Le projet de loi sur le budget rectificatif 2013 a été déposé sur le bureau de l’assemblée le 1er juillet. C’est votre premier budget en tant que nouvelle majorité. L’occasion d’adresser des messages au gouvernement ?
L.N. : Tout d’abord, l’examen du budget rectificatif, qu’il soit voté ou pas, interviendra dès les premiers jours d’octobre. J’ai souhaité avancer la date car l’avis de la commission de suivi sera présenté le 2 octobre à l’APCE ; or, je souhaite que la totalité de la délégation monégasque soit à Strasbourg. Ce décalage permettra de ne pas avoir l’esprit distrait par le budget primitif 2014 qui, constitutionnellement est déposé le 1er octobre. Cela évitera toute confusion. Par ailleurs, il ne s’agit pas de voler le débat du budget primitif au moment du rectificatif. Nous verrons bien entendu si le gouvernement a tenu compte de nos échanges sur le logement, la SBM, l’éducation, et différents textes de loi en cours, par le biais de l’inscription ou la suppression de lignes budgétaires. Pour autant, nous resterons dans le cadre du budget rectificatif. Le véritable budget du nouveau conseil national sera le primitif 2014. Le rectificatif sera une répétition générale.

M.H. : Pendant 5 ans, vous avez affirmé que vous ne voteriez pas un budget en déficit. Or le rectificatif 2013 affiche un déficit de près de 30 millions d’euros. Vous ne le voterez donc pas ?
L.N. : Tout dépend de la nature du déficit. Si vous avez un déficit qui n’est pas dû à des dépenses d’investissements mais à des frais fixes, c’est gênant. Or nous avons demandé au gouvernement un renforcement du budget d’équipement. Je suis par ailleurs raisonnablement optimiste en la capacité de Monaco à maintenir et améliorer ses recettes avec, pour objectif, 1 milliard d’euros de recettes pour 2014.

M.H. : Pour le budget primitif 2013, vous déploriez justement qu’il n’y ait pas assez d’investissements pour l’avenir et vous vous étiez abstenus. Vous pensez obtenir des correctifs de la part du gouvernement ?
L.N. : On va faire en sorte qu’il y ait un certain nombre de corrections dans le cadre des séances privées voire sur le siège, en séance publique. C’est le rôle de la haute assemblée.

LOGEMENT
M.H. : Le gouvernement s’est montré défavorable, en conférence de presse, à une fusion des services de l’habitat et des domaines, et donc à votre foncière d’Etat. Vous reviendrez dessus ?
L.N. : Le gouvernement n’a pas donné sa position mais a esquissé un certain nombre d’avis dont certaines ont fait l’objet de vos interprétations. « La foncière d’Etat enterrée », je serais vous, je serais plus prudente. De toute façon, ce qui m’intéresse, c’est le fond de la réforme. La dynamisation et la gestion du parc domanial qui inclut des locaux commerciaux et des bureaux doivent être optimisées. Un délai moyen de 12 à 14 mois entre un appartement retiré et sa réattribution n’est pas tolérable ! Cela doit cesser. Nous avons également demandé de faire une commission d’attribution chaque année pour ce parc domanial de 3 000 appartements. Nous devons encore nous mettre d’accord sur les modalités pour améliorer la flexibilité du parc.

M.H. : Vous semblez être d’accord sur le lancement de deux nouvelles opérations domaniales. Le gouvernement semble parler de Testimonio (qui n’est d’ailleurs pas une nouvelle opération) et a priori, d’un immeuble au Jardin exotique ?
L.N. : Je suis très pragmatique. Sur le logement, on a demandé le lancement de deux opérations suite à la lecture de l’étude de l’IMSEE sur les besoins en logement et la dernière commission d’attribution. Nous avons également effectué des visites sur le terrain à Odéon et sur place, le gouvernement s’est rendu compte qu’une partie des logements étaient inhabitables ! Dans ces nouvelles opérations, il y a d’abord le projet Testimonio où l’on va être proactif avec le gouvernement pour que le chantier commence dès 2017-2018. On attend également un autre chantier sur un terrain vierge. Mais ce n’est pas tout : il y a le Grand Ida. Politiquement, nous avons sensibilisé le ministre d’Etat au fait que l’on ne pouvait hypothéquer tout un quartier uniquement pour loger 30 enfants du pays. D’autant que cela ne correspond pas à leurs besoins, vu le prix du m2 et que les conditions d’attribution allaient échapper à l’Etat, lequel a, qui plus est, payé le foncier… Le ministre d’Etat a pris acte de nos propositions et a accepté de rencontrer les propriétaires concernés. J’espère que d’ici la fin de l’année, nous aurons de bonnes nouvelles avec un projet d’envergure dans ce quartier qui puisse satisfaire tout le monde : les nationaux, les enfants du pays et les dationnaires.

