vendredi 19 avril 2024
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“Réformer le système dès 2011”

Publié le

Stéphane Valeri
« Nous allons passer à la deuxième phase. Dans la semaine du 4 au 8 octobre, je présiderai une réunion tripartite axée sur le travail au noir et le travail dissimulé. » Stéphane Valeri, conseiller pour les affaires sociales.© Photo Monaco Hebdo.

Lors de sa rencontre avec la presse locale le 15 septembre, le prince Albert avait fait une allusion sybilline à une révision du régime. Stéphane Valeri, conseiller pour les affaires sociales, l’annonce aujourd’hui dans nos colonnes?: comme bon nombre de pays européens, Monaco devrait engager en 2011 une réforme de son système de retraite.

DIALOGUE SOCIAL

M.H.?: Vous avez rencontré syndicats et patronat séparément pour lister leurs attentes. Avez-vous senti une volonté de renouer le dialogue social??
S.V.?: Oui, j’ai senti une réelle volonté de sortir de l’impasse dans laquelle tout le monde se trouve. D’ailleurs, instaurer un dialogue social de qualité est l’une des missions prioritaires que m’a fixées le prince lorsqu’il m’a nommé dans mes fonctions. C’est aussi le souhait du ministre d’Etat dont on connaît la volonté de concertation et d’écoute. Je m’y suis donc attelé avec mon équipe. D’avril à juillet, j’ai rencontré une dizaine de fois séparément les délégations patronales et syndicales. Une méthode, un calendrier et un ordre du jour ont été arrêtés. Ces réunions bipartites ont permis d’aborder tous les sujets. Le gouvernement connaît désormais les positions précises des partenaires sociaux sur chacun d’entre eux.
Cette première étape a permis d’écouter longuement chacune des parties et d’expliquer à chacune la position de l’autre, dans le but d’amorcer un débat, afin de rapprocher des positions à priori très éloignées, voire opposées.

M.H.?: Vous avez joué un rôle de médiateur??
S.V.?: Absolument. J’ai demandé aux délégations de l’Union des syndicats (USM) et de la Fédération patronale (FPM) d’écouter l’autre avant de le condamner. Il faut sortir de la logique de diabolisation. Des deux côtés, j’ai rencontré des personnes raisonnables, insatisfaites de la situation de blocage et soucieuses d’en sortir. Bien sûr, il y a aussi les tenants d’une ligne dure, qui ne veulent pas faire de concessions et s’arc-boutent sur des positions aux fondements idéologiques ou représentant des intérêts catégoriels. Mais il est normal qu’au sein de chaque organisation, il y ait un débat démocratique. Mon rôle sera d’inciter chaque organisation à se positionner sur une ligne modérée et moderne. « Les modernes » existent et sont plus nombreux qu’on le pense.

M.H.?: A quand une réunion tripartite?? Vous vous étiez donné jusqu’à la fin 2010.
S.V.?: Cette première étape est terminée, la dernière réunion bipartite ayant eu lieu le 27 juillet. Nous allons passer à la deuxième phase. Dans la semaine du 4 au 8 octobre, je présiderai une réunion tripartite axée sur le travail au noir et le travail dissimulé. Cette réunion, organisée par le département des affaires sociales, associera également les caisses sociales et les départements de l’intérieur, des finances et de l’équipement, afin de décider des meilleurs moyens pour lutter contre ce phénomène. Tout le monde est concerné?: les employeurs, car le travail au noir crée un avantage concurrentiel pour le tricheur qui paie moins de charges que le chef d’entreprise honnête?; les salariés, car ils perdent les avantages liés aux heures déclarées?; et les caisses sociales qui n’encaissent pas toutes les cotisations patronales dûes.
Le gouvernement souhaite que cette réunion tripartite soit la première d’une longue série qui abordera tous les sujets.

M.H.?: Quel est le timing??
S.V.?: Il n’y a pas de calendrier rigide. Mais nous souhaitons que les premières décisions soient prises avant la fin de l’année.

