mardi 23 avril 2024
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« Une vraie inquiétude »

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Un audit interne à la SNCF liste les failles de sécurité sur le réseau ferré dans la région PACA. Mathilde Goanec, journaliste à Mediapart, a révélé ce document qui concerne donc les milliers de salariés qui utilisent chaque jour le train pour venir travailler à Monaco. Interview.

 

Comment vous avez été informée de l’existence de cet audit réalisé entre janvier et février 2014 ?

Cet audit interne a été suivi par un second audit interne centré sur la sécurité des salariés. J’ai pu consulter le premier audit. Et on m’a donné les principales conclusions du second audit. Je ne vais évidemment pas révéler ma source. Mais la manière dont j’ai eu cet audit dénote du fait que tout cela devait rester secret.

 

Pourquoi la SNCF a commandé cet audit ?

Si les conclusions n’avaient pas vocation à être rendues publiques, cet audit interne fait partie d’un processus normal d’amélioration du réseau. A partir de 2012, PACA a été considéré comme un nœud ferroviaire posant des problèmes. Du coup, la SNCF a décidé de réagir. Et un processus d’audit a été mis en place. Ce qui est logique.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné alors ?

Ce rapport alarmant a été réalisé en janvier 2014. Or, en juillet 2013, il y a eu la catastrophe de Brétigny-sur-Orge, qui a provoqué la mort de 7 personnes. Pourtant, même si on sait qu’en PACA le réseau est en très mauvais état, aucune décision rapide n’a été prise. Cette absence de réaction n’est pas normale.

Les principales conclusions de cet audit interne ?

Ce rapport explique qu’en PACA le réseau est vieillissant et que cela présente un danger. Notamment pour les salariés de la SNCF. Autre risque : que les retards et le nombre de trains supprimés augmentent encore. Car comme la SNCF ne parvient pas à résoudre les problèmes techniques, ils préfèrent supprimer les trains au départ pour éviter tout risque lié à la sécurité. Pour éviter un déraillement, on interrompt donc la circulation de certains trains.

 

Le danger majeur concerne les salariés de la SNCF sur les voies ?

Oui. Les personnes censées vérifier le travail fait par les techniciens ne sont soit plus formés, ou ne peuvent pas le faire par manque de temps. Le manque de surveillance de la maintenance est inquiétant. Du coup, les cadres en charge de la supervision du réseau et du personnel qui travaille dessus, portent aussi ce mouvement d’alerte et d’inquiétude.

 

Il y a de vrais risques de déraillement et de collision, notamment dans les Alpes-Maritimes ?

Il faut rester très prudent là-dessus. Selon les agents de la SNCF, il y a souvent de petits incidents, de petits accrochages. Ce qui les inquiète, c’est qu’à force de ne pas traiter ce problème, ces petits incidents ne deviennent un nouveau Brétigny-sur-Orge. Il ne faut pas non plus être alarmiste. Mais pourquoi ne pas faire tout ce qui est possible pour éviter d’en arriver au pire ?

 

Pourquoi la SNCF tarde à bouger ?

Selon les syndicats et selon les cadres, c’est lié à un problème de réorganisation de l’Infrapôle, l’établissement chargé de l’entretien ferroviaire des voies, hors lignes à grande vitesse, des six départements de PACA. La SNCF a décidé de supprimer en partie les services de proximité au profit de services de maintenance plus régionalisés. Or, le personnel estime qu’il sera donc plus éloigné des voies et que le travail de maintenance risque d’être moins bien fait.

Ce projet de réorganisation de l’Infrapôle pose quels problèmes ?

Ce projet prévoit la réorganisation des unités de production locales qui passeraient de 12 à 7. En parallèle, les unités régionales seraient renforcées. Or, les unités de production sont chargées de la maintenance et des travaux sur les voies. Mais les salariés craignent d’être trop loin du terrain pour intervenir rapidement et avoir la possibilité de proposer un vrai suivi. Et le personnel ne se sent pas bien dans cette réorganisation. Ce qui débouche sur de la souffrance au travail.

 

Vraiment ?

