vendredi 29 mars 2024
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“L’orchestre est triste et orphelin”

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Yakov Kreizberg
Yakov Kreizberg © Photo OPMC-Marco Borggreve.

Le violoncelliste Thierry Amadi, délégué des musiciens du Philharmonique de Monte-Carlo, revient sur les liens qui unissaient Yakov Kreizberg à l’orchestre.

Monaco Hebdo?: Quel sentiment domine parmi les musiciens après le décès de Maître Yakov Kreizberg??

Thierry Amadi?: Une immense tristesse. Même si nous le savions malade, nous nous étions habitués à lui. Cette maladie l’a transformé physiquement et humainement. Nous ne savions pas où il allait puiser toute cette énergie. Il était parvenu à dominer le physique. L’orchestre est triste et orphelin. Nous étions sa famille musicale. C’était un père musical, spirituel. Il ne nous parlait jamais de sa maladie et nous a donné une vraie leçon d’humanité.

M.H.?: Le message qu’il vous a laissé avant de décéder a dû beaucoup vous toucher…

T.A.?: Je le conserve avec moi. Le message qu’il nous a transmis, lorsque nous étions en Espagne, nous a tous assommés. Il nous a écrit qu’il nous aimait tous. Qu’il était fier du travail que nous avions accompli ensemble. Et que l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo avait été sa plus magique expérience.

M.H.?: Qu’est-ce qui le caractérisait pour vous??

T.A.?: Outre son immense connaissance de la musique, c’était sa passion dévorante. Il arrivait à prendre ce que proposait les musiciens. Il arrivait à prendre le maximum de chacun d’entre nous. Il nous aidait à évoluer, à nous surpasser. Il dirigeait par coeur et était très proche de nous. Cela a été une véritable chance car nous avons eu le meilleur de Yakov Kreizberg. C’était réciproque. Nous lui avons donné le meilleur.

M.H.?: Y-a-t-il un moment que vous garderez plus particulièrement en mémoire??

T.A.?: Quand il est revenu pour la Turangalîla-Symphonie. C’était à l’automne 2009. Physiquement, il était changé. Lors de la première répétition, l’orchestre l’a applaudi pendant six ou sept minutes. Yakov Kreizberg était en larmes et nous aussi. Quelque chose de très fort s’était créé. Il avait tombé une sorte de masque. Nous découvrions Yakov Kreizberg à nu. Chaque concert ou répétition a été ensuite teinté de magie.

M.H.?: Il sera difficile pour les musiciens d’accepter un nouveau chef d’orchestre??

T.A.?: Ce n’est même pas la peine de parler d’un nouveau chef d’orchestre pour l’OPMC. Nous devons faire notre deuil. Il y aurait un rejet si on désignait un nouveau directeur maintenant. La saison prochaine sera celle de Yakov Kreizberg. C’est celle qu’il a choisi. Nous la jouerons avec des chefs invités. Comme ça, nous vivrons près de lui.

M.H.?: Quel sera donc l’avenir du Philharmonique??

T.A.?: Je me souviens de la première conférence de presse de Yakov Kreizberg. Il disait que son contrat de cinq ans n’était pas suffisant par rapport aux ambitions qu’il avait. Il voyait l’avenir de l’orchestre sur le très long terme. Nous devons continuer dans la voie qu’il nous a ouverte, aussi bien humainement que musicalement. Dès son arrivée, il a réussi à réunir l’orchestre. Nous sortions de deux ou trois ans sans chef à notre tête. Je pensais qu’unifier les musiciens ne serait pas possible. Mais il l’a fait. Il faut que nous gardions cette unité pour lui.

Yakov Kreizberg, un maître nous a quitté

Le directeur artistique et musical de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo est décédé, le 15 mars dernier, des suites d’une longue maladie, à l’âge de 51 ans. Sa disparition a suscité une vive émotion en principauté.

Derrière le pupitre, ses gestes dégageaient, à chaque concert qu’il dirigeait, une puissante émotion. Témoignaient aussi de l’immense courage, qui animait ce brillant musicien face à la maladie. La disparition de Maître Yakov Kreizberg, l’un des plus grands chefs qu’ait connu l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo, a plongé la principauté dans une profonde tristesse. Le 15 mars dernier, âgé de 51 ans, il a succombé des suites d’un cancer, laissant derrière lui, son épouse, Amy, et ses deux fils de 19 et 13 ans. Son dernier concert s’était déroulé le 6 février.

De toutes parts, les hommages se sont succédés. Lundi, les musiciens du Philharmonique ont joué un émouvant et ultime concert à sa mémoire. La princesse Caroline de Hanovre a exprimé « ses pensées émues » à la famille de Yakov Kreizberg. « Maître Yakov Kreizberg a été pour notre orchestre un chef prestigieux, aux qualités professionnelles et humaines exceptionnelles […] Sa perte nous est douloureuse. Il avait encore tant à nous apporter tellement son talent était grand », a-t-elle écrit. « Concert après concert, son très nombreux public aura pu constater le lien profond qui unissait l’orchestre à son chef au sein de l’aventure musicale et humaine dans laquelle il les entraînait. Cette générosité restera marquée dans la mémoire de la Principauté », a indiqué le gouvernement princier, suite à la disparition de Yakov Kreizberg.

Arrivé à Monaco en 2008

Représentant de l’école russe de direction d’orchestre, Yakov Kreizberg était arrivé aux commandes de l’OPMC en 2008. Des orchestres de prestige, il en avait dirigé sur les quatre continents. Mais celui de Monte-Carlo, le maître naturalisé autrichien et américain l’a aimé jusqu’au bout. Peu avant son décès, le chef a adressé un message à ses musiciens, en pleine tournée en Espagne, leur témoignant son affection et saluant le travail qu’il avait réalisé avec eux. « En peu de temps, il avait su nouer de profonds liens musicaux et humains avec les musiciens. Il aura marqué l’orchestre de son empreinte, lors de concerts mémorables, pour le plus grand bonheur du public », ont écrit le conseil d’administration, les artistes-musiciens et le personnel de l’orchestre.

Pour Bernard Marquet, président de la commission de la Culture et du Patrimoine au conseil national, « l’OPMC vient de perdre l’un de ses plus grands artistes, qui a contribué au rayonnement international de la principauté de Monaco ». Au delà de ses concerts mémorables, rappelons que Maître Kreizberg avait relancé la production de disques de l’orchestre. Créant pour cela un label propre à l’institution monégasque, fin 2010?: OPMC Classics. Stravinsky, Ravel et Debussy avaient ainsi été enregistrés par le Philharmonique. Une chose est sûre. L’avenir de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo s’inscrira avec un souvenir ineffaçable?: celui de Maître Yakov Kreizberg.