vendredi 19 avril 2024
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Iulian Giurca :
« C’est une œuvre anti-guerre »

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L’artiste roumain Iulian Giurca(1) expose à Nice(2) du 7 mars au 10 avril une série d’œuvres inspirées par la religion et la guerre, notamment celle qui se déroule en Ukraine. Interview.

Votre parcours ?

Je suis né le 4 décembre 1979 à Bîrlad, en Roumanie. J’ai commencé à m’intéresser à l’art à l’âge de 10 ans. Dans ma famille, mon père s’intéressait beaucoup à la culture. Il peignait. En le regardant, j’ai hérité de sa passion. Il avait beaucoup de livres d’art que je lisais quand j’étais enfant. Avec des artistes comme Amedeo Modigliani (1884-1920), les impressionnistes… Mais ce sont surtout la Renaissance et la période baroque qui m’ont le plus donné le goût pour l’art.

Du coup, qu’avez-vous fait ?

Voyant que je m’intéressais à la culture, mon père m’a inscrit dans une école d’art, en Roumanie. J’ai étudié pendant 8 ans, de l’âge de 10 ans à mes 18 ans. J’ai fait quelques expositions, et j’ai gagné un prix national de graphisme, qui est ma spécialité. Mais pendant mes études, j’ai touché à toutes les formes d’art, notamment la sculpture, la peinture murale…

Comment définir le graphisme ?

Le graphisme recouvre toutes les formes d’art graphique, en partant d’un simple dessin sur papier avec des crayons, au charbon ou à l’encre, jusqu’aux différentes techniques d’impression. Comme la gravure sur le linoléum avec la linogravure, la gravure sur bois avec la xylogravure, ou encore la gravure sur des plaques de cuivre, avec l’eau-forte.

Vous êtes ensuite venu en France ?

Je suis arrivé en France le 12 janvier 2002. En 2010, j’ai repris mes études, et j’ai fait une licence en communication visuelle, photographie et vidéo à Sophia Antipolis. La photographie est un moyen d’expression visuel qui est plus simple que ce que j’ai connu auparavant. En effet, j’avais besoin d’un atelier, et de me réfugier dans une bulle pour être coupé du monde, et ainsi, pouvoir m’exprimer. 

« Mon Massacre des Innocents est lié à ce qu’il se passe aujourd’hui dans le monde. La guerre en Ukraine, notamment. J’ai aussi pensé aux conflits en Syrie ou en Irak, où l’on voyait des civils et des réfugiés souffrir »

Iulian Giurca

Du coup, comment s’est déroulé la suite de votre parcours ?

Je me suis mis à la photographie, mais en tant que photographe, pas en tant que photographe artiste. Je fais des portraits, des paysages, et des reportages photos, notamment dans le journalisme, depuis cinq ans. Et puis, en 2019, j’ai ressenti l’envie de créer de l’art à partir de photographies. Car la photographie est aussi un moyen de faire de l’art. C’est une pièce du puzzle qui permet de constituer une œuvre.

Sur quel thème avez-vous décidé de travailler ?

Après une série de voyages en Italie, notamment à Milan, à Florence ou à Rome, j’ai développé une grande attirance pour la Renaissance et la période baroque. Même si j’ai étudié l’histoire de l’art et les grands maîtres italiens, en Italie, j’ai eu ces œuvres en face de moi. Notamment des œuvres que l’on trouve dans les cathédrales italiennes, sous les coupoles. À mon retour en France, j’ai décidé de lancer un projet artistique, en lien avec ces œuvres. 

Comment ?

La religion joue un rôle important dans ma vie. J’ai donc démarré ce projet en me basant sur les scènes religieuses que l’on trouve sur les coupoles italiennes. Les personnages évoquent un sentiment de plénitude, qui donnent l’impression de flotter, en apesanteur, pour se diriger vers la lumière et le centre de la coupole. J’ai décidé d’essayer de recréer ces scènes en studio.

Iulian Giurca artiste photographe
© Photo Iulian Giurca

Et ça a marché ?

Rapidement, j’ai rencontré des contraintes techniques. Le résultat n’était pas là. Pour avoir l’effet d’apesanteur, j’ai donc eu l’idée de réaliser le même projet, mais sous l’eau. Il faut dire que, depuis que je suis enfant, j’adore l’eau. Quand je suis sous l’eau, le temps s’arrête. Et le silence me fascine. 

Comment avez-vous travaillé sous l’eau ?

