vendredi 29 mars 2024
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Réforme du collège
Quel impact pour Monaco ?

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La réforme du collège de la ministre de l’Education française Najat Vallaud-Belkacem sera appliquée, en France comme à Monaco, à la rentrée 2016. Très critiquée par la droite, par une partie des enseignants, par certains intellectuels et même par une partie du PS, cette réforme est-elle vraiment dangereuse pour les élèves de la Principauté ?

 

Tous les établissements scolaires, publics et privés sous contrat de la Principauté, sont homologués « établissements d’enseignements français à l’étranger » par le ministère de l’Education nationale français. Voilà pourquoi les collèges monégasques suivront la réforme de la ministre française Najat Vallaud-Belkacem à la rentrée 2016. Mais comme le souligne le gouvernement monégasque, des « aménagements » seront possibles, comme le prévoit l’accord sur la coopération dans le domaine de l’enseignement, du 7 juin 1994. Une façon de prévenir toute forme d’inquiétude à Monaco, qui n’a de toute façon pas enregistré le moindre mouvement de protestation sur ce sujet. Alors qu’en France, ce projet de réforme du collège a été très critiqué, provoquant même de nombreuses polémiques, certains n’hésitant pas à qualifier ce texte de « délire pédagogiste. » Quelques manifestations ont même eu lieu au mois de mai. Notamment le 19 mai, où selon des chiffres publiés par Le Monde, 23,44 % des professeurs de collège étaient en grève : 26,71 % dans les établissements publics et 6,75 % dans le privé.

 

Latin-Grec

Parmi les points de cette réforme qui fâchent le plus, il y a la suppression du latin et du grec en tant qu’options. En France, début 2000, environ 20 % des élèves faisaient du latin et 18 % en 2013. En classe de troisième, ils ne sont plus que 15 %. Au total, environ un demi-million d’élèves suivent des cours de latin en France. Alors que l’option facultative de grec ne séduit plus que 2,2 % des élèves en troisième. A Monaco, le gouvernement n’a pas été en mesure de nous communiquer de chiffres avant le bouclage de ce numéro, le 30 juin. Najat Vallaud-Belkacem propose de remplacer les options grec et latin par une « initiation aux langues anciennes » dans le cadre des cours de français. Et aussi par une intégration du latin et du grec à un enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) « langues et cultures de l’antiquité. » En Principauté, on est très clair sur ce point : « La réforme du collège sera mise en œuvre, tout en conservant [nos] spécificités, de manière à maintenir et à développer le niveau d’excellence de l’enseignement dispensé en Principauté. Ainsi, le latin et le grec continueront d’être proposés, comme actuellement, en options facultatives, avec le même volume horaire qu’aujourd’hui », explique à Monaco Hebdo le conseiller pour l’Intérieur, Patrice Cellario.

 

EPI

Autre point chaud de cette réforme : les EPI. L’objectif est de permettre aux élèves d’acquérir des savoirs venus de différentes disciplines à travers un projet thématique. Concrètement, il s’agit de faire en même temps, du français, de l’histoire, des mathématiques, des sciences, de la physique ou de l’anglais par exemple. Pour Najat Vallaud-Belkacem, il s’agit de « sortir de l’abstraction, de décloisonner les savoirs, et de contextualiser les connaissances. » Les élèves n’auront pas moins d’heures de mathématiques ou d’anglais, mais une partie de ces heures sera utilisée dans le cadre des EPI.

Cette réforme prévoit aussi la mise en place de trois heures d’accompagnement personnalisé par semaine pour les élèves de 6ème. Et au minimum une heure pour les 5ème, 4ème et 3ème. Cet accompagnement concernera tous les élèves, en difficulté ou pas, mais pourra être fait par niveaux. Pour ne pas dépenser plus, la ministre de l’Education française a là encore décidé d’inclure ces heures d’accompagnement dans le total d’heures déjà existant. C’est le conseil pédagogique de chaque collège qui définira si ces heures sont utilisées pour de l’aide au devoir, du soutien en sciences ou pour faire de la méthodologie. Les professeurs décideront des disciplines qui verront leurs nombres d’élèves baisser pour des cours en groupes réduits. Ce qui promet des discussions sans doute assez chaudes. En Principauté, les effectifs permettent déjà de proposer un suivi scolaire personnalisé, indique le conseiller pour l’Intérieur, Patrice Cellario. Avec notamment « l’aide aux devoirs dispensée par des enseignants titulaires, le renforcement des heures prodiguées dans les matières fondamentales, c’est-à-dire français et mathématiques. Ou encore des classes à effectifs réduits. »

