vendredi 26 avril 2024
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Le numérique,
nouvelle grande cause nationale

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Depuis plusieurs mois, la Principauté a engagé sa révolution numérique. Très en retard, elle compte bien faire sa place dans ce domaine concurrentiel. Et, pourquoi pas, en devenir un des leaders mondiaux. Explications.

Monaco est en pleine transformation. Quiconque arpente les rues de cette ville-Etat s’en rend bien compte. Outre les modifications urbanistiques majeures qui façonnent la principauté, une autre révolution se dessine en coulisses. Depuis 6 mois, c’est Frédéric Genta, nommé délégué interministériel à la transition numérique, qui en est le chef d’orchestre. Ce trentenaire, ancien de Google et d’Amazon, a accepté une mission : bousculer les habitudes et tirer profit des meilleures options du numérique pour donner un nouveau visage au pays. Preuve que le numérique est devenu une cause nationale : Frédéric Genta peut intervenir au sein du gouvernement, au même titre que les conseillers. « Le gouvernement attend de moi que je fasse du concret », nous précise-t-il (lire son interview ci-après).

100 personnes

Bien entendu, Frédéric Genta, malgré une exceptionnelle motivation et une persévérance de tous les instants, ne peut rien faire seul. Depuis le mois de juillet 2018, c’est une centaine de personnes qu’il chapeaute. Lundi 24 septembre 2018, elles ont toutes été réunies au Novotel pour souder les troupes et engager ce nouvel élan. La délégation interministérielle pour la transition numérique est en fait constituée de plusieurs directions remaniées et regroupées, pour multiplier les forces dans ce domaine. Quelques jours auparavant, vendredi 21 septembre, plusieurs ordonnances souveraines ont été publiées au Journal de Monaco en ce sens. D’une part, la direction de l’administration numérique, placée sous la tutelle du ministre d’Etat, qui aura pour but de « piloter la mise en oeuvre de projets visant à doter les services administratifs des outils bureautiques et applicatifs leur permettant d’accomplir leurs missions de manière efficiente, ainsi que les projets permettant aux usagers de l’administration d’accéder à une information complète et d’accomplir leurs démarches en ligne ». Parmi ses fonctions officielles : assurer le développement de la dématérialisation des échanges internes à l’administration, la mise en place de télé services à destination des usagers ou la veille technologique en ce qui concerne l’administration électronique et les services en ligne.

Smart city

Deuxième création : la direction du développement des usages numériques, anciennement direction des communications électroniques. Sous l’autorité du ministre d’Etat, Serge Telle, elle devra assurer le développement de services relatifs à la smart city. Et, plus largement, ce sera à la smart country à destination des usagers, d’être force de proposition de nouvelles idées relatives aux services aux usagers. Ceci avec le développement d’innovations et d’expérimentations, ou encore en favorisant le développement du secteur des communications électroniques en principauté. Notamment « en soutenant le développement à l’international des acteurs existants, en facilitant l’installation de nouveaux acteurs dans les domaines non monopolistiques, en prenant l’initiative et en pilotant le développement de programmes spécifiques d’innovation ». Cette direction devra gérer l’établissement et le maintien des relations avec les administrations et organismes étrangers spécialisés dans le domaine des communications électroniques, ainsi qu’avec les opérateurs étrangers publics et privés. Mais aussi, autoriser et contrôler les activités des opérateurs en principauté de Monaco. Et, de manière générale, traiter l’ensemble des demandes des opérateurs publics ou privés et des consommateurs ou de leurs associations relatives au secteur des communications électroniques.

Ordonnances souveraines

Enfin, la direction informatique devient la direction des réseaux et systèmes d’information. Et devra « procéder à l’étude, au suivi des développements, à l’intégration et à l’exploitation des applications informatiques nécessaires au bon fonctionnement des services administratifs » aussi bien que « fournir des outils de travail modernes au personnel de l’administration ». Cette direction devra assurer « le maintien en conditions de sécurité du système d’information de l’administration », mais aussi « la confidentialité au niveau opérationnel des données dans le respect de la législation en vigueur sur la classification des données et sur la protection des informations nominatives ». Et, bien sûr, fournir « une veille technologique de l’évolution des moyens techniques ». Toutes ces ordonnances souveraines datent du 20 juillet 2018. Au cœur de l’été, le prince Albert II a en effet reçu Frédéric Genta, chargé de lui exposer sa stratégie pour Monaco. « Ce projet intègre les composantes d’excellence, de respect de l’environnement et de mise en avant de l’humain que le souverain préconise. Il a validé cette approche sur le bilan à date et ce que nous souhaitons réaliser », explique Genta.

