vendredi 26 avril 2024
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Le Grimaldi Forum innove pour séduire les mélomanes

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La salle de spectacle monégasque a procédé à une mise à jour de son système acoustique pour l’adapter à sa programmation hétéroclite, et offrir ainsi au public une expérience musicale hors du commun. Les spectateurs pourront se faire leur propre idée lors des trois représentations de Coppél-i.A par les ballets de Monte-Carlo, du 3 au 5 juin 2022.

« Pour avoir une bonne acoustique, une salle doit être large ou étroite, haute ou basse, en bois ou en pierre, ronde ou carrée », écrivait en son temps Charles Garnier l’architecte du casino de Monte-Carlo et de l’opéra de Paris pour expliquer, non sans humour, que la science du son était loin d’être exacte tant elle résulte d’une interaction complexe de nombreux paramètres (architecture des lieux, décoration, revêtement utilisé…). Mais depuis la fin du XIXème siècle, l’innovation technologique est venue quelque peu changer la donne, offrant désormais aux salles de spectacle des acoustiques sur mesure. C’est ainsi qu’à Monaco, le Grimaldi Forum s’est doté au moment de sa construction, en 2000, d’un système censé garantir une immersion sonore adaptée à chaque type de show.

salle des princes Grimaldi Forum
@ Photo Grimaldi Forum

Une acoustique à la carte

Son nom : “Carmen”, en référence, non pas au célèbre opéra de Georges Bizet (1838-1875), mais au Contrôle actif de la réverbération par mur virtuel à effet naturel (Carmen), dont il est l’acronyme. Développé par le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), ce système « permet un enrichissement de l’acoustique naturelle de la salle, tout en s’adaptant au type de représentation, que ce soit un opéra, un ballet, ou un concert philharmonique », explique Jan Jagla, ingénieur de l’entreprise française. Concrètement, Carmen va agir à la fois sur la réverbération, c’est-à-dire la durée que met un son à décroître dans la salle, et sur la force sonore, pour l’adapter au type de spectacle présenté, et ainsi plonger les musiciens et les spectateurs dans une bulle acoustique offrant les meilleures émotions musicales. « Pour chaque type de représentation, on a une réverbération optimale. Pour le théâtre, suivant la taille de la salle, on va préconiser une décroissance entre 0,7 et 1,2 seconde, donc un son qui disparaît complètement après une seconde. Alors que pour un concert symphonique, on préconise une durée de réverbération de l’ordre de 2 secondes ou 2,5 secondes », détaille l’acousticien du CSTB. Pour moduler la durée de réverbération et la force sonore dans la salle des Princes du Grimaldi Forum, Carmen s’appuie sur une trentaine de cellules dissimulées dans les murs et les plafonds. Chacune d’elles est composée d’un microphone et d’un haut-parleur. « Elles nous permettent de capter les sons et de les réémettre de manière légèrement modifiée pour contrôler l’acoustique du lieu », résume Jan Jagla. Le tout est piloté à distance, avec une télécommande, sans aucun système de sonorisation supplémentaire.

« Carmen permet un enrichissement de l’acoustique naturelle de la salle, tout en s’adaptant au type de représentation, que ce soit un opéra, un ballet, ou un concert philharmonique »

Jan Jagla, ingénieur du centre scientifique et technique du bâtiment

« Grosse mise à jour »

Installé au moment de la construction du Grimaldi Forum au début des années 2000, Carmen n’avait jamais été mis à jour depuis. Il faut dire que l’acoustique de base de la salle des Princes est remarquable, à en croire l’acousticien français : « Ici, tout a été pensé pour qu’il n’y ait pas trop de différences entre une salle vide ou pleine. On ne peut pas en dire autant dans toutes les salles », souligne Jan Jagla, qui pointe des sièges « d’excellente facture, et conçus pour avoir la même absorption acoustique avec une personne assise ou sans ». Il n’en reste pas moins qu’en vingt ans, la technologie a progressé. Et pour « garantir la pérennité » du dispositif, le Grimaldi Forum a dû se résoudre à opérer un petit rafraîchissement en 2021. « Nous avons effectué une grosse mise à jour. Car au bout de 21 ans, certains composants électroniques nécessitent un renouvellement pour garantir la sérénité et la maintenance de l’équipement », justifie l’ingénieur du CSTB. Résultat, tous les équipements électroniques de la régie ont été changés. Les configurations acoustiques ont aussi été ajustées « afin de les adapter à l’utilisation de la salle ».

« Ici, tout a été pensé pour qu’il n’y ait pas trop de différences entre une salle vide ou pleine. On ne peut pas en dire autant dans toutes les salles »

Jan Jagla. Ingénieur du centre scientifique et technique du bâtiment

Musique classique

Les spectateurs pourront profiter du nouveau système acoustique à l’occasion des trois représentations de Coppél-i.A par les ballets de Monte-Carlo, prévues du 3 au 5 juin 2022, puis pour tous les spectacles acoustiques qui suivront en salle des Princes. « Ce système est principalement dédié aux musiques non amplifiées, insiste Jan Jagla. Si on veut mettre de la réverbération sur un concert de rock, on augmente de potentiomètre. Là, l’objet c’est vraiment d’immerger la salle dans une acoustique différente dédiée à la musique classique du type ballet, opéra, musique de chambre, concerto… ». Autre précision, et non des moindres, la perception du son sera différente selon le placement dans la salle. Une personne installée dans les premiers rangs n’entendra en effet pas la même chose qu’une autre située au fond de la salle. « Cela est un peu indépendant de Carmen, car devant, on entend très fort les musiciens, et finalement très peu les réflexions acoustiques, puisqu’on se trouve dans ce qu’on appelle le champ direct. En revanche, plus on se recule, plus la source sonore va être loin, et plus on va entendre les réflexions acoustiques sur les murs et les parois. On est alors dans le champ réverbéré. L’équilibre entre le son direct et la réverbération y est meilleur, indique l’ingénieur du CSTB. Le système Carmen permet un rééquilibrage au fond de la salle, pour compenser justement l’atténuation du son avec la distance, et finalement homogénéiser l’acoustique en compensant certains défauts naturels de la salle ». Cette entreprise française équipe actuellement une dizaine de salles de spectacle en France et en Europe. Le théâtre de Nice, qui devrait bientôt subir un lifting, pourrait d’ailleurs bien intégrer le tableau de chasse du CSTB, selon Jan Jagla : « Nous avons commencé les contacts avec le bureau d’étude acoustique qui travaille sur le projet. Cela fait partie de nos cibles, comme toutes les grandes salles de ce type en France ».