 

« Priorités »

Autre point important : dès la 5ème, les élèves suivront une deuxième langue vivante. Actuellement, c’est en 4ème que l’on commence à étudier une deuxième langue. Ce qui entraîne, toujours pour des raisons budgétaires, la fin des classes bilangues et des classes internationales. Lancées il y a 10 ans, ces classes bilangues touchent 16 % des élèves au collège, qui apprennent deux langues, souvent l’anglais et l’allemand, à partir de la 6ème. Avec 123 nationalités installées en Principauté, l’enseignement des langues reste un point non négociable pour l’Education monégasque. « Notre système éducatif compte parmi ses priorités l’enseignement des langues : anglais + en 6ème-5ème. D’ailleurs, 75 % des élèves de 6ème-5ème suivent une langue vivante 1 bis. Et on propose aussi des cours de conversation en langue étrangère pour tous les niveaux du collège », souligne le conseiller pour l’Intérieur, Patrice Cellario. Enfin, cette réforme prévoit aussi quelques changements plus consensuels, comme la lutte contre le décrochage scolaire et l’absentéisme. Ou encore une pause de 1h30 à midi et la création de conseils de la vie collégienne.

Pour les points de cette réforme qui concernent l’organisation des enseignements, un « travail de réflexion est actuellement en cours », du côté de la direction de l’Education nationale monégasque, nous a indiqué le gouvernement. « Les prochains mois permettront de finaliser, avec les chefs d’établissement et les enseignants, l’organisation qui sera retenue pour la rentrée 2016 », ajoute Patrice Cellario.

 

Marge

Bref, on le voit, aucune véritable inquiétude ne semble troubler le milieu enseignant monégasque. Même si, malgré nos demandes répétées, ni l’association du personnel monégasque des établissements scolaires (APMES), ni l’association des parents d’élèves de Monaco (APEM), n’ont répondu à nos questions sur cette réforme avant le bouclage de ce numéro, le 30 juin. Une certitude, l’accord de juin 1994 sur l’enseignement signé entre la France et Monaco laisse donc à la Principauté une marge de manœuvre sur laquelle compte jouer l’Education nationale monégasque. En effet, si Monaco est tenu d’appliquer les programmes scolaires français, les fameuses « spécificités monégasques » ne sont pas oubliées. « A ce titre, des compléments aux programmes officiels français peuvent et sont mis en œuvre en Principauté. Comme l’enseignement généralisé de l’anglais dès les classes de maternelles, celui d’une langue vivante 2 dès la 6ème, ceux du latin et du grec, de la langue monégasque et de l’histoire de Monaco. Sans compter les divers programmes et actions d’éducation artistique, sportive et culturelle dispensés et organisés durant la scolarité des élèves », souligne Patrice Cellario.

Reste désormais à connaitre le contenu des nouveaux programmes. Un point qu’il est « prématuré » d’évoquer estime le gouvernement monégasque, en rappelant que le ministère français a lancé une grande consultation sur ce thème. Ces nouveaux programmes d’enseignement du collège sont rédigés par le Conseil supérieur des programmes (CSP), une entité indépendante, présidée depuis septembre 2014 par Michel Lussault. Là encore, les discussions pourraient être musclées. Accusé parfois par une partie de la presse d’avoir une forme de haine contre l’élitisme, Lussault a répondu à ces critiques dans les colonnes de Mag2 Lyon de mai dernier : « Je suis prof à l’Ecole Normale Supérieure (ENS). C’est un peu compliqué de considérer que je suis dans un endroit qui déteste l’élitisme. […] Je pense que l’élitisme ne suppose pas qu’on oublie la réussite de tous les autres. Je peux être à la fois partisan de l’école de la réussite pour tous et partisan de l’école de l’élite républicaine. Ce qui me gêne, c’est quand on fait l’un ou l’autre. »

 

« Ce n’est pas l’expression d’un chauvinisme passéiste et naïf »

Alors que l’enseignement des langues anciennes divise la France sur fond de réforme des collèges, à Monaco l’enseignement du monégasque n’a jamais été remis en cause. Cette année, près de 2000 élèves ont suivi des cours.