« Avancer vite »

Ces petits pas vont pourtant profondément remanier la nature même de Monaco. Une ville-Etat qui pourrait voir débarquer à moyen-terme des navettes électriques autonomes et des abribus connectés. D’ici trois ans, Frédéric Genta imagine aussi l’utilisation d’intelligences artificielles qui accompagneront les élèves de l’éducation nationale pour un apprentissage personnalisé. Niveau santé, les patients soignés en principauté obtiendront bientôt un passeport médical numérique. Lancé vers un projet de smart city ou ville intelligente, la principauté va sûrement aussi se voir implémenter de nombreux capteurs. Pour améliorer les performances énergétiques par exemple ou pour aider à une meilleure mobilité. « Mon travail est de faire en sorte que l’État monégasque, les entreprises monégasques ainsi que les nationaux et résidents profitent au mieux du numérique. Pour cela, il faut se mettre au niveau du reste du monde, être devant et avancer vite. »

Lenteur

Son diagnostic est sans appel. Même si Monaco a pris un retard conséquent en matière de numérique, il peut devenir un secteur central de son économie future. « Le tissu économique sur le numérique représente aujourd’hui 3 % des emplois de la principauté et 4,5 % du produit intérieur brut (PIB) », insiste Frédéric Genta. Mais cet expert ne veut plus perdre une minute. Mais il doit affronter la lenteur administrative propre à chaque Etat. « Est-ce qu’on a l’option d’arrêter ? Je ne pense pas que la transition numérique soit optionnelle. » Les choses bougent aussi un peu, grâce à son carnet d’adresses. Pour la première fois, Google a organisé et financé une formation à Monaco. Les 17, 18 et 19 septembre 2018, plus de 700 personnes ont assisté à des ateliers gratuits au lycée technique et hôtelier sur le thème du développement de son entreprise grâce au référencement naturel ou bien de la préparation et construction d’un projet digital. Genta ne veut pas s’arrêter là. Il multiplie les rencontres avec d’autres grandes entreprises comme Amazon, Decaux ou Schneider Electric. En espérant convaincre leurs dirigeants de miser sur Monaco pour en faire leur show-room mondial. Objectif : trouver les meilleurs au monde et « les mettre en musique ». Car l’exiguïté de Monaco ne permettra pas d’accueillir tout le monde.

« Haute-couture »

Ces bouleversements futurs se devront d’améliorer la vie des habitants. « Oui, on ne peut que faire de la haute couture à Monaco sur le numérique ! Et pour l’usager, il faut que ce soit sans couture. L’idée de quelque chose de très fluide », souligne l’homme. Et aussi très sûrs. Les problématiques de confidentialité et les “hackings” fréquents de données dans le monde ne sont évidemment pas des arguments positifs aux yeux de l’opinion publique. Tout récemment en France, des enseignants français se sont rendus compte que les résultats des tests d’évaluation passés à la rentrée par les élèves de cours préparatoire (CP) et de cours élémentaire 1 (CE1) étaient stockés dans un serveur en Irlande, appartenant au géant américain Amazon. Leurs craintes ? Que l’entreprise exploite ces données. Est-on sûr que nos données les plus sensibles sont inviolables ? « Il existe des normes, des niveaux de sécurité et de cryptage à suivre. On les appliquera », promet Frédéric Genta. Le délégué interministériel assure que les serveurs contenant les données seront installés à Monaco, et pas ailleurs.

« Infaillible » ?

En France, où la question se pose aussi, le niveau de protection semble, pour le moment, satisfaisant. Pour les données du fisc et judiciaires, en tout cas. Puisque les données sont stockées sur des serveurs en France, uniquement. « Leur emplacement est même secret défense. Quasi quotidiennement, des attaques numériques ont lieu pour tenter de les dérober, mais le système est infaillible », décrit dans son enquête Arnaud Touche, journaliste pour RTL. Les données judiciaires seraient protégées dans deux centres en France. « Deux, car si l’un tombe en panne, l’autre prendra le relais. Aucun n’est connecté à internet et chaque gendarme a une carte à puce pour accéder à quelques fichiers. Et encore, il n’aura jamais accès à tout selon sa fonction. » Même s’il est conscient de la problématique, Frédéric Genta conserve un esprit de start-uper sur ce sujet. Il nous répond communication et formation. « La population est en droit de comprendre et d’avoir l’information la plus transparente possible sur tous les choix que nous faisons. La sécurité doit être un support et un pré-requis. En revanche, une vision numérique qui serait définie avec la sécurité comme clé d’entrée et non les besoins clients est vouée à l’échec, affirme-t-il. La sécurité numérique est un support, là pour nous aider à construire un système précis et sécurisé. Ce ne doit pas être un frein à l’expansion. Parce que la pire chose serait que nous n’avancions pas pour se protéger du numérique en général. »