M.H. : Le gouvernement a annoncé qu’il ne mettrait pas un centime dans le foncier. Selon vous, faut-il le faire au contraire ?
L.N. : Je ne suis pas l’Exécutif. Mais j’ai mon avis sur la question. Tout dépend de l’importance des droits à bâtir, de la détermination politique du gouvernement et de notre capacité à le persuader d’une opération de cette envergure. Mais que ce soit là ou ailleurs, vu la pénurie de deux pièces pour les nationaux, notre rôle au conseil national est de ne laisser échapper aucune occasion de pouvoir faire un projet domanial sérieux, cohérent avec le quartier. Il pourrait donner des parkings, des commerces, des bureaux, près de 40 logements pour les enfants du pays, venir aux droits des dationnaires et également ouvrir 50 ou 60 appartements pour les domaines. Tout le monde serait content. On a trop peu de terrains et d’opportunités foncières pour fermer la porte à une opération d’envergure à la Villa Ida. D’autant qu’il y a des préemptions dans les rues attenantes. C’est un quartier ciblé qui doit faire l’objet de remembrements. Un Etat a une obligation d’anticiper et de voir à 10, 15 ou 20 ans les remembrements faisables. Et en plus, les propriétaires sont proactifs.

M.H. : Attendons de voir les propositions financières des propriétaires…
L.N. : Chacun est dans son rôle. Voilà un exemple où le conseil national est revenu dans son rôle de contrepoids. Mais ce n’est pas à nous de négocier avec les propriétaires les assiettes foncières et les conditions financières.

M.H. : Le bloc C des Tamaris va-t-il bien être dédié au chantier de l’hôpital ? Arithmétiquement, cela fera baisser d’autant le nombre de nouveaux logements domaniaux, qui plus est de F2 ?
L.N. : A ce jour, moi, président de la haute assemblée, je n’ai été saisi d’aucune demande officielle de la part du gouvernement. Nous avons visité cette opération qui est quasiment terminée. Elle est prête à être livrée dans 2 ou 3 mois et l’appel à candidatures est lancé. Après, on a dit ce qu’on avait à dire pendant la campagne sur Les Tamaris. L’emplacement n’était pas le mieux choisi car cela hypothéquait le phasage du futur CHPG. Mais ça ne sert à rien de faire de la bourse a posteriori… Mon rôle est de proposer désormais la situation la plus équitable en matière de finances publiques et sur le plan domanial.

SBM
M.H. : Vous vous êtes plaint de ne pas être assez informé, tout comme une partie de l’exécutif, sur les décisions de la SBM. Lors de sa dernière conférence de presse, le ministre d’Etat a corrigé le tir en disant que la SBM n’était pas cogérée. Comment le prenez-vous ?
L.N. : Le ministre d’Etat est dans son rôle, il fait de la politique en lançant ce mot de « cogestion ». Il en prend l’entière responsabilité. Je mets au défi qui que ce soit de démontrer que nous avons mis en place les conditions d’une ingérence ou d’une cogestion de la SBM. En revanche, on est dans notre rôle de poser des questions, comme nous le faisons dans le cadre des tripartites (la prochaine est mi-juillet). Nous demandons au gouvernement de faire son travail et d’être au cœur des informations. En tant que représentant de l’actionnaire principal, il a l’obligation de nous informer sur ce qui se passe à la SBM. Le gouvernement, institutionnellement et historiquement, a toujours pris soin de le faire sur la situation sociale, économique et financière de la SBM. Nos interlocuteurs sont le conseiller pour les finances, autorité de tutelle, le conseiller pour les affaires sociales et le ministre d’Etat qui les coiffe. Or, je le répète, nous n’avons pas été informés de l’identité du directeur des jeux, ni des conditions financières du contrat d’embauche, ni de son CV.

