vendredi 26 avril 2024
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Retraite : comprendre le nouveau régime monégasque, attendu pour janvier 2023

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À l’étude depuis 2013, le projet de nouveau régime de retraite complémentaire, exclusivement monégasque, est en train de se concrétiser. Il pourrait aboutir en janvier 2023, après des débats au Conseil national. Monaco Hebdo fait le point, avec le conseiller-ministre de la santé et des affaires sociales, Didier Gamerdinger, et le directeur des caisses sociales de Monaco, Bertrand Crovetto.

« Faire mieux qu’avant ». C’est l’ambition de gouvernement monégasque au sujet de la création de la future caisse de retraite complémentaire monégasque, qui devrait supplanter le système actuel. À terme, le but est de s’affranchir des réformes à venir en France et, idéalement, de diminuer les cotisations salariales et patronales. Mais pour cela, du travail reste à faire.

Comment fonctionne le système actuel

À ce jour, les employeurs et les salariés du secteur privé à Monaco sont affiliés au système de retraite français de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) — l’Association des régimes de retraite complémentaire des salariés (ARRCO), les deux régimes de retraite complémentaire des salariés du privé, qui ont fusionné en 2019, pour centraliser les dossiers. Et, pour faire la liaison entre Monaco et la France, c’est l’association monégasque de retraites par répartition (AMRR) qui s’en occupe. Les points retraites sont donc attribués à ce régime français, qui fait le décompte selon les règles françaises, et qui verse ensuite les pensions aux retraités français, et monégasques. C’est ce qu’on appelle le « régime complémentaire » des retraites. Mais, en 2013, l’idée de rapatrier le régime de retraite complémentaire à Monaco a émergé du côté des syndicats. Fait rare, la Fédération des entreprises monégasques (FEDEM) et l’Union des syndicats de Monaco (USM) se sont entendus pour collaborer, avec les équipes des caisses sociales monégasques, au point de signer un protocole d’accord pour que ce projet de retraite complémentaire 100 % monégasque aboutisse. C’est désormais le cas.

« Nous allons continuer de discuter avec la partie française, et nous leur proposerons même un pourcentage supplémentaire pour compenser leurs frais de gestion. […] Nous voulons nous séparer à l’amiable. Ce n’est pas un divorce contentieux »

Didier Gamerdinger. Conseiller-ministre de la santé et des affaires sociales

Pourquoi il va changer

« Le système actuel fonctionne bien. Mais, vu de Monaco, on perçoit qu’il y a des réflexions sur le régime des retraites depuis 10 ans en France, entre l’allongement des durées de cotisations, et l’allongement des droits. On s’est donc dit qu’on aimerait être maîtres de notre destin, en créant notre propre caisse de retraite monégasque, pour ne plus dépendre des futures réformes décidées en France », explique Didier Gamerdinger, conseiller-ministre de la santé et des affaires sociales. Autre élément : les contraintes qui pèsent sur le régime complémentaire de retraite français sont principalement liées à des défauts d’encaissement. En situation de sous-emploi, avec moins de cotisants, il est en effet plus difficile à financer. Or, à Monaco, la situation du travail et de l’emploi est foncièrement différente : « Chaque année, on indique que la principauté arrive à créer 1 500 emplois supplémentaires. Le marché est dynamique. Nos perspectives sont donc robustes, alors qu’en France, c’est une grande préoccupation. D’où la nécessité de créer notre propre régime », ajoute le conseiller-ministre. Comme le rappelle Bertrand Crovetto, directeur des caisses sociales de Monaco, « la population active en France a diminué de 0,5 %, en moyenne sur la période 2016-2020, alors qu’elle a progressé de 1,6 % à Monaco, en moyenne, à la même période. Ce décalage est l’un des éléments qui explique que ce régime monégasque sera excédentaire, de par la croissance de l’effectif cotisant. » Dans le même esprit, le différentiel entre les cotisations et les pensions servies est conséquent, à hauteur de 100 millions d’euros par an. « Étant donné que nous cotisons plus que ce qui est reversé aux pensionnés, il est intéressant de récupérer le régime de retraite, car ce différentiel va permettre d’abonder le fonds de réserve monégasque. Et, pourquoi pas, de baisser les montants des cotisations futures des employeurs et des employés », estime Didier Gamerdinger. Les voyants semblent donc au vert pour ce lancement.

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« on perçoit qu’il y a des réflexions sur le régime des retraites depuis 10 ans en France, entre l’allongement des durées de cotisations, et l’allongement des droits. On s’est donc dit qu’on aimerait être maîtres de notre destin, en créant notre propre caisse de retraite monégasque »

Didier Gamerdinger. Conseiller-ministre de la santé et des affaires sociales

Qui sera concerné ?