Smart-Principaute-@-Kristian

Facebook

Au moment où nous nous rencontrons (1), Frédéric Genta ne sait pas que le sujet de la sécurité numérique fera la Une de l’actualité quelques jours plus tard. En effet, au moins 50 millions de comptes facebook auraient été piratés, a révélé vendredi 28 septembre 2018 cette multinationale américaine, sans préciser combien de temps avait duré l’attaque informatique. Une incertitude demeure sur 40 autres millions de comptes, pour lesquels la fonctionnalité a été utilisée récemment. Dans le doute, le groupe a déconnecté dans la nuit de jeudi à vendredi les 90 millions de comptes concernés, obligeant leurs titulaires à se reconnecter manuellement. Alertée par un pic de connexions inhabituel, facebook a lancé le 16 septembre une enquête interne. Le 25 septembre, elle dit avoir repéré la vulnérabilité. Selon son vice-président en charge de l’ingénierie et de la sécurité, le problème découle de bugs combinés, touchant l’outil d’envoi de vidéos, modifié en juillet 2017, et la fonctionnalité « Voir en tant que », qui permet à un utilisateur de voir son profil tel qu’il apparaît à tel ou tel « ami ». Dimanche 30 septembre, Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État français chargé du numérique, a indiqué que « des comptes français sont concernés ». Après avoir pris connaissance de l’ampleur du piratage, Mounir Mahjoubi a expliqué dans un entretien à Radio J avoir immédiatement demandé à facebook France si des abonnés français étaient concernés par le problème. « Aujourd’hui, ils me disent qu’ils ne sont pas capables de répondre. » Comme 90 millions d’autres, son propre compte a été « déconnecté d’urgence » dans la journée de vendredi par facebook. Ce fervent défenseur du numérique émet des réserves sur la sécurité véritable de ces plateformes, où circulent quantités de données personnelles. « Ce ne sont pas des coffre-forts. C’est donc à nous d’être très responsables vis-à-vis de nos données », a-t-il ajouté. Cette affaire de piratage embarrasse de nouveau le géant des réseaux sociaux, facebook. Elle confirme encore une fois la vulnérabilité de ceux que l’on appelle les GAFAM, un acronyme formé par la lettre initiale de ces cinq géants d’internet, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

5G

Mais cette nouvelle affaire peut aussi contrarier les plans de tout ceux qui œuvrent à son développement grand V. Car Frédéric Genta ne s’en cache pas. Il aspire à avancer vite. La plus belle illustration de ce leitmotiv a peut-être été présentée la semaine dernière. Jeudi 27 septembre 2018, c’est la 5G qui a été lancée en grande pompe, en plein Monaco Yacht Show. « La 5G est une clé pour les téléservices et la smart city », souligne ce trentenaire. Avec les opérateurs Monaco Telecom et Huawei, la 5G débarquera à Monaco d’ici juin 2019, en avant-première mondiale. Grâce à sa toute première antenne, située sur le port Hercule, une démonstration de ce que permettra la puissance de la 5G a été proposée. Un drone connecté en 5G a retransmis en direct des images haute définition en 360° à un casque de réalité virtuelle. Cette technologie représente un investissement de 2 à 3 millions d’euros, répartis entre le gouvernement princier, Monaco Telecom et Huawei. « La Principauté est le premier pays au monde à ouvrir la 5G : le visage du Monaco de demain se dessine aujourd’hui. Et on ne réussit à développer une smart nation qu’avec un partenariat fort avec un opérateur télécom. La puissance de la 5G implémentée via un maillage précis du territoire sera une plateforme essentielle pour la transition numérique », a vanté Frédéric Genta. Cette technologie de pointe devrait permettre d’obtenir « des débits multipliés par 10, et des temps de connexion divisés par 10 ». La 5G, dont les premiers smartphones capables de supporter cette nouvelle technologie seront disponibles courant 2019, doit accompagner la croissance exponentielle des usages internet en mobilité. Aller vite et fort : Monaco tiendra-t-il le pari ?