M.H. : Le président délégué de la SBM Jean-Luc Biamonti est prêt à réduire l’opération du Sporting d’hiver si le conseil national ne vote pas la désaffectation de la parcelle de l’Etat dans le carré d’or. De votre côté, êtes-vous rassuré sur les conditions financières de la réalisation de ce complexe de luxe ?
L.N. : Je n’ai pas à commenter les déclarations du pdg de la SBM. Il appartient au gouvernement de nous donner tous les éléments et de déposer le cas échéant une loi de désaffectation. Si les conditions sont réunies, on l’étudiera. Sinon, on ne l’étudiera pas. Nous attendons des réponses fermes lors de la réunion tripartite mi-juillet. Ainsi que le plan général de rétablissement des comptes de la SBM.

EUROPE
M.H. : Vous étiez à Venise. La commission de Venise a durci le ton dans ses conclusions par rapport à son projet d’avis. Que s’est-il passé ?
L.N. : Je ne suis pas un voyant extralucide. Il y a 80 ou 90 sachants qui ont planché sur le cas de Monaco, et certains ont mis en place des amendements rectificatifs. Que voulez-vous que je donne comme avis sur leurs capacités à radicaliser leurs positions car ils sont dans leurs dogmes et veulent faire de Monaco une monarchie parlementaire ? La commission de Venise, ce sont les gardiens du dogme de la démocratie parlementaire, ils sont dans leur rôle. Cela ne m’intéresse aucunement de savoir ce qui s’est passé dans leurs têtes. Moi, j’ai fait une intervention politique. Je leur ai dit que je ne comprends pas pourquoi en Europe, où le mot de diversité est affiché partout, dans tous les domaines, on ne respecte pas le principe de la différence des institutions de Monaco qui est un état de droit et reconnu comme tel par tous. Pour moi, cela s’assimile à de l’acharnement.

M.H. : La prochaine étape, c’est le rapport du rapporteur Anne Brasseur. Jean-Charles Allavena a récemment demandé son dessaisissement. Est-ce pertinent dans la dernière ligne droite de la rédaction du rapport sur Monaco ?
L.N. : Je n’ai pas à penser que c’est pertinent ou pas. C’est logique par rapport à notre approche. Jean-Charles Allavena, qui maîtrise parfaitement le dossier, a demandé, dans le cadre de son intervention, que Madame Anne Brasseur ne s’occupe plus du cas de Monaco une fois son rapport achevé. C’est en plein accord avec la position du conseil national. C’est parfaitement logique par rapport à la façon dont nous avons été traités les 20 derniers mois. La minorité va certainement nous le reprocher, en fonction de l’avis, s’il s’est radicalisé ou pas. Mais nous assumons sur tous les sujets et encore plus sur le conseil de l’Europe. Et les Monégasques avec nous, comme le prouve le résultat des élections.

M.H. : Quelle est votre vision des relations de Monaco avec l’Union européenne ?
L.N. : On va vers des mois et des années qui seront ardues mais je reste résolument optimiste. On a un modèle économique assez diversifié qui nous permet de retomber sur nos pattes. Nous n’avons pas vocation à faire du zèle avec l’UE. Malgré une pression des pays européens sur notre régime fiscal, la pression de l’AELE sur les marchandises produites à Monaco, on a la possibilité de tirer notre épingle du jeu, du moment que l’on ne renonce pas à ce que l’on est. Il faut prendre le bon virage. Il faut que le conseil national joue pleinement son rôle de conseil. Il va falloir qu’on engage une réflexion sans trop tarder pour ne pas être en situation de subir, y compris sur le plan fiscal. On retrouve la même logique dans l’AELE que le conseil de l’Europe. Mais la France a aussi un grand rôle à jouer à Bruxelles et elle doit le jouer pour faire comprendre également et à sa place certains de nos particularismes. Je rappelle que 90 % des 50 000 salariés sont français.