vendredi 26 avril 2024
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Hervé Ordioni : « Je ne quitte pas complètement Monaco »

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Depuis le 1er juillet 2022, Hervé Ordioni a quitté Monaco pour prendre les fonctions de CEO de la banque privée internationale Edmond de Rothschild à Genève, et devenir membre du comité exécutif groupe. Pour Monaco Hebdo, il raconte son parcours en principauté, qui a débuté en 1996. Interview.

Vous venez d’être nommé CEO de la banque privée internationale Edmond de Rothschild à Genève et membre du comité exécutif groupe : votre réaction ?

Cette nomination est à la fois un honneur, un privilège, et une grande fierté. La baronne Ariane de Rothschild m’a appelé un samedi matin mi-avril 2022, une semaine avant le Tour Auto, et nous avons eu deux heures d’entretien téléphonique pendant lequel elle m’a expliqué ce qu’elle attendait de moi. J’ai accepté sa proposition, sous condition de survivre à la course (1) qui allait suivre. Il est évident qu’il s’agit d’une grande marque de confiance de la part de l’actionnaire principale du groupe Edmond de Rothschild que de me confier une telle responsabilité.

Quel sera votre nouveau périmètre de travail ?

Mon périmètre de mission recouvre d’autres destinations : Monaco toujours, la Suisse évidemment, mais aussi Londres que j’ai l’habitude de visiter dans le cadre de la promotion de la place bancaire monégasque, en lien avec mon amie Evelyne Genta. La zone de responsabilité englobe également deux destinations en pleine croissance : Dubaï et Israël. La principauté garde pour moi une place centrale dans ce nouveau dispositif professionnel. Elle reste pour moi une destination à nulle autre pareille. C’est pourquoi je ne quitte pas complètement Monaco, bien au contraire. À ce stade, je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont permis d’avoir, depuis la place monégasque, une trajectoire aussi passionnante. Que toutes ces personnes qui se reconnaîtront, clients comme collaborateurs, et notamment mon équipe rapprochée, soient ici tout particulièrement remerciées.

« Lorsque je suis arrivé à Monaco, en 1996, la banque Edmond de Rothschild comptait 22 collaborateurs et environ 500 millions d’euros d’actifs. Au moment où je vais prendre mes fonctions à Genève, […] nous sommes plus de 220 collaborateurs, pour à peu près 13 milliards d’euros d’actifs à Monaco »

Quel bilan faites-vous de vos années d’activité à Monaco ?

Lorsque je suis arrivé à Monaco, en 1996, la banque Edmond de Rothschild comptait 22 collaborateurs et environ 500 millions d’euros d’actifs. Au moment où je vais prendre mes fonctions à Genève, c’est-à-dire à 50 minutes de vol, nous sommes plus de 220 collaborateurs, pour à peu près 13 milliards d’euros d’actifs à Monaco, avec trois structures : la banque et deux filiales. Edmond de Rothschild Assurance et Conseils est principalement une société de courtage en assurance-vie leader sur son marché, et Edmond de Rothschild Gestion est une société agréée par la Commission de contrôle des activités financières (CCAF) en matière de gestion de fonds communs de placements et de portefeuilles.

Vous prenez aussi la fonction de président du conseil d’administration de Monaco : vous garderez donc un œil sur la principauté ?

Effectivement, et c’était une de mes demandes auprès de la baronne Ariane de Rothschild que de conserver un rôle concret à Monaco. C’est pourquoi elle a accepté de me confier la présidence de la banque. Il est certain que dans mon rôle qui sera celui de membre du comité exécutif de la banque à Genève, j’assurerai aussi la responsabilité de surveillance telle que la FINMA [l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers suisse, FINMA, de l’allemand Eidgenössische Finanzmarktaufsicht — NDLR] l’exige. En tout état de cause, je souhaitais impérativement garder une attache très forte avec la principauté. La tenue des conseils d’administration sur un rythme trimestriel me permettra de passer, à cette occasion, plusieurs jours ici. Je veillerai à toujours participer en présentiel à ces conseils, afin d’entretenir mes relations avec ce tissu monégasque que j’ai particulièrement apprécié pendant ces 27 dernières années.