 

(1) L’interview de Frédéric Genta s’est déroulée dans son bureau, au ministère d’Etat, le 24 septembre 2018.

 

« La transition numérique n’est pas optionnelle »

Comment la Principauté prépare-t-elle le visage du Monaco numérique de demain ? Frédéric Genta, délégué interministériel à la transition numérique, livre sa vision et ses pistes d’action. Interview.

 

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Votre état d’esprit ?

Je me sens en pleine forme. En six mois, nous avons constitué une équipe de 100 personnes pour mener la transition numérique de Monaco, avec des budgets en nette augmentation. Aujourd’hui, nous avons donc une structure qui nous permet d’avancer.

Vos priorités ?

Nous avons trois priorités claires : les plateformes, les services et l’économie numérique. Des projets vont se concrétiser dans six mois. Certains ont déjà été réalisés, comme les ateliers numériques Google qui ont connu un vif succès avec plus de 710 inscrits. Cette formation gratuite a permis de mettre à disposition de la population monégasque des outils numériques innovants.

L’état des lieux, à votre arrivée ?

Au classement des services, dressé par l’Organisation des Nations Unies (ONU), Monaco est mal placé. Aujourd’hui, il est nécessaire de renouveler certaines plateformes, d’installer un cloud, des nouveaux serveurs et une messagerie plus performante. Un réseau social d’entreprise, par exemple. Il faut aussi instaurer plus de mobilité avec de nouveaux outils comme les tablettes et former une population fonctionnelle. D’autant plus qu’il s’agit d’un secteur en constante évolution, ce qui rend les outils rapidement obsolètes.

Vous vous attendiez à ça ?

Dans de nombreux domaines, Monaco est le pays le plus avancé, qu’il s’agisse du tourisme, de la finance ou de l’immobilier, par exemple. Le sujet du numérique doit aujourd’hui être traité avec la même ambition et le même niveau d’excellence que les standards exceptionnels monégasques. Dans le domaine du numérique, nous devons prendre pour référence Singapour ou Dubaï.

Votre motivation, six mois après votre prise de poste ?

De nombreux projets sont en cours, ce qui est très motivant pour moi. De plus, d’après l’ONU, en termes de connectivité, téléphonique et internet, Monaco est un des pays les mieux équipés. Ce qui est très positif, avec, de surcroît, une population très éduquée. Nous sommes attractifs pour les entreprises technologiques qui veulent faire de Monaco leur show-room numérique. Nous avons clairement un potentiel et un positionnement en Europe qui nous permettent d’être confiants.

Depuis votre arrivée, comment vous avez procédé ?

Après une phase d’observation d’environ deux mois, qui m’a permis d’identifier les problèmes, je me suis attaché à organiser les équipes, avec lesquelles les budgets ont été chiffrés, les besoins et les fonctionnements définis. Cela afin d’étudier toutes les solutions possibles pour chaque problème observé.

Quels sont les problèmes identifiés ?

Ils sont de trois niveaux. D’abord, les plateformes. Il s’agit de quelque chose sur lequel vous construisez dans le futur. Cela peut être la 5G, les postes de travail des fonctionnaires ou le niveau de formation de la population. Le cloud, les postes de travail, par exemple, vont être améliorés. Et le e-learning [apprentissage en ligne — N.D.L.R.] va être mis en place pour la fonction publique.

Ensuite ?

Les services. Là aussi, nous avons du retard à rattraper, que ce soit sur la partie administrative, le niveau de dématérialisation dans l’administration, la santé, l’éducation, la mobilité ou l’environnement.

Enfin ?

Le dernier point, c’est la volonté de faire de la Principauté un show-room du numérique mondialement reconnu.

Quelle a été la réaction du prince Albert  II  lors de votre présentation de projet, en juillet 2018 ?

Ce projet intègre les composantes d’excellence, de respect de l’environnement et de mise en avant de l’humain que le souverain préconise. Il a validé cette approche sur le bilan à date et ce que nous souhaitons réaliser.

La réaction des instances de l’Etat à vos premières mesures ?

Le ministre d’État, ainsi que les conseillers-ministres, sont alignés avec cette vision. Le vrai sujet, c’est comment chaque département développe sa propre feuille de route numérique et la priorise afin que toute l’administration travaille avec la délégation interministérielle à la transition numérique pour résoudre les problèmes prioritaires via le numérique.

