jeudi 25 avril 2024
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Diato, une vie sans compromis

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Diato dans son atelier
© Photo Villers

L’écrivain-journaliste Frédéric Laurent prépare un documentaire sur la vie du peintre et céramiste Albert Diato. Le fondateur du journal Libération évoque pour Monaco Hebdo la vie romanesque de cet artiste « injustement oublié » qu’il a connu enfant.

Par Frédéric Laurent.

Il est des artistes maudits et Albert Diato est de ceux-là. Une jeunesse plutôt rebelle, la Légion étrangère à 17 ans et demi, puis une vie chaotique tout à la fois flamboyante et autodestructrice consacrée à la céramique et à la peinture. Au cours de ses pérégrinations artistiques, il côtoie Picasso, Pierre Boulez, Jean-Paul Sartre, Simone De Beauvoir, Alberto Giacometti, Jacques Prévert, André Breton, Joseph Kessel, le roi d’Afghanistan Zaher Shah, ou encore le prince Pierre de Monaco, père du prince Rainier III. Mais, c’est dans le dénuement qu’il meurt tragiquement, gangrène, puis amputation de la jambe, comme Rimbaud…
Si nombre de ses œuvres sont aujourd’hui en bonne place dans de grands musées, Diato est injustement oublié et pratiquement inconnu à Monaco son pays d’origine où il naît en 1927.

Club littéraire
La Principauté si vivante et active pendant la Belle époque s’est assoupie dans l’entre-deux guerres. Les Empires centraux vaincus, la Russie bolchevisée, les bataillons d’aristocrates oisifs font désormais défaut et avec les conséquences de la crise de 1929, les riches touristes sont de plus en plus rares. Le petit pays est alors composé de deux grosses communautés?: les Français qui possèdent la ville et les Italiens qui en constituent le prolétariat. Les Monégasques qui représentent à peine 10 % de la population vivotent dans un pays qui n’est plus vraiment le leur. Cette minorité turbulente ne manque jamais une occasion de manifester son mécontentement face à son souverain et à un gouvernement constitué de hauts fonctionnaires dépêchés par la France voisine qui assure un protectorat de fait sur la Principauté.
Les Italiens qui forment la plus importante communauté du pays sont travaillés en profondeur par la propagande mussolinienne de l’autre pays voisin. C’est donc dans ce contexte que grandit le jeune Diato, italo-monégasque. Sa mère appartient à une très vieille famille de la Principauté, les Bellando. Son père, cadre de banque, est italien, né à Monaco.
Dans la famille, on ne masque pas l’antifascisme, et Diato père fera l’objet de nombreuses menaces de la part des « chemises noires » locales, devant son refus répété de s’inscrire à la très fasciste « Casa d’Italia » qui régente alors la vie de la communauté transalpine. Le jeune Albert subit cette influence familiale. Au lycée, c’est un élève moyen, toutefois brillant dans les disciplines littéraires.
Mais, le jeune homme supporte mal une éducation plutôt rigide, il se rebelle facilement contre un père trop strict. Avec quelques camarades de lycée, il se joint à un petit « club littéraire » qu’anime le futur dramaturge Armand Gatti. « On se passionnait pour la poésie, raconte un de ses condisciples, Pierre Crovetto. Un de nos camarades, Claude Caillaux, nous avait fait découvrir Henri Michaux. C’était la guerre, nous n’étions pas vraiment politisés, mais très haineux contre ceux qui nous occupaient ».
Tête brûlée
Bien que neutre, la petite Principauté est occupée à partir de novembre 1942 par les vainqueurs de la France, Italiens, puis Allemands. Au cours de l’été 1943, Albert Diato qui n’a que 16 ans s’échappe de Monaco pour tenter de rejoindre la Résistance et les maquis du centre de la France. Mais son équipée s’arrête peu glorieusement auprès d’une prostituée de Clermont-Ferrand et c’est entre deux gendarmes qu’il revient en principauté. En juin 1944, il passe son premier bachot. Les alliés viennent de débarquer en Normandie. Le 15 août, c’est le débarquement en Provence, et quelques semaines plus tard, il assiste à la libération de la Principauté. En décembre, profitant de l’absence de son père en voyage professionnel, il quitte Monaco de nouveau, et rejoint la Légion Étrangère. Il participe à la campagne d’Alsace où il est blessé. Rendu à la vie civile, il obtient son second baccalauréat. Il a 18 ans et demi. Toujours tête brulée, il passe l’été 1945 à écumer « Fêtes de quartiers » et bals populaires, provoquant de mémorables bagarres, au cri d’« À moi la Légion?! ».
Pour remettre le rebelle sur un chemin plus conventionnel, son père rêve d’en faire un médecin. Mais Albert trouve les études trop longues. Les deux hommes transigent sur l’Ecole dentaire de Paris. Installé dans la capitale française, Diato déserte rapidement l’établissement scolaire. Il veut être poète et participe à une revue d’avant-garde très marquée par les derniers soubresauts du surréalisme. Il y rencontre le jeune compositeur Pierre Boulez avec lequel il se lie d’amitié et retrouve Armand Gatti, qui après ses combats de la Résistance est devenu journaliste au Parisien Libéré.