M.H.?: Vos priorités??
S.V.?: Elles sont au nombre de deux?: d’une part, maintenir la compétitivité des entreprises. Il n’est pas question d’alourdir leurs charges. De même, le gouvernement n’envisage pas de diminuer la durée du temps de travail. D’autre part, il est tout aussi important de moderniser le droit du travail. Ainsi, peut-on conserver le principe du licenciement sans motif dans un Etat moderne?? Les cas abusifs de licenciement sans motif, ayant par exemple pour objectif de congédier un employé compétent sur le plan professionnel, mais qui ne partage pas les mêmes opinions ou qui a une activité syndicale, sont marginaux. Mais ils portent atteinte aux droits des salariés et à la dignité humaine. Sans compter qu’ils sont systématiquement utilisés pour ternir l’image de la principauté.

M.H.?: Vous allez vous aligner sur la France en matière de licenciement??
S.V.?: Non, nous ne nous alignerons pas sur la France. Motiver le licenciement oui, mais en conservant les particularismes monégasques, qui permettent à l’employeur de gérer ses ressources humaines de manière souple et pragmatique.

M.H.?: Sur tous les sujets (retraites, lois sur le contrat de travail, sur le salaire, etc), les deux parties ont toujours été radicalement opposées. Avez-vous réussi votre « révolution culturelle »??
S.V.?: On ne peut pas parler de révolution culturelle, mais il y a des avancées. D’ailleurs, dans la phase 2, nous travaillerons sur certaines propositions constructives qui ont été faites par les délégations patronale ou syndicale lors de la phase d’écoute et sur lesquelles on pourrait trouver un terrain d’entente.

M.H.?: Quelles propositions??
S.V.?: La fédération patronale propose par exemple de créer un système monégasque de retraites complémentaires. C’est une idée intéressante. Le patronat propose également de créer un diplôme universitaire de droit du travail monégasque.

M.H.?: Et du côté de l’USM??
S.V.?: Du côté de l’USM, l’idée est de moderniser la loi sur les syndicats, en supprimant l’assujettissement de la création d’un syndicat à une autorisation préalable du gouvernement et en ouvrant par exemple l’adhésion aux retraités. Le gouvernement n’est pas contre puisqu’il est pour la liberté syndicale. Une autre demande des syndicats est de garantir l’indépendance de l’inspection du travail. C’est le cas et nous n’avons pas toujours le même avis, comme on a pu le voir cet été. L’inspection du travail, dans son rôle, s’était prononcée contre l’ouverture de Carrefour le dimanche 16 août, en reprenant l’avis des délégués syndicaux. Le gouvernement, lui, a pris en compte des considérations économiques et d’image de la principauté (rentrées de TVA et qualité de l’accueil de nombreux touristes), en autorisant l’ouverture et en s’assurant du libre choix laissé aux salariés de travailler le dimanche, tout en étant payés double.

M.H.?: Pendant des années, la justice a dû jouer le rôle d’arbitre sur la question de la parité et des minima sociaux. Le gouvernement a-t-il tranché suite aux discussions avec les différents protagonistes??
S.V.?: Le gouvernement tranchera dans l’intérêt général et prendra des mesures équilibrées. Nous sommes dans l’attente de la décision de la cour de révision qui devrait statuer, d’ici à la fin de l’année, dans une affaire liée à la question de la parité. Dans cette affaire qui concerne une entreprise de sécurité privée, le tribunal du travail avait estimé que les conditions de travail n’étaient plus les mêmes entre la France et Monaco, tandis que l’instance d’appel avait jugé que l’on pouvait au contraire appliquer le principe de parité.
Quelle que soit la teneur de cette décision de justice, le gouvernement prendra ses responsabilités mais va laisser le temps au dialogue social de se poursuivre dans les réunions tripartites. Avec humour, je pourrais dire d’ores et déjà que le gouvernement ne compte pas de toute façon appliquer la parité systématique avec la France, qui serait contraire aux intérêts des salariés de Monaco… Rappelons tout de même que le système monégasque offre de nombreux avantages et notamment des salaires nets plus importants (il n’y a pas de cotisation salariale pour la maladie) ainsi que des allocations familiales et des remboursements médicaux plus avantageux.