Par Sabrina Bonarrigo

Cours-de-monegasque-@-Kristian

« Quel est l’intérêt d’enseigner une langue parlée seulement par une poignée d’anciens et de nostalgiques ? », diraient les esprits moqueurs… S’il y en a un qui était convaincu qu’enseigner le monégasque à l’école était pourtant fondamental, c’est bien le prince Rainier III. En témoigne ses déclarations sur le sujet : « Le fait d’enseigner notre langue aux jeunes monégasques est l’un des plus sûrs moyens de sauvegarde de notre identité. Et non pas, comme, hélas, beaucoup le pensent encore, l’expression d’un chauvinisme passéiste et naïf. » Dès la rentrée scolaire de 1976, il décide donc que les cours de monégasque seront inscrits au programme de tous les établissements publics de la principauté.

 

Engouement

Dispensés en moyenne à raison d’une heure par semaine, ces cours sont aujourd’hui obligatoires dès la classe de 9ème (CE2), jusqu’en fin de 5ème. Ils deviennent optionnels de la 4ème à la terminale. Les plus « patriotes » peuvent même présenter le monégasque en option au bac. « C’est en 1986 que la langue monégasque est apparue comme matière optionnelle au baccalauréat », précise l’Education nationale. Résultat : sur l’année scolaire 2014-2015, le nombre d’élèves qui suivent ces cours est assez important. Au total, ils sont 1 993 élèves (enseignement public et enseignement privé sous contrat). Dont 965 élèves du secondaire et 1 028 en primaire. Même engouement pour le concours de monégasque. Créé en 1981 et organisé chaque année par la mairie de Monaco, il comporte des épreuves de langue, de culture, mais aussi d’histoire. Cette année, 336 élèves de CM2 (7ème), 800 élèves de 6ème et de 5ème et 165 élèves de la 4ème à la terminale ont donc passé ces épreuves. Les meilleurs, sélectionnés après l’écrit, passent ensuite une épreuve orale devant un jury composé de professeurs de monégasque et de personnalités extérieures. Quant aux prix, remis par le Prince, des membres de la famille princière, et par des personnalités civiles et religieuses, ils sont de diverse nature : dons, livres sur la langue et la culture monégasques, places de concerts, d’opéras et de ballets. « Le comité national des traditions monégasques offre aux plus grands, c’est-à-dire les 1ère et les terminales, des lithographies », ajoute encore l’Education nationale.

 

Âme

Pour les autorités monégasques, pas question donc de faire une croix sur cet enseignement : « Les élèves de Monaco appréhendent au fil des années le patrimoine de la Principauté et en découvrent toute la richesse. L’objectif, c’est de garder cet enseignement vivant pour les générations à venir. En ces temps de mondialisation, préserver son identité, ce n’est pas se refermer sur soi. Mais au contraire pouvoir s’ouvrir au monde en assumant ses différences. » Une volonté qui s’inscrit dans la lignée du prince Rainier III pour qui « laisser mourir » une langue, « c’est ternir à jamais l’âme profonde d’un peuple. C’est renoncer pour toujours à l’un des legs les plus précieux de son passé. »

 

Une commission pour la langue monégasque

Des commissions à Monaco, ce n’est pas ce qu’il manque… Depuis une ordonnance souveraine de juillet 1982, la langue monégasque a aussi spécifiquement la sienne. Présidée par Laurent Anselmi, cette commission a pour objectif de faire des propositions destinées à améliorer la connaissance et la pratique du monégasque. Notamment en ce qui concerne les programmes d’enseignement. C’est là où sont notamment fixées les règles d’orthographe, de grammaire et de vocabulaire. Une sous-commission est également chargée de la mise à jour du dictionnaire et de la grammaire. S.B.

 

« Monaco va gagner sur les deux tableaux »

 

Philippe Meirieu, expert des questions liées à l’éducation, décrypte la réforme du collège qui s’appliquera, à Monaco comme en France, à la rentrée 2016. Interview.