Selon Bertrand Crovetto, 290 000 salariés sont aujourd’hui concernés, dont 30 000 retraités [Monaco Hebdo bouclait ce numéro le mardi 12 avril 2022 — NDLR]. Mais ce chiffre pourrait encore évoluer, puisque ce décompte ne va pas encore au-delà de l’année 2015 : « C’est un travail de collecte de près de cinq ans qui n’est pas encore achevé. Il va se mettre en place de manière définitive avec l’AGIRC-ARCCO, chez qui les rapatriements de dossiers n’ont pas toujours été unifiés sur les mêmes bases et identifiants avant la fusion. À Monaco, nous disposons de fichiers uniques avec la caisse autonome des retraites, ce qui est un peu plus simple. » Une fois le nouveau régime mis en place, les retraités continueront de percevoir une pension par l’AGIRC-ARCCO, qui sera remboursée par la nouvelle caisse complémentaire monégasque, avec même une bonification : « Nous voudrions que rien ne change pour ces personnes. Nous proposons donc pour les pensionnés actuels de ne rien changer, si ce n’est leur fournir un petit bonus », assure Didier Gamerdinger. L’idée, en effet, est de rassurer les pensionnés, autant que les collaborateurs français à Monaco : « Il est fondamental de ne pas angoisser les pensionnés actuels. Nous les connaissons, et nous rembourserons les sommes dues au fil de l’eau, chaque année, à l’AGIRC-ARCCO. Nous allons continuer de discuter avec la partie française, et nous leur proposerons même un pourcentage supplémentaire pour compenser leurs frais de gestion. La discussion engagée l’an dernier, et en début d’année 2022, a pour but de partir dans de bonnes conditions. Nous voulons nous séparer à l’amiable. Ce n’est pas un divorce contentieux », ajoute le conseiller-ministre.

Comment le financer

Si ce projet peut sembler séduisant sur le papier, encore faut-il qu’il soit viable, pour être en capacité de verser des pensions retraite régulièrement. Le gouvernement a donc réalisé une étude, par l’intermédiaire d’un cabinet spécialisé, pour mesurer sa viabilité : combien il faudra verser, combien il faudra cotiser, pour combien de personnes concernées, et pour quel état du marché de l’emploi. En résumé : entre les encaissements et les dépenses, combien est-ce qu’il restera ? « Il ressort de cette étude que notre système de retraite complémentaire sera excédentaire sur une base de cent millions euros d’écarts, pour les prochaines quarante années », assure Didier Gamerdinger. Cette étude a été réalisée sur une prévision de croissance de 1 % par an du marché de l’emploi. « Une prévision raisonnable », selon le conseiller-ministre, alors que cette croissance avoisine les 2,8 % annuels depuis dix ans, pour environ 1 500 emplois gagnés chaque année. Cela semble donc laisser une marge de manœuvre suffisante pour assurer le financement de cette future caisse de retraite monégasque. Côté français, il reste désormais à déterminer les points acquis qui seront à transférer à la future caisse monégasque, pour les quelque 250 000 salariés concernés. Et c’est le gros du chantier pour cette caisse, qui sera la plus importante des cinq — actuellement quatre — caisses sociales de Monaco.

Pour fonctionner, il va falloir « mutualiser » les moyens, estime Bertrand Crovetto. Ce projet prévoit en effet de créer un nouveau conseil d’administration, ou plutôt un comité directeur, avec ses propres attributions

Qui va s’en occuper

Pour fonctionner, il va falloir « mutualiser » les moyens, estime Bertrand Crovetto. Ce projet prévoit en effet de créer un nouveau conseil d’administration, ou plutôt un comité directeur, avec ses propres attributions. Il sera également nécessaire de recruter « une douzaine de personnes, en plus de 250 collaborateurs concernés par les mutualisations, précise le directeur des caisses sociales monégasques. Nous avons en effet émis un engagement moral : reprendre aux caisses sociales les salariés actuels de l’Association monégasque de retraites par répartitions (AMRR). Nous leur proposerons donc de nous rejoindre, comme l’ont souhaité les partenaires sociaux. » Un travail sera également effectué sur la chaîne de recouvrement : « On connaît le montant des cotisations, mais il faut les percevoir. Et il faut aussi savoir comment les encaisser selon les tranches. C’est techniquement complexe. Mais les bases sont là, et la partie « paiement des pensions » est réécrite pour pouvoir prendre les pensions de la future caisse. Tout est fait pour que le système soit effectif dès le vote du texte. »

C’est pour quand ?

« Notre ambition est d’être prêts pour le 1er janvier 2023. Il y a encore beaucoup de travail, et tout dépendra des éléments qui apparaîtront. Mais c’est notre objectif, indique Didier Gamerdinger. C’est un projet ambitieux, mais aussi complexe techniquement et politiquement. Car il faut faire accepter de se quitter en bons termes, pour le bien des pensionnés. C’est tout un travail d’accompagnement qui nous attend. » Une fois cette partie technique achevée, le projet de loi pourra être débattu au Conseil national auprès des élus, pour qu’aboutisse enfin ce projet, qui a mûri près de dix ans.