Vous aviez un rôle au sein de l’Association monégasque des activités financières (AMAF) qui vous a permis d’être un observateur de la place financière monégasque : que retenez-vous de ces années-là ?

Avant de vous répondre, il est important de remercier le président Etienne Franzi, qui, en 2015, a accepté de me confier la présidence de la commission pour la promotion de la place, pour l’ensemble de son action au service du secteur bancaire en principauté. J’ai eu la chance d’évoluer aux côtés d’un grand professionnel, totalement engagé et dévoué au service de cette association. J’ai donc été un témoin attentif et privilégié de l’évolution de l’expérience client et de l’offre que l’ensemble du secteur bancaire propose à une clientèle de résidents venant de l’étranger et habitués à des services de classe internationale. L’AMAF produit des efforts considérables en matière de formation, et s’est totalement impliquée auprès des petites et moyennes entreprises lors de la crise du Covid-19, en travaillant avec l’État monégasque et les experts-comptables dans le cadre du fonds de garantie. C’est un travail colossal qui a été réalisé, rappelons-le, par les membres de l’AMAF, en plus de leur vie professionnelle, au service du secteur bancaire de la principauté.

« Pour progresser, Monaco doit continuer de se poser les bonnes questions pour anticiper, choisir ses cibles, et renforcer en permanence son modèle économique et social, sans oublier ses atouts essentiels en matière de stabilité, de sécurité, d’éducation, et d’offre de soins »

Vous êtes désormais chargé de superviser les activités de banque privées en Suisse, à Monaco, à Dubaï, en Israël et en Angleterre : quels sont les points communs, et les différences, entre ces différents marchés ?

Ces différentes destinations concentrent des clientèles qui partagent entre elles beaucoup de points communs en termes d’attente et de niveau de services. Chaque destination doit pouvoir s’enrichir du meilleur de ce qu’offrent les autres. Dans un monde qui va de plus en plus vite, marqué par les évolutions technologiques, les conséquences de la crise sanitaire, sans oublier, bien sûr, les implications géopolitiques du conflit ukrainien, cette approche par marchés tout à fait complémentaires est une grande opportunité pour proposer des services toujours plus en phase avec les nouvelles exigences des résidents de chaque place.

Quelles sont les spécificités du marché monégasque ?

L’attractivité de la principauté de Monaco est au centre d’une remise en question permanente de la part des autorités du pays. Récemment, Frédéric Genta a été nommé délégué pour l’attractivité, en plus de sa mission liée à la transition numérique. Cette nouvelle impulsion est stratégiquement décisive pour positionner Monaco dans ce nouveau monde que je viens d’évoquer, de la meilleure façon possible. Pour progresser, Monaco doit continuer de se poser les bonnes questions pour anticiper, choisir ses cibles, et renforcer en permanence son modèle économique et social, sans oublier ses atouts essentiels en matière de stabilité, de sécurité, d’éducation, et d’offre de soins. Le marché monégasque a la particularité de regrouper plus de 120 nationalités différentes. Cette diversité est une force, et la vie socio-économique monégasque permet à cette population d’entretenir la légende de Monaco.

Hervé Ordioni
« Monaco doit rester une place bancaire de très haut niveau de services, et doit viser l’excellence en la matière. Pour autant, il faut toujours se rappeler de la taille du pays, et donc se fixer des objectifs atteignables. » Hervé Ordioni. CEO de la banque privée internationale Edmond de Rothschild à Genève et membre du comité exécutif groupe. © Photo Alain Duprat

Comment ce marché a-t-il évolué sur les dix dernières années, entre 2012 et 2022 ?

J’ai assisté au développement indispensable d’une régulation permettant à Monaco d’être en phase avec les meilleurs standards internationaux. Les lois successives de lutte contre le blanchiment, la corruption, et le financement du terrorisme, auront été un facteur déterminant en la matière. J’en profite pour rendre hommage au travail du gouvernement, comme du Conseil national, dans ce domaine, puisque ces lois permettent constamment de nous conformer aux différentes directives européennes sans jamais renier ce que nous sommes, ni surtransposition de certains dispositifs applicables ailleurs. Les services proposés par Monaco sont clairement montés en compétences cette dernière décennie. Ceci est dû au professionnalisme des milliers de collaborateurs de la place bancaire et financière de la principauté et prouve, si besoin était, que Monaco dispose d’atouts concurrentiels de très haut niveau. Je suis très fier d’avoir pu, à ma place, y contribuer activement. C’est ce que je vais m’efforcer de continuer de faire dans le cadre de mes nouvelles fonctions depuis Genève et à l’international.