Cette réorganisation implique de ne plus travailler avec les mêmes collègues, de faire plus de kilomètres pour se rendre sur son lieu de travail… Cinq rapports de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de comités d’entreprises (CE) montrent que le personnel ne se sent pas bien dans cette organisation-là, qu’il y a beaucoup de « burn out » et de souffrance au travail. Le fait de sentir que le travail fait n’a pas un résultat positif pour l’usager joue aussi. Le décalage entre ce que le salarié est censé faire et ce qui est réellement fait au final, finit par peser, puis par miner les employés. Car les salariés ont conscience de mal faire leur travail parce qu’on ne leur donne pas les moyens de bien le faire.

 

L’évolution des effectifs est en cause ?

La SNCF dit que les 13 000 postes qui vont être supprimés sur les cinq prochaines années ne concerneront pas la sécurité ou la maintenance. Suite à la réorganisation de l’Infrapôle, s’il y a des départs, ils seront remplacés au fil de l’eau. Mais il reste un flou : est-ce qu’en PACA tous les départs seront vraiment remplacés, poste pour poste ? Il faudra donc suivre ça de près. Et vérifier dans un an les chiffres sur l’Infrapôle PACA.

 

L’audit interne souligne à de nombreuses reprises le manque de personnel comme un facteur de risque ?

Oui. Tout comme le manque de surveillance de la sous-traitance. Car une partie des travaux est réalisée pour la SNCF par des sous-traitants.

 

Depuis cet audit réalisé en janvier 2014, vraiment rien n’a été fait en PACA ?

La SNCF dit avoir investi. Bien sûr, c’est difficile à vérifier. C’est parole contre parole. La direction assure aussi que les effectifs ne seront pas touchés en PACA. Mais certains estiment qu’il faut renforcer ces effectifs. Ce qui est sûr, c’est que le réseau PACA est dégradé. Et qu’il faut trouver une solution.

La conséquence pour Monaco ?

Pour les usagers qui viennent chaque jour travailler en Principauté, la conséquence est directe, avec des trains en retard ou supprimés. Mais au-delà de l’accident qui reste le stade ultime, c’est aussi une question de service public. Car comme le réseau est en mauvais état, la SNCF choisit de ne pas faire rouler certains trains. On peut donc imaginer que si le réseau était en bon état, plus de trains partiraient et seraient à l’heure. Donc l’idée que la SNCF est souvent en retard, ce n’est pas qu’une légende. C’est aussi lié à l’état de son réseau. Or, le réseau PACA est vieillissant, puisque c’est l’un des plus vieux de France. D’ailleurs, la dernière grande phase de travaux remonte aux années 1970.

 

Mais la SNCF a lancé des travaux !

Des travaux ont été lancés, mais ils ne sont pas à la hauteur des enjeux. La SNCF m’a indiqué vouloir investir 105 millions d’euros en 2015 et 160 millions pour chacune des deux prochaines années.

 

On peut craindre des problèmes sur des éclisses, comme à Brétigny-sur-Orge ?

Un accident est toujours possible. Il est toujours possible qu’une erreur soit commise lors d’une opération de maintenance. Car le risque 0 n’existe pas. Mais s’est-on assuré que tous les moyens ont été mis en œuvre pour que cela n’arrive pas ? Ce que montre cet audit interne, c’est que, pour l’instant, tous les moyens n’ont pas été mobilisés. Et toutes les alertes et les recommandations n’ont pas été traitées non plus.

 

Les salariés de la SNCF craignent aussi un accident grave ?

Il y a une vraie inquiétude en interne, de la part de salariés. Ils s’inquiètent pour la sécurité de ceux qui travaillent sur les voies et aussi pour la sécurité de l’usager. Les salariés ne veulent pas cautionner ce risque d’accident.

 

Comment a réagi la SNCF suite à la publication de votre article ?

J’ai été interrogée par la SNCF avant que mon article ne sorte. Je leur ai dit que j’allais publier mon article le lendemain. Et ils ont réagi dans la journée, en me proposant une interview du responsable technique de l’Infrapôle. Sur le nombre de postes, sur le montant des investissements, la SNCF a donc très vite décidé de communiquer. Ce qui démontre que la SNCF ne nie pas le problème.

 

Quelle est la position de la SNCF ?

Ils estiment tout faire pour régler ce problème et que les salariés vont finir par trouver leur compte dans la réorganisation de l’Infrapôle. Tout en expliquant que leurs priorités restent la sécurité et le respect de leur mission de service public.