Une vocation découverte avec Picasso
C’est au cours d’une interview de Pablo Picasso pour la revue qu’il se découvre une vocation pour la céramique. « Pendant qu’on discutait, il m’a fait gratter dans un plat, il m’a trouvé doué et il m’a encouragé » dira-t-il… À Paris, Diato a rejoint au Pavillon de Monaco de la Cité Universitaire son vieux camarade de lycée Gilbert Portanier, fils du Procureur de la Principauté. Inséparables à Monaco, ils le sont aussi à Paris. Les deux compères mènent la vie de bohème et se retrouvent bientôt dans le grand appartement d’un ami parisien que « squatte » un groupe de jeunes intellectuels et artistes proches du Parti communiste. C’est alors la rencontre d’Aragon, de Paul Eluard, de Picasso… Mais ce compagnonnage ne dure guère et avec une amie plus âgée, Francine Del Pierre, Diato et Portanier décident alors de se lancer dans la céramique.
Del Pierre a 34 ans, jusqu’alors elle était journaliste, mais elle a décidé de changer de vie. Diato qui souhaite se perfectionner rejoint l’Académie de la Grande Chaumière. Cette école d’art, créée au début du XXème siècle, a accueilli avant lui des peintres comme Modigliani ou Tamara de Lempicka et des sculpteurs comme Calder et Giacometti. « Il n’y est pas resté longtemps, dit Gilbert Portanier. Il n’avait pas grande chose à y apprendre, il avait un sens inné du dessin… »
En 1948, sur les conseils réitérés de Picasso, Del Pierre, Diato et Portanier s’installent à Vallauris où ils fondent un atelier, le « Triptyque », qui va révolutionner la céramique. « Il n’y avait pas de céramique moderne, poursuit Portanier, la voie était vierge à nos enthousiasmes, rond, carré, irrégulier, vibrant de nos émotions et de nos maladresses, la terre s’imprimait lentement à nos désirs. Puis, vint le décor où Francine appliqua ses patientes arabesques et ses cheminements formiculaires, Albert commença à dessiner et peindre, montrant d’emblée une merveilleuse facilité, plongeant chez les primitifs, ressortant chez les incas, déjà lui-même, jonglant avec les émaux d’une main assurée. Il fit même des décors en style Maya pour les formes traditionnelles d’un potier voisin ébahi de la nouveauté…?! »