Qu’est-ce qu’on peut imaginer du Monaco numérique de demain ?

Sur les 6 à 9 mois prochains, nous continuerons à travailler sur les plateformes. Nous souhaitons créer un cloud monégasque, une plateforme de e-santé pour des prises de rendez-vous en ligne, une messagerie sécurisée entre médecin et doter le patient d’un parcours patient optimal. Parallèlement, l’initiation au coding [apprentissage du code informatique — N.D.L.R.] dans les écoles sera lancée. Courant mars et avril 2019, les élèves de 8 à 12 ans en principauté, ce qui représente 600 à 800 élèves, pourront ainsi bénéficier de cours de coding. Quant à la plateforme de e-learning pour les fonctionnaires, elle sera active d’ici la fin de l’année 2019. De nouveaux postes de travail seront livrés en mars prochain avec Skype, Outlook for business et « workplace », le facebook d’entreprise dans l’administration, pour mobiliser l’intelligence collective.

Quoi d’autres ?

Nous avons pour projet l’installation d’abribus connectés. Ceux-ci bénéficieront de relais 4G, des capteurs sonores et informeront les utilisateurs sur les services disponibles en principauté. En juin 2019, Monaco sera sensiblement différent de ce qu’il est aujourd’hui.

Et d’ici 3 ans ?

Nous voulons que l’économie numérique compte encore plus dans l’économie monégasque. Aujourd’hui, le numérique représente 3 % des emplois salariés et 4,5 % du produit intérieur brut (PIB). Si nous développons l’écosystème monégasque et arrivons à attirer des leaders mondiaux, notre économie devrait grandir rapidement grâce au numérique.

D’autres idées ?

Nous travaillons sur des projets d’intelligence artificielle. Ainsi, un projet de soutien de l’enseignement scolaire, notamment pour les élèves du secondaire devrait être mis en place. Une intelligence artificielle qui accompagnera et s’adaptera à chaque élève. En termes de santé, nous espérons, a minima, que l’intelligence artificielle permettra un meilleur diagnostic à l’hôpital et de meilleurs traitements.

Ce que vous essayez de faire, en un mot ?

Être à l’avant-garde du progrès. Monaco doit être un show-room mondial numérique. Dans ce domaine, la Principauté mérite d’être une des places les plus avancées, ne serait-ce qu’en Europe pour commencer. Nous sommes bien conscients que l’on ne peut pas tout créer car on a un territoire limité. En revanche, nous sommes assez attractifs pour attirer ce qui se fait de mieux au monde et l’adapter à Monaco.

Quels sont vos modèles ?

L’Estonie, pour tout ce qui est gestions administratives. 98 % des procédures s’y font en ligne. Singapour, pour tout ce qui est smart city. Le pays a déjà des navettes autonomes, beaucoup de procédures en ligne, la santé à 100 % en ligne. Dubaï, pour l’attractivité, les entreprises numériques qui viennent du monde entier. Ou encore la Suisse qui est en avance sur la blockchain. Mais beaucoup d’autres modèles existent. Reste à savoir quel sera le modèle monégasque.

Pourquoi seuls certains secteurs sont ciblés ?

Ce sont les grandes priorités qu’appliquent les grandes villes et les Etats. La mission d’un Etat est d’assurer sa défense, la santé de ses citoyens, éduquer sa population. Ensuite, il faut penser à la mobilité. Comment rendre la ville intelligente en termes de gestion de l’énergie et de l’eau, comment donner la parole à l’intelligence collective pour qu’elle s’exprime et qu’elle donne des idées. Nous souhaitons maintenant être parmi les meilleurs au monde, avec notre propre modèle.

Qu’est-ce que le numérique peut changer pour la mobilité ?

Si demain des navettes autonomes couvrent avec plus de fréquence les trajets des citoyens, ceux-ci prendront plus souvent le bus. Et si demain, une application vous dit comment aller précisément d’un point A à un point B, cela pourra vous aider. Le numérique peut aider en termes d’informations et de conseils à l’usager.

Comment convaincre la population du bien-fondé de vos changements ?

Les citoyens regardent énormément leur smartphone chaque jour. L’offre crée la demande : si le service est bon, cela deviendra une évidence pour beaucoup.

La sécurité est – elle une contrainte pour le développement du numérique ?

