mardi 23 avril 2024
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Inquiétudes autour de Mecaplast : les réponses de Thierry Manni

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Depuis que la famille Manni a révélé avoir cédé le contrôle de Mecaplast au profit du fonds Equistone Partners Europe, les rumeurs les plus folles circulent à Monaco. Le président du conseil d’administration de cette entreprise familiale, Thierry Manni, a répondu à nos questions. Il apporte quelques éléments de réponse.

Il le dit lui-même dans la longue interview qu’il nous a accordé : « Je me suis coupé un bras. » On s’en doute, perdre le contrôle de Mecaplast, une entreprise familiale lancée en 1955 par le père de Thierry Manni, Charles Manni, ce n’est pas rien. Cet équipementier automobile a été durement frappé par la crise en 2008 et a enchainé les exercices difficiles. En octobre 2012, 136 postes sont touchés par un large plan de restructuration. L’Etat monégasque avait alors versé une aide de 19 millions d’euros, inscrite au budget rectificatif 2012. Une aide publique qui a provoqué des débats musclés lors de séances publiques au Conseil national. L’objectif du gouvernement est alors clairement affiché : sauver les 70 salariés restant à la production et garder en Principauté les 200 autres postes liés à l’administration, à la gestion et à la recherche et développement. Huit ans après, Thierry Manni livre enfin des chiffres qui donnent une véritable idée de la situation à l’époque. Et ils sont vertigineux. « Fin 2008, nos pertes ont atteint 80 millions d’euros. En rentrant à Monaco, il n’y avait pas un vendredi sans que je dise à mon père : « On va déposer le bilan. » Cette situation a duré quatre mois et demi. »

 

Licenciements

Cet épisode à peine digéré, il est décidé de changer de stratégie concernant le site de production monégasque de Mecaplast. Entre 2008 et 2013, le chiffre d’affaires de Mecaplast Production est passé de 25,7 à 15,8 millions d’euros, soit une baisse de 38,5 %. Trop excentré, le site monégasque implique des coûts de main d’œuvre et de transports trop élevés. « On a pris la décision de recentrer Foreplast sur des produits en dehors du secteur automobile », raconte Manni. « Dans les prochains mois, nous serons attentifs à ce que tout soit mis en œuvre pour le repositionnement de Mecaprod vers de nouveaux marchés, hors auto, comme les dirigeants s’y sont engagés », avait promis à l’époque le conseiller pour les affaires sociales et la santé, Stéphane Valeri. Mais ce changement de stratégie suppose aussi des licenciements. Fin octobre 2014, la direction annonce que pour restructurer son usine de production elle se sépare de 67 salariés. Désormais, Foreplast ne s’intéresse plus à l’automobile. Cette usine a sorti il y a environ 6 mois sa première production. Il s’agit d’un sèche-cheveux pour le compte de la marque Technofirst. « C’est une réussite », assure Thierry Manni. L’an dernier, Foreplast a réalisé un chiffre d’affaires de 8,5 millions d’euros.

 

Stratégie

Encourageant, mais pas suffisant pour garantir un avenir à ce site de production monégasque. « C’est à l’usine de Monaco de démontrer aux actionnaires qu’elle est viable. On a donné aux équipes les moyens de prendre des marchés et de développer l’activité de Foreplast. Maintenant la balle est dans leur camp. J’ai toujours été très honnête avec eux à ce sujet. On fera tout pour pérenniser Foreplast. Mais on ne fera pas n’importe quoi pour sauver Foreplast », précise Thierry Manni. Un discours pas langue de bois qui place tout le monde devant ses responsabilités. Reste à savoir comme les syndicats percevront ce changement d’actionnaire et les nouvelles stratégies qu’il implique. Quant au montant exact du deal entre Equistone et Mecaplast, il reste secret. « Nous ne souhaitons pas communiquer le montant investi par Equistone. Ce qu’il est important de prendre en compte, c’est qu’Equistone est prêt à mettre à la disposition du groupe les moyens nécessaires pour assurer son expansion », estime Thierry Manni. Dans cette perspective, les prochains résultats de Mecaplast seront scrutés à la loupe.

 

« Détenir la majorité de Mecaplast n’est pas une fin en soi »

 

Thierry Manni, président du conseil d’administration de Mecaplast, raconte pour Monaco Hebdo les coulisses de la prise de contrôle de cette entreprise familiale par le fonds Equistone Partners Europe. Interview.