M.H.?: La lutte contre le harcèlement est dans l’air du temps. Un dépoussiérage du droit monégasque a été demandé par les instances onusiennes. Et un conseiller national a élaboré une proposition de loi sur la question, élargissant au principe de non-discrimination. Votre point de vue??
S.V.?: J’ai toujours été hostile aux effets pervers qu’entraînerait une proposition de loi sur la discrimination. Je respecte trop la constitution et nos lois garantissant la priorité nationale et au-delà territoriale. Je n’y étais pas favorable car j’ai toujours considéré que l’application systématique des standards internationaux prévus pour les grands pays, sans tenir compte de notre identité, était une mauvaise chose. Ma conviction profonde, que je sais partagée par une grande majorité de Monégasques, est que l’intérêt supérieur de notre pays doit conduire à adapter les standards aux particularismes monégasques et non l’inverse. Dans ce pays, il n’y a aucun problème de discrimination par rapport à la race, aux convictions religieuses, politiques, ou aux comportements sexuels. Et quand il y a eu des comportements homophobes, par exemple, le tribunal les a condamnés. Il n’y a donc aucune raison de risquer de créer un problème majeur en posant un principe général de non-discrimination. On ouvre la boite de Pandore en mettant un coup de projecteur sur la priorité dont bénéficient les Monégasques en matière d’emploi et de logement, essentielle pour l’avenir de notre communauté et la survie de notre pays. Derrière un principe général de lutte contre la discrimination, on prend le risque, à terme, de condamner la priorité nationale. C’est maladroit, c’est se faire plaisir et surtout c’est être prisonnier d’une idéologie.
En revanche, le gouvernement est favorable à légiférer contre le harcèlement au travail. C’est une juste cause. L’USM en a d’ailleurs fait la demande et la Fédération patronale est d’accord sur le principe pour discuter des modalités.

RETRAITES

M.H.?: Pensez-vous que le régime doit être réformé?? Et comment??
S.V.?: Nous sommes confrontés à deux visions radicalement opposées sur l’évolution du système de retraites monégasque. Selon la FPM et la direction des caisses sociales, le régime est structurellement déficitaire. Pour l’USM et l’Union des retraités (URM), le déficit est seulement conjoncturel et le système s’équilibrera après la sortie de crise. Les perspectives, c’est un débat sur le sexe des anges, qui ne mettra personne d’accord. Il vaut mieux regarder les faits.

M.H.?: Les chiffres sont-ils alarmistes??
S.V.?: Ils sont préoccupants. Jugez par vous-même. Pour l’exercice 2008-2009 (l’année allant du 1er octobre au 30 septembre), le résultat de l’activité principale était pour la première fois déficitaire de 8,7 millions d’euros. Le fonds de réserve rapportant 23,5 millions d’euros et le fonds d’action sociale ayant coûté 2,3 millions, le résultat global était donc environ de 12,4 millions d’euros. A noter que le fonds de réserve de la Caisse autonome des retraites (CAR) représente aujourd’hui 571 millions d’euros, soit 68,5 mois de paiement des pensions.
Les prévisions pour l’exercice 2009-2010, qui datent de fin juillet, montrent que ce déficit s’aggrave. On passe de -8,7 millions d’euros à -12,7 millions d’euros. Le résultat global restant positif à hauteur de 4,7 millions d’euros.

M.H.?: Qu’en déduisez-vous??
S.V.?: Je m’en tiens aux faits. L’an passé, le comité de contrôle des caisses sociales avait défini des clignotants d’alerte qui devaient pousser à réformer le régime. Le premier clignotant, c’est une activité principale déficitaire trois années de suite. On va en être à la deuxième année. Le second, c’est un déficit de l’activité principale représentant plus de 40 % des intérêts du fonds. L’an passé, le déficit était de 37 %. Cette année, si les résultats sont confirmés, il devrait s’élever à plus de 60 %, donc bien au-delà du seuil d’alerte.
Il faudrait donc réformer le système dès l’année 2011. Si ces chiffres se confirment, le gouvernement engagera alors une large concertation avec l’USM, l’URM, la FPM et la direction des caisses, pour envisager une réforme.

M.H.?: Pouvez-vous assurer qu’on ne touchera pas aux fondamentaux??
S.V.?: L’objectif est d’assurer le maintien du système de retraite par répartition et le paiement des pensions aux générations futures, qui, si on ne faisait rien, serait menacé. Cette réforme se fera, je le répète, dans la concertation la plus large possible. Rien ne se fera sans écoute, et à la fin, la réforme sera juste, sociale et équilibrée. Sinon elle ne se fera pas. Nous protégerons les plus modestes.