Philippe-Meirieu-@-FB

Comment vous jugez cette réforme du collège ?

Cette réforme va dans le bon sens. Car on a pris l’habitude de dire que le collège est le maillon faible du système éducatif. Or, ce n’est pas le maillon faible. C’est le maillon qui a été le moins structuré.

 

Pourquoi ?

Quand on évoque l’école primaire, tout le monde pense à Jules Ferry (1832-1893). Quand on parle du lycée, c’est Napoléon (1769-1821). Mais lorsque vient le tour du collège, personne ne sait vraiment qui l’a créé.

 

Qu’est-ce que le collège alors ?

Le collège est un espace intermédiaire entre l’école primaire et le lycée qui s’est construit progressivement à partir de 1959, avec la scolarité obligatoire à 16 ans en France. Mais contrairement à l’école primaire et au lycée, le collège n’a pas été l’objet d’une véritable réforme sur le fond.

 

Le résultat ?

Le collège a toujours été écartelé entre ceux qui veulent en faire, dans le cadre de la politique européenne d’éducation, la deuxième marche de l’école fondamentale. Et ceux qui souhaitent en faire la première marche du lycée et de l’enseignement supérieur. Ce qui implique qu’il y ait déjà des spécialisations au collège, avec des sections et des pré-orientations. Tout cela est allé jusqu’à provoquer l’éclatement de la Fédération de l’Education Nationale (FEN), le principal syndicat d’enseignants français.

 

En Europe, qui fait quoi ?

L’Allemagne a choisi la deuxième option. C’est donc à la fin de l’école primaire que l’on entre dans l’enseignement professionnel ou dans l’enseignement général. Mais tous les pays nordiques ont pris une autre solution qui consiste à faire choisir uniquement après 16 ans l’orientation professionnelle ou générale. La France et Monaco restent donc un peu au milieu du quai, entre l’Allemagne et les pays nordiques.

 

C’est-à-dire ?

On impose un socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Un socle qui est dans la logique de l’école fondamentale, c’est-à-dire l’école obligatoire pour tous jusqu’à 16 ans et qui voit dans le collège la deuxième marche de l’école primaire. Tout en mettant dans le collège des sections d’options et de spécialisations qui font que c’est aussi une préparation au lycée. Comme souvent, la France se trouve dans la difficulté lorsqu’il faut choisir. Et plutôt que de choisir, elle fait un peu des deux…

 

Dans quel sens va la réforme de la ministre française de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem ?

Comme la majorité des pays européens, la ministre cherche à rattacher le collège à l’école primaire, pour en faire la deuxième marche de l’école fondamentale pour tous.

 

Cette réforme était absolument nécessaire ?

Cette réforme est utile, parce qu’en France, le collège est un lieu où les écarts se creusent. Un écart qui se creuse plus en français qu’en mathématiques. Et cet écart grandit davantage au détriment des garçons, que des filles.

 

Pourquoi ?

Tous les pays européens ont des filles qui réussissent mieux que les garçons. Parce que la fille est traditionnellement plus appliquée dans son travail. Elle est aussi plus obéissante. De plus, il y a une féminisation massive du corps enseignant. Du coup, l’école apparaît comme un lieu féminin.

 

En France, les inégalités sont trop grandes entre les collèges ?

Oui. Cela tient à la géographie. Il y a de fortes inégalités entre les collèges de centre-ville qui, dans l’ensemble, ont à faire à de bons élèves. Et les collèges de banlieue, qui ont des difficultés considérables. Souvent, on dépasse le taux gérable d’élèves en difficulté à la fois scolaire et sociale. Quand ce taux atteint 70 %, c’est très difficile à gérer.

 

Il y a donc un problème de mixité sociale ?

La mixité sociale et scolaire sont finalement assez proches. Car les difficultés sociales et scolaires sont très fortement corrélées. En France, on a une politique qui consiste à donner un peu plus aux collèges qui ont un peu moins, notamment à travers les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Mais cela ne suffit pas.

 

Pourquoi ?

Parce qu’on nomme très majoritairement dans les ZEP des personnels enseignants débutants qui ne veulent pas forcément y aller. En revanche, dans les centre-villes, on trouve des enseignants expérimentés qui, paradoxalement, travaillent du coup avec des élèves plus « faciles. »

 

Mais Monaco a des spécificités, avec, par exemple, une priorité déjà donnée à l’enseignement des langues ?