Expositions personnelles depuis 1946
En 1950, alors que Portanier reste à Vallauris dont il deviendra l’un des Maîtres, Del Pierre et Diato reviennent à Paris, et s’installent dans le 15ème arrondissement puis créent un atelier au 74 rue Albert dans le 13ème. Depuis 1949, Diato fait des expositions personnelles à Paris puis en province et à l’étranger où il participe en 1952 à l’exposition d’Art français de Sarrebruck et à celle du musée d’Hilversum où il est primé en 1954. Cette année-là, il se sépare de Francine Del Pierre (qui deviendra un des plus grands noms de la céramique du XXème siècle?!), pour épouser Francine Rolland, une jeune compatriote.
Diato se rend alors à Faenza en Italie où il devient assistant de technologie à l’Institut d’Art pour la Céramique. Il y travaille particulièrement le grès et va acquérir en quelques années une expertise unique en matière de technique des cuissons et de la fabrication des émaux.
De 1956 à 1958, il vit à Milan où il ouvre un atelier. Il obtient la médaille d’argent de la XIème triennale de Milan, puis un Premier prix au 16ème concours de Faenza en 1959. Il fait la connaissance d’Hélène de Beauvoir qui vit alors dans la capitale lombarde. Elle est peintre. Il noue avec la sœur cadette de la compagne de Sartre une longue amitié et commence à peindre également. En Italie, il rencontre aussi, un jeune peintre britannique, Ralph Rumney, gendre du mécène américaine Peggy Guggenheim. Rumney est très engagé dans le mouvement « situationniste » et les deux artistes auront une influence mutuelle.

Soutien du prince Pierre
A la mort de son père, Diato a acheté une maison à Fayence dans le Var. Il y installe un atelier en 1959. L’année suivante, il décore à Monaco la Bibliothèque Princesse Caroline. Il est soutenu par le prince Pierre qui a remarqué ses grandes qualités artistiques.
Toujours avec le soutien du père de Rainier III, Diato décore également une des salles de conférence de l’Unesco à Paris. Au début des années 60, il se fixe dans la capitale française, rue du Temple et ouvre un nouvel atelier. Les combles de la rue du Temple sont fréquentés par l’intelligentzia parisienne (André Breton, Félix Guattari, Simone de Beauvoir, Armand Gatti…). Il se consacre alors beaucoup à la peinture. En 1966, il fait une exposition à la galerie « Appel und Fertsch » à Francfort, présentée par un texte de Simone de Beauvoir. S’il exerce toujours ses talents de céramiste, désormais c’est plutôt comme enseignant.
En 1967, dans le cadre de la coopération internationale, il est envoyé, d’abord par le Quai d’Orsay, puis par le Bureau International du Travail, comme expert en Afghanistan pour améliorer la qualité de la poterie locale. Il y devient l’ami du roi Zaher Shah qui a fait ses études en France. Il donne une impulsion nouvelle aux potiers d’Istalif, une petite ville située à 40 km au Nord de Kaboul. Là, il réalisera, entre autres, un bas-relief en céramique et lapis-lazuli pour le salon de l’Ambassade de France à Kaboul, une table en marqueterie de pierres dures (lapis-lazuli, olivine, hématite, marbre blanc et rouge) que Zaher Shah offrira au Mikado lors de sa visite d’Etat au Japon, un jeu d’échec géant en lapis-lazuli et jade blanc destiné au pavillon de l’Afghanistan à l’exposition universelle d’Osaka, un bas relief mural de 70 m2 pour la décoration de la villa du Roi à Naghlu…

Diato
© Photo DR

Diato restera profondément marqué par son expérience afghane, tant d’un point de vue artistique qu’humain — bien des années après, l’un de ses grands chagrins sera d’ailleurs la nouvelle de la destruction au napalm du village d’Istalif par les forces soviétiques. Par la suite, ce même village sera détruit à nouveau par les Talibans.
Rentré en Europe, il ouvre un atelier Cité Véron, place Blanche, dans une cité d’artistes où vivent Jacques Prévert et Ursula Kubler-Vian, veuve de l’écrivain. Ces années sont marquées par un retour à la céramique et de nouvelles recherches, avec en particulier la série emblématique des oiseaux nyctalopes, une autre de théières à figures d’oiseaux, ainsi que des coupes réalisées à partir de moulages de « culs et de cons ». En 1980, il fait un nouveau séjour d’un an en tant qu’expert au Togo. Rentré à Paris, les abus de boisson et le manque d’inspiration font les temps plus difficiles.
En 1984, Diato décide de retourner à Monaco pour enseigner à l’École des Arts décoratifs de la principauté. Il décède le 13 août 1985 à l’hôpital de Nice. « Il n’y a pas de fatalité, Diato avait choisi sa vie », dit son ami Portanier. Une vie brûlée par les deux bouts auquel l’intempérance et les excès avaient brutalement mis fin…