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Thierry Manni © Monaco Hebdo

Pourquoi avoir cédé le contrôle de votre entreprise familiale à un fonds d’investissement ?

Pour comprendre, il faut remonter à la crise de 2008. Cette crise nous a obligés à restructurer notre groupe, que ce soit d’un point de vue opérationnel ou capitalistique. Comme cela nécessitait des moyens financiers, on a fait appel au Fonds de Modernisation des Equipementiers Automobile (FMEA) de Bpifrance qui est donc entré au capital avec 33 % des parts.

 

Ça n’a pas suffit ?

Comme la crise a été plus longue que prévu, on a dû faire face à nouveau à des difficultés en 2012 et 2013. Les banques, les constructeurs, l’Etat monégasque et français, les actionnaires, bref tout le monde a décidé de faire encore un dernier effort. J’ai alors cherché une solution pérenne capable de rassurer les clients et le marché. Il fallait que j’ouvre le capital de Mecaplast et renforce les fonds propres du groupe.

 

Le contexte économique a pesé dans votre décision ?

Entre 2012 et 2016, la situation de Mecaplast a changé. Un important travail opérationnel a été réalisé par l’équipe dirigeante. Ce travail nous a permis d’aborder des négociations avec des partenaires financiers et industriels dans de bonnes conditions pour envisager leur entrée au capital de l’entreprise. On a donc mandaté une banque d’affaires qui nous a proposé une quinzaine de fonds financiers et/ou d’industriels. On a rencontré chacun de ces 15 candidats pour analyser en profondeur leurs offres.

 

Vos critères ?

On ne voulait pas d’un fonds qui soit purement financier et qui aurait eu pour seul objectif un retour sur investissement à très court terme. On souhaitait trouver un partenaire qui ait une morale et le même état d’esprit que nous. Un partenaire qui soit sensible à l’aspect familial et pour qui l’industrie ait un sens. Il était important que le partenaire partage les valeurs du groupe et, si possible, ait une culture proche de la nôtre.

 

Combien de temps ont duré les négociations ?

Ce genre de processus est souvent long. Il a duré plusieurs mois.

 

Qui est Equistone Partners Europe ?

C’est une émanation de la banque Barclays. L’équipe qui nous suit est française, elle est basée à Paris. Le management a fait preuve d’une sensibilité qui nous a séduits et leur proposition était intéressante.

 

Vous avez posé des conditions ?

L’ancrage à Monaco est essentiel à mes yeux et je l’ai identifié très tôt dans les discussions. J’ai senti de l’écoute chez mes interlocuteurs et une volonté de satisfaire à cette demande.

 

Quelle est la nouvelle clé de répartition du capital de Mecaplast ?

La société Equistone devient l’actionnaire majoritaire du groupe avec 75 % du capital, Bpifrance, qui était déjà au capital, reste actionnaire minoritaire, à mes côtés. Et les managers de Mecaplast détiendront 3 %.

 

Humainement, la décision a été difficile à prendre ?

Mecaplast est une entreprise familiale. Donc l’affect joue évidemment un rôle important au moment de prendre une décision aussi importante. J’ai beaucoup discuté avec ma famille. J’ai mûrement réfléchi. Et je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’une décision nécessaire pour sortir de ce système de survie dans lequel nous évoluons depuis des années.

 

Vous avez pensé à votre père, Charles Manni, qui a créé cette entreprise en 1955 ?

Bien sûr, Mecaplast était son bébé ! J’ai pris ma décision afin de permettre l’expansion du groupe. Détenir la majorité de Mecaplast n’est pas une fin en soi.

 

C’est la fin d’une saga pour Mecaplast ?

Pas du tout. C’est juste la fin de la saga Mecaplast détenu majoritairement par la famille Manni. Mais ce n’est pas la fin de la saga Mecaplast. Je veux que ma décision permette au contraire à Mecaplast de poursuivre son aventure et accélérer son développement.

 

Vous auriez pu décider de vendre Mecaplast et de passer à autre chose ?

Vendre et partir avec un chèque aurait été la solution la plus facile. Mais cela n’est pas en phase avec mes valeurs et mon histoire. Je ne m’imagine pas sans Mecaplast. J’ai encore des projets pour le groupe.

 

Que va permettre l’arrivée d’Equistone ?

Cela va nous permettre d’accélérer notre développement et d’aller chercher des complémentarités territoriales, clients, produits et/ou « process ».

 

Un exemple ?