J’ai utilisé une bâche de trois mètres de large et de cinq mètres de long, sur laquelle j’ai imprimé des nuages. Cette bâche a été posée sur les parois d’une piscine. Pour chaque scène, j’ai ensuite travaillé avec huit à dix personnes, que j’ai pu photographier sous l’eau. Chaque modèle a été habillé avec des tissus de différentes couleurs, qui symbolisent la volupté et l’apesanteur. 

Il fallait donc diriger vos modèles, plonger sous l’eau, puis les photographier : c’est très complexe ?

Certains modèles portaient une cuirasse en métal, des épées et des boucliers en métal. Avec beaucoup de poids sur eux, il fallait donc gérer le temps qu’ils pouvaient passer sous l’eau pour prendre la pose. De plus, certains modèles parvenaient plus que d’autres à retenir leur respiration. Ce qui m’a conduit à changer la configuration que j’avais prévue. 

Combien d’œuvres sont issues de ce travail aquatique ?

J’ai réalisé quinze œuvres au total. La plupart sont inspirées par la religion chrétienne. 

Quelle est l’œuvre majeure de cette exposition ?

L’œuvre principale a été inspirée par Le Massacre des Innocents (1611-1612) de Pierre Paul Rubens (1577-1640). Il s’agit d’un épisode biblique décrit dans l’évangile selon Matthieu, qui se déroule à Bethlehem. Lorsque le roi Hérode apprend que le nouveau roi des Juifs, le Messie, est né, il donne l’ordre de tuer tous les nouveaux nés jusqu’à l’âge de deux ans, dans tout le royaume. 

« J’ai figé, et reproduit, l’horreur sur les visages. J’ai voulu que ce soit une scène puissante. Et que le spectateur soit interpellé par la scène »

Iulian Giurca

Que se cache-t-il derrière votre Massacre des Innocents ?

Mon Massacre des Innocents est lié à ce qu’il se passe aujourd’hui dans le monde. La guerre en Ukraine, notamment. J’ai aussi pensé aux conflits en Syrie ou en Irak, où l’on voyait des civils et des réfugiés souffrir. Cette œuvre est donc une œuvre politique. C’est une œuvre anti-guerre. Pour cela, j’ai figé, et reproduit, l’horreur sur les visages. J’ai voulu que ce soit une scène puissante. Et que le spectateur soit interpellé par la scène. 

Comment avez-vous distribué les rôles ?

J’ai habillé les hommes en tenue de soldats, avec des cuirasses, des épées, et des boucliers. Et j’ai utilisé des bébés en silicones que j’ai placés dans les bras des femmes. Les Romains essaient de tuer les nouveaux-nés. Dans un coin, la Vierge Marie tourne le dos à cette scène, pour prendre la fuite vers l’Egypte, avec Jésus dans ses bras. À l’opposé, l’ange Michel la prévient du massacre, et lui dit de fuir. 

Combien de photos ont été faites ?

Pour une scène aussi complexe, j’ai fait entre 5 000 et 6 000 photos. Comme la prise de vue se déroulait sous l’eau, la difficulté, c’était bien sûr la communication avec les modèles. Du coup, à chaque plongée sous l’eau, il a fallu faire beaucoup de photos. Ensuite, je regardais ce que j’avais. Je modifiais ce qui n’allait pas. Et on replongeait. C’était très éprouvant et très long. Finalement, cette œuvre a été terminée en septembre 2021. 

Et ensuite ?

J’ai fait des retouches sur les photos, notamment du collage ou du post-traitement des couleurs. Par exemple, pour la scène ou l’archange Michel envoie Satan en enfer, j’ai ajouté la lumière divine sur son épée. Mon travail ne se limite pas à de la photographie. C’est de l’art numérique. 

Où est désormais visible cette série d’œuvres ?

Ces œuvres sont exposées, et mises en vente, à Nice, du 7 mars au 10 avril 2022, à la galerie Monsieur Edmond (2). Il s’agit de séries limitées. Chaque œuvre est numérotée, avec un certificat d’authentification.  

1) Iulian Giurca est aussi photographe et vidéaste pour Monaco Hebdo depuis 2017. Il dispose d’un site Internet : www.iuliangiurca.com.

2) L’exposition Consider your origins est à voir du 7 mars au 10 avril 2022 à la galerie Monsieur Edmond, 2 rue Defly, à Nice. Téléphone : 04 92 04 13 60. Horaires d’ouverture : de 10 heures à 12 heures, et de 15 heures à 19 heures, du mardi au samedi. Fermé le dimanche et le lundi.