Cela repose sur des moyens supplémentaires, avec des professeurs de langue en plus. Le principe retenu par Najat Vallaud-Belkacem, c’est qu’il faut que tout le monde fasse une deuxième langue dès la 5ème, et non pas dès la 4ème, comme c’est le cas aujourd’hui. Mais comme en France on est à budget constant, cela oblige à supprimer un certain nombre de sections bi-langues ou internationales qui existaient dès la 6ème. Donc, si un établissement monégasque souhaite financer des cours de langues supplémentaires, il a la possibilité de le faire, sur un budget spécifique, qui est attribué par la Principauté.

 

De plus, la Principauté mobilise des moyens conséquents pour assurer aux élèves un suivi scolaire personnalisé ?

Monaco bénéficiera en plus de l’aide au devoir de type « national », qui viendra s’ajouter à l’aide aux devoir de la Principauté.

 

Sur un plan pédagogique, que va devoir faire Monaco à la rentrée 2016 ?

La Principauté va devoir se lancer dans les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). L’objectif de ces EPI est de permettre à des élèves de se mobiliser sur des projets qui font appel à plusieurs disciplines.

 

Ces EPI apportent vraiment un plus ?

Cela oblige les enseignants à travailler ensemble, en équipes. De plus, cela permet à un élève qui vient de 6ème de comprendre ce qu’est une discipline et ce que sont les liens entre chaque discipline.

 

Un exemple ?

Si un professeur d’histoire, un professeur de mathématiques et de technologie travaillent ensemble sur la maquette d’une ville romaine, on obtient ceci : le professeur d’histoire va expliquer l’histoire, le professeur de mathématiques va parler de proportionnalité, pendant que le professeur de technologie va montrer comment on découpe la maquette.

 

L’avantage de cette méthode de travail ?

Cela place les élèves dans une situation de compréhension par rapport à ce que chaque discipline peut apporter. Cela permet aussi de démontrer que chaque discipline est utile dans un projet collectif, tout en gardant sa spécificité. Cela a déjà été expérimenté à travers les itinéraires de découverte (IDD) et les travaux personnels encadrés (TPE) dans les lycées, qui sont d’ailleurs aussi en vigueur à Monaco.

 

A Monaco, le gouvernement a confirmé que le latin et le grec continueront d’être proposés en options facultatives, avec le même volume horaire qu’aujourd’hui ?

Si Monaco peut le faire et le financer, c’est très bien. Personnellement, je suis favorable au latin et au grec. Mais je suis aussi favorable à ce que les élèves qui ne font pas de latin et de grec fassent une approche en français de la littérature gréco-latine.

 

C’est-à-dire ?

Il s’agirait d’étudier des textes anciens d’Ovide (43 avant J.-C. — 17 ou 18 après J.-C.), de Sophocle (495 avant J.-C.-406 avant J.-C.), d’Eschyle (vers 525 avant J.-C.-456 avant J.-C.)… Si les budgets le permettaient, j’aimerais qu’on laisse le choix entre le grec, le latin ou l’étude des textes anciens en français.

 

Pourquoi ?

Parce que je pense que pour ceux qui ne font ni grec, ni latin, il est possible d’apprendre quelque chose d’intéressant en étudiant les Métamorphoses d’Ovide traduites en français. Et que la culture gréco-latine peut leur donner quelque chose de plus et les familiariser avec une culture qui est quand même à l’origine de la notre.

 

La réforme prévoit ce que vous proposez ?

Pas vraiment. C’est seulement un peu le cas à travers les EPI.

 

Finalement, que va apporter cette réforme à l’Education nationale monégasque, qui semble ne manquer ni de moyens humains ou financiers ?

Cette réforme peut apporter un plus sur le travail en équipe des enseignants. La mise en place des EPI est un plus. Cette réforme peut également sensibiliser les élèves à des questions peu abordées jusqu’alors, comme le développement durable par exemple. Monaco va donc conserver les avantages de l’ancien système et y ajouter les avantages du nouveau. La Principauté va donc gagner sur les deux tableaux. Si le gouvernement français avait pu faire ça, on aurait eu moins de grévistes.