On doit continuer à se développer auprès de nos clients allemands. Nous sommes à la recherche d’opportunités en ce sens. Donc, peut-être que l’acquisition d’une entreprise bien ciblée pourrait être intéressante pour nous.

 

Avec l’appui d’Equistone, vous aurez plus d’argent pour racheter des entreprises ?

Jusqu’à présent, on agissait avec les moyens qui étaient les nôtres. Aujourd’hui notre nouveau partenaire a des moyens financiers qui peuvent nous ouvrir d’autres perspectives de développement.

 

Il n’y avait aucune autre solution que d’ouvrir le capital de Mecaplast ?

On aurait pu ne rien changer et continuer comme ça. Mais d’un point de vue économique et au vu du contexte international, cela n’avait aucun sens. Et il y avait aussi le risque en cas de nouvelle crise économique de perdre le soutien de nos partenaires et clients. Ce qui aurait pu conduire à la disparition de Mecaplast. Donc cette décision était indispensable, mais pas obligatoire. Mais si on voulait vraiment sauver ce groupe, nous n’avions plus vraiment le choix.

 

L’organigramme va évoluer ?

L’organigramme opérationnel ne change pas. Ce qui change, c’est qu’un fonds français dirige désormais Mecaplast Group. On a un comité de surveillance, que je préside, avec les équipes d’Equistone et de Bpifrance. Je reste également président du conseil d’administration de Mecaplast SAM.

 

Du coup, vous n’êtes plus décisionnaire ?

Je suis désormais décisionnaire à hauteur de 10 %. Il y a un certain nombre de décisions sur lesquelles j’aurai mon mot à dire.

 

Et si Equistone décidait de fermer le site de Monaco ?

Ce genre de décision devra être partagé. Il m’est simplement demandé d’exercer ce pouvoir en bonne intelligence, dans l’intérêt supérieur de l’entreprise. Ce que je compte bien faire.

 

Mecaplast va toujours aussi mal ?

Non, Mecaplast va beaucoup mieux. Sur l’exercice 2015, on réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 730 millions d’euros. Et pour la deuxième année consécutive, le résultat d’exploitation sera positif. Aujourd’hui, Mecaplast c’est 6 000 salariés et une présence dans 18 pays.

 

Et votre site monégasque ?

Mecaplast emploie un peu moins de 300 salariés en Principauté, dont 70 personnes en usine et 180 personnes dans notre centre d’expertises et nos services centraux. Notre centre d’expertises a engrangé plus de 40 millions d’euros de nouveaux contrats et nous allons embaucher plus de 25 personnes. Aujourd’hui, en termes de résultats, notre site monégasque de production va mieux. Foreplast a réalisé un chiffre d’affaires de 8,5 millions d’euros en 2015. Il est maintenant nécessaire de poursuivre la conquête de marchés complémentaires.

 

C’est satisfaisant ?

Non. Voilà pourquoi on a pris la décision de recentrer Foreplast sur des produits en dehors du secteur automobile. Il y a 6 mois, on a lancé notre première production pour la marque Technofirst, avec un sèche-cheveux. C’est une réussite.

 

Mais c’est un autre métier, très différent du secteur automobile ?

En effet. C’est un autre métier, moins structuré où il faut être beaucoup plus réactif que dans le secteur automobile. De plus, la concurrence est encore plus forte.

 

Vos atouts pour vous imposer sur ce nouveau marché ?

Dès qu’on travaille sur des pièces très techniques, on a pour avantage de pouvoir faire bénéficier nos clients de notre savoir-faire technique.

 

Comment se présente 2016 pour le groupe ?

Nos carnets de commande sont remplis selon les objectifs que nous nous étions fixés. On a relancé il y a deux ans une vraie dynamique d’innovation, insufflée par le directeur général de Mecaplast, Pierre Boulet et ses équipes. Cette dynamique fonctionne aujourd’hui très bien. D’ailleurs, sur une année, on a déposé une quinzaine de brevets.

 

Et à l’international ?

Ces 3 dernières années, nous avons poursuivi notre développement à l’international, en ouvrant deux nouveaux sites en Chine, à Yantaï et à Shenyang, une nouvelle usine en Serbie. Nous avons agrandi notre site de Turquie, de Puebla au Mexique et de Peterlee en Angleterre. Cette année, on va ouvrir une nouvelle usine en Slovaquie et aussi au Mexique, à Silao.

 

Le marché automobile va mieux ?