M.H.?: Quelles sont les possibilités??
S.V.?: Il y a plusieurs paramètres qu’on peut activer et les avis sont partagés. Certains sont pour l’augmentation des cotisations patronales, d’autres évoquent la diminution de la valeur du point acquis par les salariés. D’autres encore parlent de demander un effort aux retraités. Vous le voyez, le débat est ouvert.

M.H.?: A la CAR, y a-t-il encore des opérations immobilières et des transactions de gré à gré comme il y a pu en avoir dans le passé ou des transactions uniquement sur appels d’offres??
S.V.?: Je suis président du comité de contrôle de la CAR, mais les opérations immobilières dépendent du comité financier présidé par ma collègue des finances. Mais je peux vous dire que le gouvernement est favorable, pour des raisons de transparence et pour obtenir les meilleures offres dans l’intérêt de l’Etat, à une généralisation des appels d’offres. D’une manière générale, Le Gouvernement ne veut plus d’opérations de gré à gré pour ce qui concerne les terrains publics.

HÔPITAL

M.H.?: Du nouveau sur l’établissement du programme médical et le choix du site??
S.V.?: Nous avançons. Les chefs de service de l’hôpital ont jusqu’au 30 septembre pour renvoyer leurs observations à la direction du CHPG sur le projet de dimensionnement que nous avons élaboré. Je les rencontrerais par la suite pour en discuter avec eux. Pour ce qui concerne le site du futur hôpital, il y a un vrai débat. Je respecte tous les points de vue. Certains sont favorables au choix de l’Annonciade, mais il fait perdre du temps. Il y a Testimonio, qui se situe bien loin du futur centre de gérontologie clinique (CGC). Il reste alors deux terrains?: in situ et les délaissés. Ma préférence va, vous le savez, aux délaissés, car ce choix évite de nombreuses nuisances pour l’hôpital actuel et par sa proximité, garantit la synergie avec le futur CGC.

M.H.?: Vous vouliez accélérer le rythme, gagner un trimestre sur ce choix. Est-ce bien parti??
S.V.?: Nous avons l’intention de gagner en effet un trimestre et prendrons une décision pour le projet médical à la fin 2010.

SANTE PUBLIQUE

M.H.?: Il y a eu plusieurs cas de dengue à Nice. Quelles sont les mesures (prévention et anticipation) prises par Monaco??
S.V.?: Le gouvernement vient de prendre trois mesures appliquant le principe de précaution. Nous avons décidé de renforcer l’action préventive de démoustication par rapport aux larves ainsi que la lutte contre les moustiques adultes dans certaines zones sensibles comme Monaco-Ville et la Condamine. Ensuite un accord a été passé avec la France pour traiter, si nécessaire, les zones où un cas se serait déclaré, afin d’éviter toute menace de contagion.

M.H.?: Quel est le bilan financier de la grippe A?? Les effets secondaires du vaccin sont craints. A Monaco aussi??
S.V.?: L’opération de vaccination aura coûté 414?000 euros. Nous n’avons payé que les vaccins utilisés. Cet hiver, nous suivrons les directives du ministère français de la santé. Aucun problème d’effets secondaires n’a été déclaré jusqu’à présent à Monaco.

SBM

M.H.?: On vous accuse de toujours politiser la SBM. Votre réaction??
S.V.?: A qui profite ce procès d’intention?? Rappelons quelques faits. J’ai été le premier président du conseil national à demander que le directeur des jeux ne soit plus un conseiller national. Depuis 2003, ce poste n’est effectivement plus occupé par un homme politique. Aujourd’hui, dans mes nouvelles fonctions, je ne suis qu’un interlocuteur parmi d’autres de la SBM, derrière le ministre d’Etat et au côté de ma collègue des finances. Après, je ne peux pas empêcher de nombreux employés de la SBM de partager avec moi la même vision pour l’avenir de cette société. En effet, j’ai toujours œuvré depuis 2003 pour son développement économique et je veille aujourd’hui à ce que le dialogue social soit positif en son sein. Laissons de côté les sectarismes et les querelles partisanes. C’est l’intérêt de tous. De plus, aucun groupe n’a le monopole de la compétence, et l’avenir de la SBM passe par une évaluation objective du mérite de ses employés, pour assurer la promotion des meilleurs. Il passe aussi, comme dans toute entreprise, par le respect mutuel entre dirigeants et employés. En plein accord avec le ministre d’Etat, à ma place, c’est en ce sens que j’œuvre et œuvrerai.

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