Bien utilisé, le numérique est beaucoup plus sûr que le papier. Même si le risque 0 n’existe pas et qu’il faut toujours être conscient que tout système est faillible, nous allons faire de la sécurité une vraie priorité en nous conformant aux standards internationaux et en travaillant avec ce que l’écosystème mondial fait de mieux. Mais penser la sécurité sans penser à la formation est illusoire. Car 80 à 85 % des fuites proviennent de l’intérieur.

Quel rôle joue dans tout cela l’agence monégasque de sécurité numérique (AMSN) ?

Son directeur, Dominique Riban, assiste à toutes les réunions d’équipe. Lors des prises de décision, il est impliqué. La sécurité est aussi essentielle que la formation ou la communication. La sécurité doit être un support et un pré-requis. En revanche, une vision numérique qui serait définie avec la sécurité comme clé d’entrée et non les besoins clients est vouée à l’échec. La sécurité est une fonction support critique et indispensable.

Par exemple ?

La sécurité médicale est le plus haut niveau qu’il soit. Quand le dossier médical partagé sera en vigueur, le gouvernement s’assurera que les plus hauts niveaux de normes, de cryptage et de stockage soient instaurés en principauté.

C’est une contrainte la sécurité ?

La sécurité numérique est un support, là pour nous aider à construire un système précis et sécurisé. En revanche, ce ne doit pas être un frein à l’expansion. Parce que la pire chose serait que nous n’avancions pas pour se protéger du numérique en général. Il faut se fier à des professionnels comme l’AMSN, suivre leurs directives mais avancer. La population est en droit de comprendre et d’avoir l’information la plus transparente possible sur tous les choix que nous faisons.

Quelles sont vos aspirations à ce poste ?

Il faut changer le paradigme et passer sur une logique de test et de déploiement ou de retrait. Le numérique est une chose magnifique car l’on peut tester en direct avec des risques nuls ou minimes. A nous de changer de culture pour en tirer les bienfaits.

Comment ?

Il faut raccourcir les circuits de décisions. Le gouvernement attend de moi que je fasse du concret. Souvent, j’entends des projets dont on parle depuis plusieurs années. C’est un mode de pensée qui n’est pas adapté au numérique ni aux contraintes et à la vélocité du monde actuel. Pour moi, on peut en parler pendant deux ou trois mois, mais après, soit on se rend compte que c’est une mauvaise idée et on stoppe, soit on se rend compte qu’il faut le faire et on le fait.

Pourquoi cette volonté d’avancer si vite ?

La révolution numérique va déterminer les vainqueurs de demain. Que ce soit les pays, les entreprises, les individus. Mon travail est de faire en sorte que l’État monégasque, les entreprises monégasques ainsi que les nationaux et résidents profitent au mieux du numérique. Pour cela, il faut se mettre au niveau du reste du monde, être devant et avancer vite. Pour y arriver, il faut absolument changer la vélocité. Monaco est plus petit, agile, intelligent et avec du budget. Nous en avons la capacité.

Vous y croyez ?

Si je n’y crois pas moi, qui va y croire… Mais la question, c’est plutôt : est-ce qu’on a l’option d’arrêter ? Je ne pense pas que la transition numérique soit optionnelle.

Monaco a sa place sur l’échiquier mondial du numérique ?

Dans le futur, clairement. Mais aujourd’hui, la marque Monaco n’est pas associée au numérique. Les premiers contacts avec des entreprises comme Google se font sur des amitiés et des contacts personnels. J’espère pouvoir lancer une dynamique, afin que Monaco puisse jouer son rôle sur la scène numérique mondiale.

Un mot sur les ateliers Google ?

Ces ateliers avaient pour but de former la population monégasque. Comment je suis sûr que toutes ces personnes accompagnent la révolution numérique ? Elle ne marche pas qu’avec 4 000 agents et fonctionnaires. Elle marche avec 38 000 résidents et 50 000 pendulaires. Ces ateliers ont reçu un franc succès avec 710 inscrits. Une population formée est une population qui réussira dans le monde numérique. Aider la population monégasque est l’une de mes priorités absolues.

Qu’est-ce que vous entendez par « numérique haute couture » ?

Dans le terme « haute-couture », il y a la notion de luxe et, quelque part, l’excellence. Nous n’aurons pas un numérique low-cost à Monaco, ça c’est sûr. « Haute-couture » aussi au sens démonstration, show-room, montrer au reste du monde ce qui se fait de mieux et adapté à qui nous sommes : un État souverain, de petite taille, où l’environnement tient une place prépondérante. Avec une mobilité parfois compliquée, avec des prérogatives fortes en matière de santé et d’éducation. Oui, nous ne pouvons que faire de la « haute-couture » à Monaco sur le numérique ! Et pour l’usager, il faut que ce soit sans couture. Avec l’idée de quelque chose de très fluide.