Globalement oui, il repart. Mais en un peu moins de 7 ans, on est passé de 3,5 millions de véhicules produits en France, à environ 1,5 million. Il y a donc une forte délocalisation de la production à laquelle il faut rapidement s’adapter. Nous devons être en mesure de nous implanter dans les pays où nos clients décident de s’installer.

 

Vous avez été assez durement critiqué au Conseil National pour 19 millions d’aide publique reçus par Mecaplast ?

La crise de 2008 a été tellement soudaine et violente qu’il a fallu à tout prix trouver des aides pour maintenir Mecaplast à flot. Le FMEA, dont la politique était de soutenir la filière automobile française, nous a aidés. Il en est de même pour le gouvernement de Monaco qui nous a permis de passer ces années difficiles.

 

A quoi ont servi ces 19 millions ?

A maintenir Mecaplast en vie. En 2008, j’ai passé plusieurs mois à négocier un protocole au comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) à Bercy. En rentrant à Monaco, il n’y avait pas un vendredi sans que je dise à mon père : « On va déposer le bilan. » Cette situation a duré quatre mois et demi. D’ailleurs, fin 2008, nos pertes ont atteint 80 millions d’euros. Du coup, tout le monde a mis la main à la poche. Les enjeux sociaux et financiers étaient énormes en cas de dépôt de bilan.

 

Sauver Mecaplast était important pour le tissu économique monégasque ?

Oui. Car cela a permis de maintenir quelque 300 emplois en Principauté. Sans oublier le maintien d’un flux de TVA et de cotisations sociales.

 

Ces critiques du Conseil national vous ont touché ?

Bien sûr. Car si Monaco a beaucoup fait pour Mecaplast, l’inverse est également vrai, et ce depuis 60 ans. Certains ont tendance à ne voir que le côté négatif de l’histoire. Je suis redevable de ce que le Prince Albert II et son gouvernement ont fait pour Mecaplast. Et si je peux continuer à être utile à la Principauté, je le ferai.

 

Comment ?

En conservant un siège social, un centre d’expertises, une usine à Monaco et les flux financiers associés. L’usine de Monaco est historique, car c’est la première du groupe. Elle fait partie de notre ADN. Mais, sa localisation excentrée impacte sa compétitivité, puisque le client le plus proche est à 500 kilomètres d’ici ! Recentrer l’activité de cette unité sur le hors automobile est une option qui nous permet d’envisager son maintien. L’avenir nous le dira.

 

Vous vous intéressez à la politique monégasque ?

Oui, je la suis comme la plupart des Monégasques. Je suis avant tout un industriel, mais ce qui impacte mon pays m’intéresse forcément.

 

En 2014, vous avez supprimé 67 postes : d’autres plans sociaux seront nécessaires ?

Ce plan social a été rendu nécessaire par une baisse de chiffre d’affaires de près de 40 %. Il était donc inévitable. Aujourd’hui, l’usine est restructurée et recentrée sur une autre activité. L’avenir est donc entre nos mains. C’est à l’usine de Monaco de démontrer aux actionnaires qu’elle est viable. On a donné aux équipes les moyens de prendre des marchés et de développer l’activité de Foreplast. Maintenant la balle est dans leur camp. J’ai toujours été très honnête avec eux à ce sujet. On fera tout pour pérenniser Foreplast. Mais on ne fera pas n’importe quoi pour sauver Foreplast.

 

Votre réaction au communiqué du 26 janvier du gouvernement vous demandant de préserver l’emploi et l’implantation de Mecaplast à Monaco ?

Je comprends leur inquiétude et j’ai tout fait pour y répondre. Toutefois, pendant la recherche de partenaires, malgré mes sollicitations, aucun candidat monégasque ne s’est intéressé au dossier Mecaplast en assurant ainsi son maintien en Principauté. Etant donnée la qualité et la performance de nos équipes monégasques, je doute qu’Equistone viendra remettre en cause le site de Monaco et son dispositif.

 

L’arrivée d’Equistone est donc une chance ?

C’est un ballon d’oxygène et une très bonne opportunité. En 2008, il faut savoir qu’un acteur aurait pu racheter 100 % de Mecaplast pour une bouchée de pain. Je me suis battu contre ça avec les équipes de Mecaplast. Résultat, aujourd’hui ma famille possède 10 % d’un groupe avec un potentiel de développement que je n’aurais jamais pu imaginer en conservant la majorité de Mecaplast. Je me suis coupé un bras mais, au moins, Mecaplast peut continuer à grandir.