« Les secteurs d’activité de l’économie monégasque ne doivent pas fonctionner de manière cloisonnée, mais être capables d’évoluer en totale synergie »

Quels sont vos nouveaux objectifs dans vos nouvelles fonctions ?

Tout d’abord, je compte utiliser toute l’expérience acquise sur une place bancaire internationale, auprès d’une clientèle fortunée et exigeante, parfaitement informée des possibilités d’investissements dans un périmètre le plus large possible. Il s’agit en outre de mettre en application la stratégie managériale qui a fait la réussite de Edmond de Rothschild Monaco, afin de « booster » le développement des destinations dont j’aurai désormais la charge. C’est d’ailleurs ce qui est valorisant pour Monaco, puisqu’on considère qu’un CEO qui a réussi en principauté a toute sa légitimité pour appliquer des méthodes similaires à Dubaï, à Londres, en Suisse, lieu de la maison mère et place emblématique de la banque privée, mais aussi en Israël.

Edmond de Rothschild est un groupe qui a le vent en poupe, aujourd’hui ?

Sans faire référence au bateau le Gitana que tout le monde connaît, je peux vous confirmer que notre groupe a bel et bien le vent en poupe, comme vous dites. Au-delà des très nombreuses distinctions liées aux performances de gestion, avec notamment d’innombrables fonds primés, Edmond de Rothschild représente une vision du service au client qui prend en compte toute sa sensibilité, et l’accompagne vers des passions rassembleuses et partagées. La taille humaine de notre activité a permis de juxtaposer à la dimension bancaire et financière, un véritable art de vivre. Il s’agit d’une caractéristique liée à l’esprit familial et entrepreneurial de notre groupe.

Quelle devrait être la stratégie de la place bancaire monégasque pour développer ses atouts ?

Comme je l’ai déjà évoqué, le cadre réglementaire monégasque est un puissant levier de protection et d’attractivité. Par exemple, la récente modification de l’article 29 de la loi n° 1338 sur le démarchage permet de protéger et de renforcer l’ensemble des établissements agréés par la CCAF, tout en protégeant les clients et investisseurs résidant en principauté. Encore une fois, le travail entrepris par l’AMAF au cours de ces deux dernières décennies en matière de formation des personnels, est un élément clé pour assurer des prestations et des services extrêmement qualifiés auprès des résidents. Monaco doit rester une place bancaire de très haut niveau de services, et doit viser l’excellence en la matière. Pour autant, il faut toujours se rappeler de la taille du pays, et donc se fixer des objectifs atteignables. J’ai été le témoin privilégié du formidable saut qualitatif effectué par l’ensemble du secteur bancaire. Aujourd’hui, en 2022, il est important de ne pas oublier que tous ces services sont rendus par des femmes et des hommes, qu’il faut continuer d’attirer en principauté pour y travailler dans de bonnes conditions.

Demeurer attractif sur le recrutement, reste un enjeu important actuellement ?

L’attractivité professionnelle est un enjeu majeur dans la période que nous traversons. Il s’agit d’une donnée que le nouveau délégué à l’attractivité a déjà identifiée. Et puis, je serai heureux désormais de faire bénéficier Monaco des meilleures pratiques constatées ailleurs dans le monde, puisque ce nouveau poste se révèle être un excellent observatoire. Constamment s’enrichir des meilleurs, s’ouvrir sur le monde tout en capitalisant sur ce qui fait l’ADN de la principauté, c’est ce qui, selon moi, doit être la règle dans nos métiers. Mais aussi, plus largement, pour des fleurons de l’économie monégasque, comme par exemple la Société des bains de mer (SBM). De la même manière, les secteurs d’activité de l’économie monégasque ne doivent pas fonctionner de manière cloisonnée, mais être capables d’évoluer en totale synergie.

1) Hervé Ordioni a été le copilote de Thierry Boutsen, ex-pilote de Formule 1 (F1), pendant le Tour Auto 2022 qu’ils ont remporté sur une Shelby Cobra de 1963.