En ce qui concerne l’environnement, le numérique et internet génèrent aussi de la pollution (1), même si elle est invisible ?

Si vous avez des capteurs sur vos bennes à ordures et vous ne passez en voiture que lorsque la benne est pleine, ça vous fait économiser de l’essence. De plus, le gouvernement vise aussi la dématérialisation, d’ici trois ans, des documents administratifs. Pour mémoire, la principauté dispose quand même de 22 kilomètres d’archives !

Les échéances à venir ?

Sur le premier semestre 2019, la création d’une plateforme de e-santé. Niveau éducation, le coding sera en test dans les écoles en octobre. Puis, il sera déployé sur tous les 8-12 ans en mars. Un espace de e-learning sera lancé d’ici fin 2018, pour les fonctionnaires et les agents de l’Etat, dans un premier temps. Puis, nous espérons l’étendre à toute la population par la suite. Il y aura le déploiement de la 5G en juin 2019. Et le cloud monégasque, mi-2019. Enfin, nous travaillons également sur la création d’une carte d’identité numérique, avec un numéro d’identité, comme le fait l’Estonie.

 

1)Le numérique et internet sont de plus en plus critiqués à cause de la pollution invisible qu’ils provoquent. Internet nécessite une consommation d’énergies fossiles ou nucléaire, ce qui provoque pollution et épuisement des ressources naturelles. En 2015, Greenpeace estimait que 63 % de la circulation mondiale de données sur internet était due au visionnage de vidéos en streaming. Cette ONG estime également que ce chiffre devrait passer à 80 % en 2020. Toujours en 2015, une étude de Global e-Sustainability Initiative montrait que la pollution numérique était aussi grande que celle générée par le trafic aérien.

 

« Monaco est un laboratoire urbain »

Le vaste sujet de la smart city, cher à la principauté, est le cœur d’activité de deux start-up azuréennes qui ont fusionné il y a un an. UrbanLab et Onhys simulent des flux de foule pour mieux aménager la ville. Explications.

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« Monaco a une topologie hyper compliquée : une ville en 3D, avec une circulation verticale partout, qui s’étale sur une élévation assez forte. Pour des logiciels comme le nôtre, c’est un challenge très fort. Aucun de nos concurrents ne serait capable d’y simuler des foules. Pour nous, c’est très bien de pouvoir y démontrer nos solutions. » Sébastien Paris est le fondateur d’Onhys, un éditeur de logiciels de simulation de foule “accéléré” à l’incubateur de Sophia Antipolis. Depuis un an, sa start-up a fusionné avec celle de la Monégasque Jade Auréglia (1), fondatrice d’UrbanLab, un bureau d’études en géographie urbaine “accéléré”, pour sa part, à MonacoTech. « Pour moi, Monaco est un laboratoire urbain. Une grande métropole à l’échelle miniature avec toute la complexité que cela implique. Cela nous permet de tester des solutions très rapidement et d’en avoir le résultat tout aussi rapidement. Ce qui peut accélérer l’innovation de manière phénoménale. Monaco smart city porte formidablement son nom. Maintenant, il faut passer à la mise en œuvre », explique cette jeune trentenaire.

Urban data

En 2015, quand Sébastien Paris montait son entreprise, Jade Auréglia remportait le prix du gouvernement dans le cadre du 20ème concours des créateurs d’entreprise de la Jeune Chambre Economique de Monaco (JCEM). Deux ans plus tard, ces deux entités se sont trouvées des synergies assez fortes pour décider de fusionner. « Le but, c’est que mon bureau d’études mette en œuvre la technologie élaborée par Onhys », avance Jade Auréglia. Cette solution, quelle est-t-elle ? « Nous éditons des logiciels qui simulent le comportement humain dans des lieux publics, que ce soit des gares, des aéroports, des stades, ou des centres commerciaux, aussi bien que lors de gros événements, comme le Monaco Yacht Show ou le Grand Prix de Formule 1 (F1). Nous avons opté pour l’approche microscopique. On simule chaque personne de façon individuelle », développe Sébastien Paris. Cet outil d’aide à la décision permet d’envisager le design urbain, du point de vue de l’usager. « La smart city a été créée parce que la ville est devenue très complexe. Il y a beaucoup de critères et de caractéristiques à prendre en compte lorsqu’on fait un aménagement : socioéconomie, usage, aménagement, ajoute Jade Auréglia. A l’heure actuelle, c’est devenu très compliqué de prendre tout en compte, juste avec un papier et un crayon à l’échelle d’un cerveau humain. C’est là que les outils des nouvelles technologies viennent nous aider. Nos logiciels permettent de donner de la valeur ajoutée à ce qu’on appelle le “big data” et l’“urban data” (2). »