 

D’autres atouts ?

L’autonomie dont bénéficient les établissements pour 20 % de leurs heures. Ceux qui sont pour disent que cela permettra de s’adapter. Ceux qui sont contre estiment qu’il s’agit d’une rupture de l’égalité républicaine entre chaque établissement.

 

Mais la réforme de Najat Vallaud-Belkacem est suspectée de provoquer un nivellement par le bas ?

Parce que pour donner les moyens à tous de faire une langue vivante dès la classe de 5ème, on enlève à une partie la possibilité de le faire dès la 6ème. Les classes de latinistes qui étaient souvent des classes pré-sélectionnées pour aller dans les meilleurs lycées n’existeront plus, puisque les élèves latinistes seront ventilés dans différentes classes.

 

Ce nivellement par le bas est réel ?

Il s’agit plus d’un fantasme que d’autre chose. Car la France produit aujourd’hui d’excellents élèves que même les Etats-Unis nous envient et qu’ils viennent ensuite chercher pour leurs universités. La vraie difficulté, c’est l’écart entre les bons et les mauvais élèves. La France est l’un des pays au monde où cet écart grandit le plus. Or, s’attaquer à ce problème, c’est s’attaquer à l’existence d’établissements d’élite à côté d’établissements un peu considérés comme des établissements poubelles, voire dépotoirs ! Ceux qui sont dans des positions favorables se disent aussi qu’ils auront du mal à trouver une école où mettre leur progéniture à l’abri.

 

Certains estiment qu’il s’agit d’une réforme « pédagogiste » ?

C’est surtout les EPI qui sont montrés du doigt. Je ne partage pas ce point de vue, car ce sont des choses qui se font déjà depuis longtemps. Il me semble que les avancées pédagogiques sont positives. Maintenant, beaucoup de choses vont se jouer dans les programmes. Or, ces programmes sont toujours en consultation. Ils ne sont pas stabilisés. Il faut donc attendre le Conseil supérieur des programmes et que la ministre ait rendu ses arbitrages.

 

Cette réforme a aussi des points faibles ?

Bien sûr. Le problème majeur porte sur la formation des enseignants. Car il est impossible d’introduire de nouvelles pratiques comme les EPI sans former les enseignants. Or, pour le moment, on ne voit pas de formation venir sur ce sujet. Je pense aussi qu’en France, les collèges sont trop gros. Et la carte scolaire est mal faite : impossible de continuer avec des établissements qui comptent 80 % d’élèves en difficultés scolaires. Il faudrait obliger à plus de mixité sociale. Je connais beaucoup de chefs d’établissements qui ont 90 % d’élèves dont les parents sont au chômage. Résultat, les 10 % restant s’en vont. Il y a là un vrai point noir.

 

Comment en est-on arrivé là ?

En France, la politique de la ville date du général de Gaulle et des communistes : ils se sont partagés les circonscriptions. On a créé des cités d’un côté et on a maintenu de l’autre côté des centres-villes sans logements sociaux. Malgré tous les efforts, on a encore une géographie avec d’un côté des ghettos de riches et de l’autre des ghettos de pauvres. Et les écoles reproduisent ça. Or, tant que les écoles reproduiront ça, les écarts constatés et ressentis généreront de l’amertume, parce qu’une partie des gens se sentiront traités de façon injuste. Si on voulait aller au bout de la logique, il faudrait doter les établissements en fonction des revenus des familles.

 

Vous comprenez aussi l’inquiétude de certains professeurs ?

Bien sûr. D’abord parce que les professeurs en ont assez qu’on réforme tout le temps. Il faudrait trouver un système qui permette de mieux évaluer une réforme avant de passer à la suivante. Ensuite parce qu’en France les réformes sont trop jacobines. Alors qu’avant de généraliser, on aurait pu expérimenter cette réforme sur des collèges volontaires. Tout le monde y aurait gagné. En France, on est souvent trop dans le tout ou rien.

 

Vous avez participé à l’élaboration de ce projet de réforme ?

Non. J’ai des contacts personnels avec la ministre, Najat Vallaud-Belkacem, qui est lyonnaise, comme moi. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de lui envoyer des documents. Mais je n’ai pas été directement mis dans la boucle de cette réforme.