800 000 euros

Le 21 juin 2018, Onhys et UrbanLab by Onhys ont bouclé un premier tour de table et levé 800 000 euros auprès de PACA Investissement, Créazur, Nicholas Cournoyer et d’autres investisseurs privés. En France, cette start-up n’a encore aucun concurrent. Si dans le monde, il existe d’autres entreprises qui proposent un logiciel de simulation piéton, Sébastien Paris met en avant deux valeurs différenciantes. D’une part, une « automatisation des “process” » qui donne la possibilité de tester beaucoup plus de scénarios. Et, d’autre part, leur plus grande complexité. « On va être capable de gérer la circulation verticale — que ce soit escalier, ascenseur ou escalator — mais aussi des process comportementaux plus complexes. Là où nos concurrents vont s’arrêter à la simulation de déplacement, nous allons le motiver par un besoin d’action dans l’environnement. Notre logiciel est capable de réviser le plan comportemental face à des aléas. Par exemple, si votre train ne part pas, vous ne restez pas sur le quai. Vous allez chercher à échanger votre billet ou à trouver un bus », intervient le fondateur d’Onhys. Cette technologie de pointe permet à cette jeune entreprise de se retrouver sur « des dossiers de smart city d’envergure concernant la sécurité en France ».

Infaillible ?

Les deux startupers savent bien vendre leur technologie. « Je vois deux aspects principaux où on va pouvoir aider les gens. D’abord, identifier le problème en modélisant des flux et ainsi trouver où le bât blesse. Cela permettra d’aider les instances décisionnaires à identifier quels sont les paramètres à optimiser dans leur smart city pour la rendre un peu plus smart, pérenne et fonctionnelle. Ensuite, il y a le test de solutions. Une fois le problème identifié, un éventail de solutions s’ouvre. Tout cela a un coût. Ce sont des choses assez lourdes à mettre en œuvre. Si on se trompe, on a dépensé beaucoup d’argent pour pas grand-chose. Nous proposons d’intervenir en amont pour aider les collectivités à décider des meilleures solutions à adopter », observe Sébastien Paris. Ce sont vraiment des solutions infaillibles ? « Nous avons un logiciel, mais il faudra toujours de l’expertise humaine qui viendra vérifier et mettre en oeuvre les scénarios. Ce que nous faisons, en fait, c’est que nous simplifions le travail de l’ingénieur en lui donnant la possibilité de tester virtuellement un aménagement avant. C’est un outil d’aide à la décision qui permet de gagner du temps et de l’argent », affirme Jade Auréglia.

Expansion

Qui sont les potentielles cibles clients ? Onhys et UrbanLab by Onhys visent les gestionnaires d’infrastructures, les bureaux d’études, les constructeurs, les architectes ou les promoteurs immobiliers. Mais aussi les collectivités et les forces de sécurité. « Les collectivités sont de plus en plus en demande de ce type d’outils. Mais elles n’ont pas toujours des experts en mobilité piétonne et en outil informatique. Notre volonté a été de simplifier l’utilisation de nos outils pour les rendre disponibles à des experts utilisateurs finaux et non pas à des experts de l’utilisation de l’outil », explique Sébastien Paris. Une dizaine de personnes travaille aujourd’hui avec Sébastien Paris et Jade Aureglia. Vu l’intérêt porté à leurs activités, il ne semble pas impensable de voir ces deux structures poursuivre leur expansion sur un marché extrêmement porteur et, à ce jour, encore peu concurrentiel.

 

(1) Jade Auréglia a aussi été candidate lors des élections nationales de février 2018 sur la liste Horizon Monaco (HM).
(2) Le “big data” désigne des ensembles de données devenus si volumineux qu’ils dépassent l’intuition et les capacités humaines d’analyse. La même définition peut être appliquée à l’“urban data”, sauf qu’elle se concentre sur les données liées à l’urbanisme en général.